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qui secourt le lin contre cette vermine. La cendre jettée fait peu d’effet, & puis il en faudroit trop sur un grand espace. Les taupes & leurs longues tramées retournent le germe, & le rendent stérile. On les prend, & l’on raffermit avec le pié les endroits gâtés.

Du tems de la récolte. On la fait à la fin de Juin, lorsque le lin jaunit & que la feuille commence à tomber.

De la maniere de recueillir. On l’arrache par poignée. On le couche à terre comme le blé. On le releve vingt-quatre heures après, à moins qu’on ne soit hâté de le relever plûtôt, par la crainte de la pluie. Alors on dresse de grosses poignées les unes contre les autres, en forme de chevron ; de maniere que les têtes se touchent ou se croisent, & que le vuide du bas forme une tente où l’air soit admis entre les brins. C’est là ce qu’on appelle mettre en chaine. Le paysan dit qu’on les fait si longues qu’on veut ; mais il semble que les plus courtes recevront plus d’air par le bas.

Lorsqu’il est assez sec, on le met en bottes, que l’on range en lignes droites de front, sur l’épaisseur desquelles on couche d’un bout à l’autre, quatre autres bottes, afin que la graine soit couverte, & que le tout soit à l’abri de la pluie. Ces lignes se font aussi longues qu’on veut, par la raison contraire à la longueur des chaînes. Les bottes ont communément six paumes de tour.

Quand la graine est bien seche, on met le lin dans la grange ou le grenier, qu’il faut garantir soigneusement des souris. Elles aiment la graine que l’on bat, avant que de rouir. On remet le lin en bottes. On les lie bien serré en deux ou trois endroits sur la longueur. Ces bottes sont plus grosses du double que les précédentes ; c’est-à-dire qu’on en prend deux des précédentes, & qu’on les met l’une la tête au pié de l’autre qui a sa tête au pié de la premiere. Elles résistent mieux, & occupent moins d’espaces. Deux bottes ainsi liées, s’appellent un bonjeau.

C’est ainsi qu’on les fait rouir. On a pour ce travail le choix de trois saisons, ou Mars, ou Mai, ou Septembre. Le mois de Mai n’est pas regardé comme le moins favorable.

Du rouir. Rouir, c’est coucher les bonjeaux les uns contre les autres dans une eau courante, & les retourner tous les jours à la même heure, jusqu’à ce qu’on s’apperçoive que le lin est assez roui. Pour s’en assurer, on tire deux ou trois tiges, que l’on brise avec les mains ; quand la paille se détache bien, il est assez roui. Le rouir dure huit jours, plus ou moins, selon que l’eau est plus ou moins chaude.

Aussitôt qu’il est tiré du rouir, on va l’étendre fort épais sur une herbe courte ; là il blanchit. On le retourne avec une gaule au bout de trois ou quatre jours, & on le laisse trois ou quatre autres exposé. Quand il est sec & blanc, on le remet en bottes, & on le reporte au grenier. Alors les souris n’y font plus rien, & il ne dépérit pas. Lorsqu’il est à bas prix, ceux qui sont en état d’attendre, le peuvent sans danger.

Lorsqu’on ne se défait pas de son lin en bottes, il s’agit de l’écanguer.

Ecanguer le lin. Ecanguer le lin, c’est en séparer toute la paille, ou chenevote, par le moyen d’une planche échancrée d’un côté à la hauteur de ceinture d’homme, & montée sur des piés. L’écangueur étend le lin par le milieu de la longueur, sur l’échancrure ; il le tient d’une main, de l’autre il frappe avec un écang de bois dans l’endroit où le lin répond à l’échancrure ; par ce moyen il est brisé ; la paille tombe, & il ne reste que la soie. On travaille ainsi le lin sur toute sa longueur, passant successivement

d’une portion écanguée à une portion qui ne l’est pas.

Après cette opération on le remet en bottes qui ont perdu de leur volume ; de cent bottes dépouillées par l’écangue, il en reste au plus une quarantaine du poids chacune de 3 liv. ou de quatorze onces.

Du prix du travail précédent. Pour arracher & coucher, vingt-deux sols, pour relever, six sols trois deniers ; pour botteler & mettre en chaîne, six sols trois deniers ; pour battre & rebotteler, trente sols ; pour rouir, vingt sols ; pour blanchir & renfermer, quarante sols ; pour écanguer & rebotteler, neuf francs.

Des bottes & des graines qu’on retire année commune du terrein donné ci-dessus. Il donnera cent bottes à la dépouille, comme il a été dit ci-dessus, & deux avots & demi de graine.

Du prix du lin. Cette appréciation n’est pas facile. Le prix varie sans cesse. Point de récolte plus incertaine. Elle manque des quatre, cinq, six années de suite. La dépense excede quelquefois le produit, parce qu’il péche en qualité & en quantité. Il arrive que pour ne pas tout perdre, après avoir fumé la terre & semé le lin, on sera obligé de labourer & de semer en avoine. Aussi beaucoup de gens se rebutent-ils de la culture du lin.

On vend le lin de trois manieres différentes ; ou sur la terre, avec ou sans la graine, que le vendeur se reserve ; ou après avoir été recueilli, avec ou sans la graine ; ou après avoir été écangué. Dans le premier cas, on en tirera trente livres avec la graine, ou vingt-cinq sans la graine ; dans le second, trente-cinq livres avec la graine, ou trente livres sans la graine ; dans le troisieme, soixante livres.

Dépense du lin sur terre jusqu’à ce qu’il soit en état d’être vendu.
liv. sols. den.
Un avot de semence, 5 0 0
Quatre charretées de fumier, 12 0 0
Un sac de fiente de pigeon, 14 0 0
Pour deux labours, 1 17 6
Pour trois hersages, 0 9 0
Pour trois cylendrages 0 9 0
Pour semer, 0 1 3
Pour sarcler, 1 17 0

25 13 9
Vendu avec la graine, 30 0 0
Vendu sans la graine, 25 0 0

Surplus de la dépense jusqu’à ce qu’il soit roui.
Pour arracher & coucher, 1 2 0
Pour relever, 0 6 3
Pour mettre en bottes, 0 6 3

1 14 6
Dépenses antérieures, 25 13 9

Somme des dépenses, 27 8 3

Vendu avec la graine, 35 0 0
Vendu sans la graine, 30 0 0
Surplus de la dépense jusqu’à ce qu’il soit écangué.
Pour battre & rebotteler, 1 0 0
Pour rouir, 1 0 0
Pour blanchir & renfermer, 2 0 0
Pour écanguer & rebotteler, 9 0 0

13 10 0
Dépenses antérieures, 27 8 0

Somme des dépenses, 40 18 3

Vendu, 60 0 0

On sera peut-être surpris de voir le produit augmenté de cent sols depuis la recolte, la dépense ne l’étant que de trente-quatre sols six deniers. Cet accroissement n’est pas trop fort, relativement au danger que court celui qui dépouille ; car les grandes pluies qui noircissent le lin, malgré toutes les précautions, avant qu’il soit renfermé, peuvent le