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Vitruve nous assûre que la chaux faite avec des cailloux qui se rencontrent sur les montagnes, dans les rivieres, les torrens & ravins, est très-propre à la maçonnerie ; & que celle qui est faite avec des pierres spongieuses & dures, & que l’on trouve dans les campagnes, sont meilleures pour les enduits & crépis. Le même auteur ajoute que plus une pierre est poreuse, plus la chaux qui en est faite est tendre ; plus elle est humide, plus la chaux est tenace ; plus elle est terreuse, plus la chaux est dure ; & plus elle a de feu, plus la chaux est fragile.

Philibert Delorme conseille de faire la chaux avec les mêmes pierres avec lesquelles on bâtit, parce que, dit-il, les sels volatils dont la chaux est dépourvue après sa cuisson, lui sont plus facilement rendus par des pierres qui en contiennent de semblables.

De la maniere à faire cuire la chaux. On se sert pour cuire la chaux de bois ou de charbon de terre, mais ce dernier est préférable, & vaut beaucoup mieux ; parce que non-seulement il rend la chaux beaucoup plus grasse & plus onctueuse, mais elle est bien plutôt cuite. La meilleure chaux, selon cet auteur, est blanche, grasse, sonore, point éventée ; en la mouillant, rend une fumée abondante ; & lorsqu’on la détrempe, elle se lie fortement au rabot, fig. 117. On peut encore juger de sa bonté après la cuisson, si en mêlant un peu de pulvérisé avec de l’eau que l’on bat un certain tems, on s’apperçoit qu’elle s’unit comme de la colle.

Il est bon de savoir que plus la chaux est vive, plus elle foisonne en l’éteignant, plus elle est grasse & onctueuse, & plus elle porte de sable.

Si la qualité de la pierre peut contribuer beaucoup à la bonté de la chaux, aussi la maniere de l’éteindre avant que de l’unir avec le sable ou le ciment, peut réparer les vices de la pierre, qui ne se rencontre pas également bonne par-tout où l’on veut bâtir.

De la maniere d’éteindre la chaux. L’usage ordinaire d’éteindre la chaux en France, est d’avoir deux bassins A & B, fig. 30 & 31. L’un A tout-à-fait hors de terre, & à environ deux piés & demi d’élévation, est destiné à éteindre la chaux : l’autre B creusé dans la terre à environ six piés plus ou moins de profondeur, est destiné à la recevoir lorsqu’elle est éteinte. Le premier sert à retenir les corps étrangers, qui auroient pû se recontrer dans la chaux vive, & à ne laisser passer dans le second que ce qui doit y être reçu. Pour cet effet, on a soin de pratiquer non-seulement dans le passage C qui communique de l’un à l’autre, une grille pour retenir toutes les parties grossieres, mais encore de tenir le fond de ce bassin plus élevé du côté du passage C ; afin que ces corps étrangers demeurent dans l’endroit le plus bas, & ne puissent couler dans le second bassin. Ces précautions une fois prises, on nettoyera bien le premier qu’on fermera hermétiquement dans sa circonférence, & que l’on emplira d’eau & de chaux en même tems. Il faut prendre garde de mettre trop ou trop peu d’eau ; car le trop la noye & en diminue la force, & le trop peu la brûle, dissout ses parties & la réduit en cendre : ceci fait, on la tourmentera à force de bras avec le rabot (fig. 117.) pendant quelque tems, & à diverses reprises ; après quoi on la laissera couler d’elle-même dans le second bassin, en ouvrant la communication C de l’un à l’autre, & la tourmentant toujours jusqu’à ce que le bassin A soit vuidé. Ensuite on refermera le passage C, & on recommencera l’opération jusqu’à ce que le second bassin soit plein.

La chaux ainsi éteinte, on la laissera refroidir quelques jours, après lesquels on pourra l’employer. Quelques-uns prétendent que c’est-là le moment de

l’employer, parce que ses sels n’ayant pas eu le tems de s’évaporer, elle en est par conséquent meilleure.

Mais si on vouloit la conserver, il faudroit avoir soin de la couvrir de bon sable, d’environ un pié ou deux d’épaisseur. Alors elle pourroit se garder deux ou trois ans sans perdre sa qualité.

Il arrive quelquefois que l’on trouve dans la chaux éteinte des parties dures & pierreuses, qu’on appelle biscuits ou recuits, qui ne sont d’aucun usage, & qui pour cela sont mis à part pour en tenir compte au marchand. Ces biscuits ne sont autre chose que des pierres qui ont été mal cuites, le feu n’ayant pas été entretenu également dans le fourneau ; c’est pour cela que Vitruve & Palladio prétendent que la chaux qui a demeuré deux ou trois ans dans le bassin, est beaucoup meilleure ; & leur raison est que s’il se rencontre des morceaux qui ayent été moins cuits que les autres, ils ont eu le tems de s’éteindre & de se détremper comme les autres. Mais Palladio en excepte celle de Padoue, qu’il faut, dit-il, employer aussi-tôt après sa fusion : car si on la garde, elle se brûle & se consomme de maniere qu’elle devient entierement inutile.

La maniere que les anciens pratiquoient pour éteindre la chaux, étoit de faire usage seulement d’un bassin creusé dans la terre, comme seroit celui B de la figure 30, qu’ils remplissoient de chaux, & qu’ils couvroient ensuite de sable, jusqu’à deux piés d’épaisseur : ils l’aspergeoient ensuite d’eau, & l’entretenoient toujours abreuvée, de maniere que la chaux qui étoit dessous pouvoit se dissoudre sans se brûler ; ce qui auroit très-bien pû arriver, sans cette précaution. La chaux ainsi éteinte, ils la laissoient, comme nous l’avons dit, deux ou trois ans dans la terre, avant que de l’employer ; & au bout de ce tems cette matiere devenoit très-blanche, & se convertissoit en une masse à-peu-près comme de la glaise, mais si grasse & si glutineuse, qu’on n’en pouvoit tirer le rabot qu’avec beaucoup de peine, & faisoit un mortier d’un excellent usage pour les enduits ou pour les ouvrages en stucs. Si pendant l’espace de ce tems on s’appercevoit que le sable se fendoit dans sa superficie, & ouvroit un passage à la fumée, on avoit soin aussi-tôt de refermer les fentes avec d’autre sable.

Les endroits qui fournissent le plus communément de la chaux à Paris & aux environs, sont Boulogne, Senlis, Corbeil, Melun, la Chaussée près Marly, & quelques autres. Celle de Boulogne qui est faite d’une pierre un peu jaunâtre, est excellente & la meilleure. On employe à Mets & aux environs une chaux excellente qui ne se fuse point. Des gens qui n’en connoissoient pas la qualité, s’aviserent d’en fuser dans des trous bien couverts de sable. L’année suivante, ils la trouverent si dure, qu’il fallut la casser avec des coins de fer, & l’employer comme du moilon. Pour bien éteindre cette chaux, dit M. Belidor, il la faut couvrir de tout le sable qui doit entrer dans le mortier, l’asperger ensuite d’eau à différente reprise. Cette chaux s’éteint ainsi sans qu’il sorte de fumée au dehors, & fait de si bon mortier, que dans ce pays-là toutes les caves en sont faites sans aucun autre mélange que de gros gravier de riviere, & se change en un mastic si dur, que lorsqu’il a fait corps, les meilleurs outils ne peuvent l’entamer.

Comme il n’est point douteux que ce ne peut être que l’abondance des sels que contiennent de certaines pierres, qui les rendent plus propres que d’autres à faire de bonne chaux ; il est donc possible par ce moyen d’en faire d’excellente dans les pays où elle a coutume d’être mauvaise, comme on le va voir.