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usances, est une lettre de change qui n’est payable qu’au bout d’un, deux ou trois mois ; car en style de change, une usance signifie le délai d’un mois composé de trente jours, encore que le mois fût plus ou moins long. Voyez l’ordonnance du commerce, titre V. article v. & ci-devant Lettres de change. (A)

Lettre a vue est une lettre de change qui est payable aussi-tôt qu’elle est présentée à celui sur lequel elle est tirée, à la différence de celles qui ne sont exigibles qu’après un certain délai. Quand les lettres sont payables à tant de jours de vûe, le délai ne court que du jour que la lettre a été présentée. Voyez Lettre de change. (A)

Lettres, s. f. (Gramm.) on comprend sous ce nom tous les caracteres qui composent l’alphabet des différentes nations. L’écriture est l’art de former ces caracteres, de les assembler, & d’en composer des mots tracés d’une maniere claire, nette, exacte, distincte, élégante & facile ; ce qui s’exécute communément sur le papier avec une plume & de l’encre. Voyez les articles Papier, Plume & Encre.

L’écriture étoit une invention trop heureuse pour n’être pas regardée dans son commencement avec la plus grande surprise. Tous les peuples qui en ont successivement eu la connoissance, n’ont pû s’empêcher de l’admirer, & ont senti que de cet art simple en lui-même les hommes retireroient toujours de grands avantages. Jaloux d’en paroitre les inventeurs, les Egyptiens & les Phéniciens s’en sont long-tems disputé la gloire ; ce qui met encore aujourd’hui en question à laquelle de ces deux nations on doit véritablement l’attribuer.

L’Europe ignora les caracteres de l’écriture jusques vers l’an du monde 2620, que Cadmus passant de Phénicie en Grece pour faire la conquête de la Bœotie, en donna la connoissance aux Grecs ; & 200 ans après, les Latins la reçurent d’Evandre, à qui Latinus leur roi donna pour récompense une grande étendue de terre qu’il partagea avec les Arcadiens qui l’avoient accompagné.

L’écriture étoit devenue trop utile à toutes les nations policées pour éprouver le sort de plusieurs autres découvertes qui se sont entiérement perdues. Depuis sa naissance jusqu’au tems d’Auguste, il paroit qu’elle a fait l’étude de plusieurs savans qui, par les corrections qu’ils y ont faites, l’ont portée à ce degré de perfection où on la voit sous cet empereur. On ne peut disconvenir que l’écriture n’ait dégénéré par la suite de la beauté de sa formation ; & qu’elle ne soit retombée dans la grossiereté de son origine, lorsque les Barbares, répandus dans toute l’Europe comme un torrent, vinrent fondre sur l’empire romain, & porterent aux Arts les coups les plus terribles. Mais, toute défectueuse qu’elle étoit, on la recherchoit, & ceux qui la possédoient, étoient regardés comme des savans du premier ordre. A la renaissance des Sciences & des Arts, l’écriture fut, pour ainsi dire, la premiere à laquelle on s’appliqua le plus, comme à un art utile, & qui conduisoit à l’intelligence des autres. Comme on fit un principe de le rendre simple, on retrancha peu-à-peu les traits inutiles qui l’embarrassoient ; & en suivant toujours cette méthode, on est enfin parvenu à lui donner cette forme gracieuse dont le travail n’est point difficile. N’est-il pas singulier que l’écriture si nécessaire à l’homme dans tous les états, qu’il ne peut l’ignorer sans s’avilir aux yeux des autres, à qui nous sommes redevables de tant de connoissances qui ont formé notre esprit & policé nos mœurs : n’est-il pas, dis-je, singulier qu’un art d’une si grande conséquence soit regardé aujourd’hui avec autant d’indifférence qu’il étoit recherché avec ardeur, quand il n’étoit qu’à peine dégrossi & privé des graces que le bon goût lui a fait acquérir ? L’histoire

nous fournit cent exemples du cas que les empereurs & les rois faisoient de cet art, & de la protection qu’ils lui accordoient. Entre autres, Suétone nous rapporte dans la vie d’Auguste, que cet empereur enseignoit à écrire à ses petits-fils. Constantin le Grand chérissoit la belle écriture au point qu’il recommanda à Eusebe de Palestine, que les livres ne fussent écrits que par d’excellens ouvriers, comme ils ne devoient être composés que par de bons auteurs. Pierre Messie en ses leçons, liv. III. chap. j. Charlemagne s’exerçoit à former le grand caractere romain. Hist. littéraire de la France. Selon la nouvelle diplomatique, tome II. p. 437. Charles V. & Charles VII. rois de France, écrivoient avec élégance & mieux qu’aucun maître de leur tems. Nous avons eu deux ministres, célebres par leur mérite, MM. Colbert & Desmarets, qui écrivoient avec la plus grande propreté. Le premier sur-tout aimoit & se connoissoit à cet art. Il suffisoit de lui présenter des pieces élégamment écrites pour obtenir des emplois. Ce siecle, où les belles mains étoient récompensées, a disparu trop tôt ; celui auquel nous vivons, n’offre que rarement à la plume de si heureux avantages. Un trait arrivé presque de nos jours à Rome, & attesté par M. l’abbé Molardini, secrétaire du saint-office della propaganda fide, fera connoître que l’écriture trouve encore des admirateurs, & qu’elle peut conduire aux dignités les plus éminentes ; il a assuré qu’un cardinal de la création de Clément XII. dût en partie son élévation à l’adresse qu’il avoit de bien écrire. Ce fait, tout véritable qu’il soit, paroitra extraordinaire & même douteux à beaucoup des personnes, mais les Italiens pensent autrement que nous sur l’écriture ; un habile écrivain parmi eux est autant estimé qu’un fameux peintre ; il est décoré du titre de virtuoso, & l’art jouit de la prérogative d’être libre.

S’il est indispensable de savoir écrire avec art & avec méthode, il est aussi honteux de ne le pas savoir ou de le savoir mal. Sans entrer ici dans les détails, & faire sentir les malheurs que cette ignorance occasionne, je ne m’arrêterai qu’à quelques faits. Quintillien, instit. orat. liv. I. chap. j. se plaint que de son tems on négligeoit cet art, non pas jusqu’à dédaigner d’apprendre à écrire, mais jusqu’à ne point se soucier de le faire avec élégance & promptitude. L’empereur Carin est blâmé par Vopisque d’avoir porté le dégoût pour l’écriture jusqu’à se décharger sur un secrétaire du soin de contrefaire sa signature. Egnate, liv. I. rapporte que l’empereur Licinius fut méprisé, parce qu’il ignoroit les lettres, & qu’il ne pouvoit placer son nom au bas de ses ordonnances. J’ai appris d’un homme très-connu par de savans ouvrages, & dont je tairai le nom, un trait singulier de M. le maréchal de Villars. Dans une de ses campagnes, ce héros conçut un projet qu’il écrivit de sa main. Voulant l’envoyer à la cour, il chargea un secrétaire de le transcrire ; mais il étoit si mal écrit que ce secrétaire ne put le déchiffrer, & eut recours dans cet embarras au maréchal, qui ne pouvant lui-même lire ce que sa main avoit tracé, dit, que l’on avoit tort de faire négliger l’écriture aux jeunes seigneurs, laquelle étoit si nécessaire à un homme de guerre, qui en avoit besoin pour le secret, & pour que ses ordres étant bien lus, pussent être aussi exécutés ponctuellement. Ce trait prouve bien la nécessité de savoir écrire proprement. L’écriture est une ressource toujours avantageuse, & l’on peut dire qu’elle fait souvent sortir un homme de la sphere commune pour l’élever par degrés à un état plus heureux, où souvent il n’arriveroit pas s’il ne possédoit ce talent. Un jeune gentilhomme, étant à l’armée, sollicitoit à la cour une place très-avantageuse dans une ville frontiere. Il étoit sur le point de l’obtenir, lorsqu’il envoya au ministre un mémoire