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Malthe, (Géogr.) autrement dite la cité notable, la ville notable, capitale de l’isle de Malthe, & l’ancienne résidence de son évêque. Elle est située dans le fond des terres, & au milieu de l’isle, éloignée d’environ six milles du bourg & du grand port. Les anciens l’ont nommée Melita, Malite, du nom commun à toute l’isle, dont elle étoit à proprement parler, la seule place importante, oppidum ; c’est maintenant une ville considérable, que les Catholiques ont pour ainsi dire en commun, & qu’on peut regarder comme le triste centre d’une guerre perpétuelle contre les ennemis du nom chrétien. On l’a si bien fortifiée, qu’elle passe pour imprenable : son hôpital est aussi beau que nécessaire à l’ordre de Malthe.

Une ancienne tradition veut que les Carthaginois soient les fondateurs de cette ville. Il est au-moins certain qu’ils l’ont possédée, que les Romains après avoir détruit Carthage, chasserent ces Africains de l’isle, & que les Arabes mahométans s’en emparerent à leur tour, & lui donnerent le nom de Medina.

Diodore de Sicile, l. V. c. xij. après avoir loué la bonté des ports de l’isle de Malthe, fait mention de sa capitale. Il dit qu’elle étoit bien bâtie, qu’il y avoit toutes sortes d’artisans, & principalement des ouvriers qui faisoient des étoffes extrémement fines, ce qu’ils avoient appris des Phéniciens qui avoient peuplé l’isle. Cicéron raconte à-peu-près la même chose : il reproche à Verrès de n’être jamais entré dans Malthe, quoique pendant trois ans il y eût occupé lui seul un métier à faire une robe de femme. Il parle ensuite d’un temple consacré à Junon, qui n’étoit pas loin de cette ville, & qui avoit été pillé par les gens de Verrès ; tel maître, tels valets. Long. de cette ville 33. 40. lat. 35. 54. (D. J.)

Ordre de Malthe, (Hist. mod.) c’est le nom d’un ordre religieux militaire, qui a eu plusieurs autres noms, les hospitaliers de S. Jean de Jérusalem, ou les chevaliers de S. Jean de Jérusalem, les chevaliers de Rhodes, l’ordre de Malthe, la religion de Malthe, ou les chevaliers de Malthe ; & c’est le nom qu’on leur donne toujours dans l’usage ordinaire en France.

Des marchands d’Amalfi au royaume de Naples, environ l’an 1048, bâtirent à Jérusalem une église du rit latin, qui fut appellée Sainte-Marie la latine ; & ils y fonderent aussi un monastere de religieux de l’ordre de S. Benoît, pour recevoir les pélerins, & ensuite un hôpital auprès de ce monastere, pour y avoir soin des malades, hommes & femmes, sous la direction d’un maître ou recteur qui devoit être à la nomination de l’abbé de Sainte-Marie la latine. On y fonda de plus une chapelle en l’honneur de S. Jean-Baptiste, dont Gerard Tung, provençal de l’île de Martigue, fut le premier directeur. En 1099 Godefroi de Bouillon ayant pris Jérusalem, enrichit cet hôpital de quelques domaines qu’il avoit en France. D’autres imiterent encore cette libéralité ; & les revenus de l’hôpital ayant augmenté considérablement, Gerard, de concert avec les hospitaliers, resolut de se séparer de l’abbé & des religieux de Sainte-Marie la latine, & de faire une congrégation à part, sous le nom & la protection de S. Jean-Baptiste ; ce qui fut cause qu’on les appella hospitaliers, ou freres de l’hôpital de S. Jean de Jérusalem. Paschal II. par une bulle de l’an 1113. confirma les donations faites à cet hôpital qu’il mit sous la protection du saint siége, ordonnant qu’après la mort de Gerard, les recteurs seroient élus par les hospitaliers. Raymond du Puy, successeur de Gerard, fut le premier qui prit la qualité de maître ; il donna une regle aux hospitaliers ; elle fut approuvée par Calixte II. l’an 1120.

Tel fut le premier état de l’ordre de Malthe. Ce

premier grand-maître voyant que les revenus de l’hôpital surpassoient de beaucoup ce qui étoit nécessaire à l’entretien des pauvres pélerins & des malades, crut devoir employer le surplus à la guerre contre les infideles. Il s’offrit donc dans cette vûe au roi de Jérusalem ; il sépara ses hospitaliers en trois classes : les nobles qu’il destina à la profession des armes pour la défense de la foi & la protection des pélerins ; les prêtres ou chapelains pour faire l’office ; & les freres servans qui n’étoient pas nobles, furent aussi destinés à la guerre. Il régla la maniere de recevoir les chevaliers ; & tout cela fut confirmé l’an 1130 par Innocent II. qui ordonna que l’étendard de ces chevaliers seroit une croix blanche pleine, en champ de gueulée, laquelle fait encore les armes de cet ordre.

Après la perte de Jérusalem, ils se retirerent d’abord à Margat, ensuite à Acre qu’ils défendirent avec beaucoup de valeur l’an 1290, après la perte entiere de la Terre-sainte. L’an 1291 les hospitaliers avec Jean de Villers, leur grand-maître, se retirerent dans l’île de Chypre, où le roi Gui de Lusignan qu’ils y avoient suivi, leur donna la ville de Limisson ; ils y demeurerent environ dix-huit ans. En 1308 ils prirent l’île de Rhodes sur les Sarrasins, & s’y établirent ; ce n’est qu’alors qu’on commença à leur donner le nom de chevaliers, on les appella chevaliers de Rhodes, equites Rhodii. Andronic, empereur de Constantinople, accorda au grand-maître Foulque de Villaret l’investiture de cette île. L’année suivante, secourus par Amedée IV. comte de Savoie, ils se défendirent contre une armée de Sarrasins, & se maintinrent dans leur ile. En 1480 le grand-maître d’Aubusson la défendit encore contre Mahomet II. & la conserva, malgré une armée formidable de Turcs, qui l’assiégea pendant trois mois ; mais Soliman l’attaqua l’an 1522 avec une armée de trois cens mille combattans, & la prit le 24 Décembre, après que l’ordre l’eut possédée 213 ans. Après cette perte, le grand-maître & les chevaliers allerent d’abord en l’île de Candie, puis le pape Adrien VI. & son successeur Clément VII. leur donnerent Viterbe, enfin Charles-Quint leur donna l’île de Malthe qu’ils ont encore ; c’est de-là qu’ils ont pris le nom de chevaliers de Malthe ; mais leur véritable nom c’est celui de chevaliers de l’ordre de saint Jean de Jérusalem, & le grand-maître dans ses titres prend encore celui de maître de l’hôpital de saint Jean de Jérusalem, & gardien des pauvres de notre Seigneur Jesus-Christ. Les chevaliers lui donnent le titre d’éminence, & les sujets celui d’altesse.

L’ordre de Malthe ne possede plus en souveraineté que l’île de Malthe, & quelques autres petits endroits aux environs, dont les principaux sont Gose & Comnio. Le gouvernement est monarchique & aristocratique ; monarchique sur les habitans de Malthe & des îles voisines, & sur les chevaliers, en tout ce qui regarde la regle & les statuts de la religion ; aristocratique dans la décision des affaires importantes, qui ne se fait que par le grand-maître & le chapitre. Il y a deux conseils ; l’un ordinaire, qui est composé du grand-maître, comme chef des grands-croix ; l’autre complet, qui est composé de grand-croix, & des deux plus anciens chevaliers de chaque langue.

Par les langues de Malthe, on entend les différentes nations de l’ordre ; il y en a huit : Provence, Auvergne, France, Italie, Arragon, Allemagne, Castille & Angleterre. Le pilier (comme on dit) de la langue de Provence est grand-commandeur ; celui de la langue d’Auvergne est grand-maréchal ; celui de France est grand-hospitalier ; celui d’Italie est grand-amiral ; celui d’Arragon grand-conservateur, ou drapiers, comme on disoit autrefois. Le pilier