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Il faut d’abord commencer, comme nous l’avons dit ci-dessus, par avoir deux bassins A & B, fig. 31 ; l’un A plus élevé que l’autre, mais tous deux bien pavés, & revêtus de maçonnerie bien enduite dans leur circonférence. On remplira ensuite le bassin supérieur A de chaux que l’on éteindra, & que l’on fera couler dans l’autre B comme à l’ordinaire. Lorsque tout y sera passé, on jettera dessus autant d’eau qu’on en a employé pour l’éteindre, qu’on broyera bien avec le rabot, & qu’on laissera ensuite reposer pendant vingt quatre heures, ce qui lui donnera le tems de se rasseoir, après lequel on la trouvera couverte d’une quantité d’eau verdâtre qui contiendra presque tous ses sels, & qu’on aura soin de mettre dans des tonneaux ; puis on ôtera la chaux qui se trouvera au fond du bassin B, & qui ne sera plus bonne à rien : ensuite on éteindra de la nouvelle chaux dans le bassin supérieur A, & au lieu de se servir d’eau ordinaire, on prendra celle que l’on avoit versée dans les tonneaux, & on fera couler à l’ordinaire la chaux dans l’autre bassin B. Cette préparation la rend sans doute beaucoup meilleure, puisqu’elle contient alors deux fois plus de sel qu’auparavant. S’il s’agissoit d’un ouvrage de quelqu’importance fait dans l’eau, on pourroit la rendre encore meilleure, en recommençant l’opération une seconde fois, & une troisieme s’il étoit nécessaire. Mais la chaux qui resteroit dans le bassin B cette seconde & cette troisieme fois, ne seroit pas si dépourvue de sels, qu’elle ne pût encore servir dans les fondations, dans le massif des gros murs, ou à quelqu’autre ouvrage de peu d’importance. A la vérité il en coûtera pour cela beaucoup plus de tems & de peine ; mais il ne doit point être question d’économie lorsqu’il s’agit de certains ouvrages qui ont besoin d’être faits avec beaucoup de précaution. Ainsi, comme dit M. Belidor, faut-il que parce que l’on est dans un pays où les matériaux sont mauvais, on ne puisse jamais faire de bonne maçonnerie, puisque l’art peut corriger la nature par une infinité de moyens ?

Il faut encore remarquer que toutes les eaux ne sont pas propres à éteindre la chaux ; celles de riviere & de source sont les plus convenables : celle de puits peut cependant être d’un bon usage, mais il ne faut pas s’en servir sans l’avoir laissé séjourner pendant quelque tems à l’air, pour lui ôter sa premiere fraîcheur qui ne manqueroit pas sans cela de resserrer les pores de la chaux, & de lui ôter son activité. Il faut sur-tout éviter de se servir d’eau bourbeuse & croupie, étant composée d’une infinité de corps étrangers capables de diminuer beaucoup les qualités de la chaux. Quelques-uns prétendent que l’eau de la mer n’est pas propre à éteindre la chaux, ou l’est très-peu, parce qu’étant salée, le mortier fait de cette chaux seroit difficile à sécher. D’autres au contraire prétendent qu’elle contribue à faire de bonne chaux, pourvû que cette derniere soit forte & grasse, parce que les sels dont elle est composée, quoique de différente nature, concourent à la coagulation du mortier ; au lieu qu’étant foible, ses sels détruisent ceux de la chaux comme leur étant inférieurs.

De la chaux selon ses façons. On appelle chaux vive celle qui bout dans le bassin lorsqu’on la détrempe.

Chaux éteinte ou fusée, celle qui est détrempée, & que l’on conserve dans le bassin. On appelle encore chaux fusée, celle qui n’ayant point été éteinte, est restée trop long-tems exposée à l’air, & dont les sels & les esprits se sont évaporés, & qui par conséquent n’est plus d’aucun usage.

Lait de chaux, ou laitance, celle qui a été détrempée claire, qui ressemble à du lait, & qui sert à blanchir les murs & plafonds.

La chaux se vend à Paris, au muid contenant douze septiers, le septier deux mines, & la mine deux minots, dont chacun contient un pié cube. On la mesure encore par futailles, dont chacune contient quatre piés cubes : il en faut douze pour un muid, dont six sont mesurés combles, & les autres rases.

Du sable. Le sable, du latin sabulum, est une matiere qui differe des pierres & des cailloux ; c’est une espece de gravier de différente grosseur, âpre, raboteux & sonore. Il est encore diafane ou opaque, selon ses différentes qualités, les sels dont il est formé, & les différens terreins où il se trouve : il y en a de quatre especes ; celui de terrein ou de cave, celui de riviere, celui de ravin, & celui de mer. Le sable de cave est ainsi appellé, parce qu’il se tire de la fouille des terres, lorsque l’on construit des fondations de bâtiment. Sa couleur est d’un brun noir. Jean Martin, dans sa traduction de Vitruve, l’appelle sable de fossé. Philibert de Lorme l’appelle sable de terrain. Perault n’a point voulu lui donner ce nom, de peur qu’on ne l’eût confondu avec terreux, qui est le plus mauvais dont on puisse jamais se servir. Les ouvriers l’appellent sable de cave, qui est l’arena di cava des Italiens. Ce sable est très bon lorsqu’il a été séché quelque tems à l’air. Vitruve prétend qu’il est meilleur pour les enduits & crépis des murailles & des plafonds, lorsqu’on l’emploie nouvellement tiré de la terre ; car si on le garde, le soleil & la lune l’alterent, la pluie le dissout, & le convertit en terre. Il ajoute encore qu’il vaut beaucoup mieux pour la maçonnerie que pour les enduits, parce qu’il est si gras & se seche si promptement, que le mortier se gerse ; c’est pourquoi, dit Palladio, on l’emploie préférablement dans les murs & les voutes continues.

Ce sable se divise en deux especes ; l’une que l’on nomme sable mâle, & l’autre sable femelle. Le premier est d’une couleur foncée & égale dans son même lit ; l’autre est plus pâle & inégale.

Le sable de riviere est jaune, rouge, ou blanc, & se tire du fond des rivieres ou des fleuves, avec des dragues, fig. 119. faites pour cet usage ; ce qu’on appelle draguer. Celui qui est près du rivage est plus aisé à tirer ; mais n’est pas le meilleur, étant sujet à être mêlé & couvert de vase, espece de limon qui s’attache dessus dans le tems des grandes eaux & des débordemens. Alberti & Scamozzi prétendent qu’il est très-bon lorsque l’on a ôté cette superficie, qui n’est qu’une croute de mauvaise terre. Ce sable est le plus estimé pour faire de bon mortier, ayant été battu par l’eau, & se trouvant par-là dégorgé de toutes les parties terrestres dont il tire son origine : il est facile de comprendre que plus il est graveleux, pourvû qu’il ne le soit pas trop, plus il est propre par ses cavités & la vertu de la chaux à s’agraffer dans la pierre, ou au moilon à qui le mortier sert de liaison. Mais si au contraire, on ne choisit pas un sable dépouillé de toutes ses parties terreuses, qu’il soit plus doux & plus humide, il est capable par-là de diminuer & d’émousser les esprits de la chaux, & empêcher le mortier fait de ce sable de s’incorporer aux pierres qu’il doit unir ensemble, & rendre indissolubles.

Le sable de riviere est un gravier, qui selon Scammozzi & Alberti, n’a que le dessus de bon, le dessous étant des petits cailloux trop gros pour pouvoir s’incorporer avec la chaux & faire une bonne liaison. Cependant on ne laisse pas que de s’en servir dans la construction des fondemens, gros murs, &c. après avoir été passé à la claye.[1]

Le sable de mer, est une espece de sablon fin, que l’on prend sur les bords de la mer & aux envi-

  1. Une claie est une espece de grille d’osier, qui sert à tamiser le sable.