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Le mélange pour la composition d’une liqueur étant fait, & le sucre entierement fondu, on la filtre au papier gris, & même plusieurs fois de suite. Cette opération non-seulement sépare toutes les matieres absolument indissoutes, telles que quelques ordures, & particules terreuses communément mélées au plus beau sucre, &c. mais même une partie de cette huile essentielle à demi-dissoute, qui constitue l’état louche dont nous avons parlé plus haut : ensorte que ce louche n’est proprement un défaut, que lorsqu’il resiste au filtre, comme il le fait communément du moins en partie.

Le grand art des liqueurs consiste à trouver le point précis de concentration d’un parfum unique employé dans une liqueur, & la combinaison la plus agréable de divers parfums. Les notions majeures que nous avons données sur leur essence & sur leurs especes, & même les regles fondamentales de leur préparation que nous avons exposées, ne sauroient former des artistes, du moins des artistes consommés, des Sonini & des le Lievre. C’est aussi uniquement au lecteur qui veut savoir ce qu’est cet art, & préparer pour son usage quelques liqueurs simples, & non à celui qui voudroit en faire métier, que nous l’avons destiné : l’article suivant contient plus de détails.

Les liqueurs ne sont dans leur état de perfection que lorsqu’elles sont vieilles. Les différens ingrédiens ne sont pas mariés, unis dans les nouvelles. Le spiritueux y perce trop, y est trop sec, trop nud. Une combinaison plus intime est l’ouvrage de cette digestion spontanée que suppose la liquidité ; & il est utile de la favoriser, d’augmenter le mouvement de liquidité, en tenant les liqueurs (comme on en use dans les pays chauds pour les vins doux, & même nos vins acidules généreux de Bordeaux, de Roussillon, de Languedoc, &c.) dans des lieux chauds, au grenier en été, dans des étuves en hiver.

Les liqueurs spiritueuses dont nous venons de parler, c’est-à-dire, les esprits ardens, aqueux, sucrés, & parfumés, ont toutes les qualités médecinales, absolues, bonnes ou mauvaises, des esprits ardents, dont elles constituent une espece distinguée seulement par le degré de concentration, c’est-à-dire, de plus ou moins grande aquosité. Car le sucre n’est point un correctif réel de l’esprit ardent, qui joint au contraire dans son mélange avec le corps doux toute son énergie, & qui dans les liqueurs n’est véritablement affoibli que par l’eau. Or, comme les esprits ardents ne se prennent pour l’ordinaire intérieurement que sous forme d’eau-de-vie, c’est-à-dire, à peu-près aussi aqueux que l’esprit ardent des liqueurs ; il est évident que non-seulement les qualités absolues de l’esprit ardent pur, & de l’esprit ardent des liqueurs sont les mêmes ; mais aussi que le degré de forces, de spirituosité de ces liqueurs, & de ces esprits ardens potables, & communément fins, est assez égal. Le parfum châtre, encore moins que le sucre, l’activité de l’esprit de-vin. On pourroit plus vraissemblablement soupçonner qu’il l’augmente au contraire, ou du-moins la seconde. Car la substance aromatique, proprement dite, est réellement échauffante, irritante, augmentant le mouvement des humeurs ; mais elle est ordinairement en trop petite quantité dans les liqueurs pour produire un effet sensible. Celles qui laissent un sentiment durable & importun de chaleur & de corrosion dans l’estomac, le gosier, la bouche, & quelquefois même la peau, & les voies urinaires, ne doivent point cet effet à leur parfum, mais à de l’huile essentielle, que nous avons déja dit en être un ingrédient desagréable, & qui en est encore, comme l’on voit, un ingrédient pernicieux. A ce dernier effet près (qui ne doit pas être mis sur le compte des liqueurs, puisque les bonnes qui

ne doivent point contenir le principe auquel il est dû, ne sauroient le produire), on peut donc assûrer que les liqueurs considérées du côté de leur effet médecinal, ont absolument, & même à-peu-près quant à l’énergie ou degré, les mêmes vertus bonnes ou mauvaises, que les simples esprits ardents. Voyez Esprit de Vin, à l’article Vin.

Il est bien vrai que les liqueurs sont des especes de vins doux artificiels ; mais l’art n’imite en ceci la nature que fort grossierement. Il ne parvient point à marier les principes spiritueux, au sucre, à l’eau, comme il l’étoit dans le vin, à de l’eau, à du tartre, à une partie extractive ou colorante, qui châtroient réellement son activité, En un mot l’esprit ardent, une fois retiré du vin, ne se combine de nouveau par aucun art connu, ne se tempere, ne s’adoucit comme il l’étoit dans le vin ; les liqueurs contiennent de l’esprit-de vin très-nud. On prépare certaines liqueurs spiritueuses, qui sont plus particulierement destinées à l’usage de la médecine, qui sont des remedes, & qui ont plus ou moins de rapport à celles dont nous venons de parler, lesquelles sont principalement destinées à l’usage de la table : les premieres sont connues sous le nom d’élixir. Voyez Elixir.

Liqueur de Caillou, (Chimie.) liquor silicum. Voyez la fin de l’article Caillou.

Liqueur de Corne de Cerf succinée, (Chimie, & Mat. méd.) on nomme ainsi un sel neutre resous, ou existant sous forme liquide, formé par l’union de l’alkali volatil de corne de cerf, au sel volatil acide de succin. Cette préparation ne demande aucune manœuvre particuliere ; pour l’avoir cependant aussi élégante qu’il est possible, il est bon d’employer les deux sels convenablement rectifiés.

Le sel contenu dans cette liqueur est un sel ammoniacal, huileux ou savoneux, c’est-à-dire enduit ou pénétré d’huile de corne de cerf, & d’huile de succin, que les sels respectifs ont retenu avec eux, lors même qu’ils ont été rectifiés.

C’est un remede moderne qu’on célebre principalement comme anti-spasmodique, & desobstruant, dans les maladies nerveuses des deux sexes, & principalement pour les femmes, dans les passions hystériques, dans les suppressions des regles, &c. (b)

Liqueur de Crystal, (Chimie.) c’est proprement la même chose que la liqueur de caillou. Voyez la fin de l’article Caillou. Car il y a une analogie parfaite quant à la composition intérieure ou chimique entre le caillou & le vrai crystal de roche, le crystal vitrifiable. Voyez Crystal. (b)

Liqueur éthérée de Frobenius, (Chimie.) Voyez Éther.

Liqueur fumante, ou Esprit fumant de Libavius, (Chimie.) On connoît sous ce nom le beurre d’étain plus ou moins liquide. Cette liqueur tire son nom du chimiste qui l’a fait connoître le premier, & de sa propriété singuliere de répandre continuellement des fumées blanches. On peut la préparer ou en distillant ensemble une partie d’étain & trois parties de sublimé corrosif, ou bien, selon le procédé de Stahl, en distillant ensemble parties égales de sublimé corrosif, & d’un amalgame préparé avec quatre parties d’étain, & cinq parties de mercure. On distille l’un & l’autre mélange dans une cornue de verre, à laquelle on adapte un récipient de verre qu’il est bon de tenir plongé dans l’eau froide.

La liqueur fumante de Libavius attire puissamment l’humidité de l’air, très-vraissemblablement parce que l’acide marin surabondant qu’elle contient, y est dans un état de concentration peut-être absolue, du-moins très-considérable. On explique très-bien par cette propriété l’éruption abondante des vapeurs très-sensibles qu’on peut même appeller grossieres