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losophie & autres Arts libéraux. Voyez Maitre ès Arts. (A)

Lettres de maitrise, sont des lettres de privilege que le roi accorde à quelques marchands ou artisans pour les autoriser à exercer un certain commerce ou métier, sans qu’ils aient fait leur apprentissage & chef-d’œuvre, ni été reçus maîtres par les autres maîtres du même commerce ou métier.

Les communautés donnent aussi des lettres de maîtrise à ceux qui ont passé par les épreuves nécessaires. Voyez Maitre & Maitrise. (A)

Lettres de maitrise, (Police.) on nomme ainsi, dans ce royaume, des actes en forme que les maîtres & gardes, & maîtres jurés délivrent à ceux qu’ils ont admis à la maîtrise, après examen, chef-d’œuvre ou expérience qu’ils ont fait ; c’est en vertu de ces lettres qu’ils ont droit de tenir magasin, ouvrir boutique, exercer le négoce ou métier, soit du corps, soit de la communauté dans laquelle ils ont été reçus ; mais on ne leur expédie ces lettres qu’après qu’ils ont prêté serment & payé les droits de confrairie.

Exposons ici les réflexions d’un auteur moderne, à qui l’Encyclopédie doit beaucoup, & qui a joint à de grandes connoissances du commerce & des finances, les vues désintéressées d’un bon citoyen.

Il est parlé dans les anciens capitulaires de chef d’œuvre d’ouvriers, mais nulle part de lettres de maîtrise ; la raison ne favorise en aucune maniere l’idée d’obliger les artisans, de prendre de telles lettres, & de payer tant au roi qu’aux communautés, un droit de réception. Le monarque n’est pas fait pour accepter en tribut le fruit du labeur d’un malheureux artisan, ni pour vouloir astreindre ses sujets à un seul genre d’industrie, lorsqu’ils sont en état d’en professer plusieurs. L’origine des communautés est dûe vraissemblablement au soutien que les particuliers industrieux chercherent contre la violence des autres. Les rois prirent ces communautés sous leur protection, & leur accorderent des privileges. Dans les villes où l’on eut besoin d’établir certains métiers, l’entrée en fut accordée libéralement, en faisant épreuve, & en payant seulement une légere rétribution pour les frais communs.

Henri III. voulant combattre le parti de la ligue, & étant trompé par ce même parti, ordonna le premier en 1581, que tous négocians, marchands, artisans, gens de métier, résidens dans les bourgs & villes du royaume, seroient établis en corps, maîtrise & jurande, sans qu’aucun pût s’en dispenser. Les motifs d’ordre & de regle, ne furent point oubliés dans cet édit ; mais un second qui suivit en 1583, dévoila le mystere. Le roi déclara que la permission de travailler étoit un droit royal & domanial ; en conséquence, il prescrivit les sommes qui seroient payées par les aspirans, tant au domaine qu’aux jurés & communautés.

Pour dédommager les artisans de cette nouvelle taxe, on leur accorda la permission de limiter leur nombre, c’est-à-dire d’exercer des monopoles. Enfin, l’on vendit des lettres de maîtrise, sans que les titulaires fussent tenus à faire épreuve ni apprentissage ; il falloit de l’argent pour les mignons.

Cependant le peuple en corps ne cessa de reclamer la liberté de l’industrie. Nous vous supplions, Sire, dit le tiers-état dans ses placets, « que toutes maîtrises de métiers soient à jamais éteintes ; que les exercices desdits métiers soient laissés libres à vos pauvres sujets, sous visite de leurs ouvrages & marchandises par experts & prud’hommes, qui à ce seront commis par les juges de la police : nous vous supplions, Sire, que tous édits d’Arts & Métiers, accordés en faveur d’entrées, mariages, naissances ou d’autres causes, soient

révoqués ; que les marchands & artisans ne payent rien pour leur réception, levement de boutique, salaire, droits de confrairie, & ne fassent banquets ou autres frais quelconques à ce sujet, dont la dépense ne tend qu’à la ruine de l’état, &c ».

Malgré ces humbles & justes supplications, il continua toujours d’être défendu de travailler à ceux qui n’avoient point d’argent pour en acheter la permission, ou que les communautés ne vouloient pas recevoir, pour s’épargner de nouveaux concurrens.

M. le duc de Sully modéra bien certains abus éclatans des lettres de maîtrise ; mais il confirma l’invention, n’appercevant que de l’ordre dans un établissement dont les gênes & les contraintes, si nuisibles au bien politique, sautent aux yeux.

Sous Louis XIV. on continua de créer de nouvelles places de maîtres dans chaque communauté, & ces créations devinrent si communes, qu’il en fut accordé quelques-unes en pur don, indépendamment de celles qu’on vendit par brigue.

Tout cela cependant ne présente que d’onéreuses taxes sur l’industrie & sur le commerce. De-là sont venues les permissions accordées aux communautés d’emprunter, de lever sur les récipiendaires & les marchandises, les sommes nécessaires pour rembourser ou payer les intérêts.

Les seuls inconvéniens qui sont émanés de ces permissions d’emprunter, méritent la réforme du gouvernement. Il est telle communauté à Paris, qui doit quatre à cinq cent milles livres, dont la rente est une charge sur le public, & une occasion de rapines ; car chaque communauté endettée obtient la permission de lever un droit, dont le produit excédant la rente, tourne au profit des gardes. Ces sortes d’abus regnent également dans les provinces, excepté que les emprunts & les droits n’y sont pas si considérables, mais la proportion est la même ; ne doutons point que la multiplicité des débiteurs ne soit une des causes qui tiennent l’argent cher en France au milieu de la paix.

Ce qui doit paroître encore plus extraordinaire, c’est qu’une partie de ces sommes ait été & soit journellement consommée en procès & en frais de justice. Les communautés de Paris, grace aux lettres de maîtrise, dépensent annuellement près d’un million de cette maniere ; c’est un fait avéré par leur registre. A ne compter dans le royaume que vingt mille corps de jurande ou de communautés d’artisans, & dans chacun une dette de cinq mille livres, l’un portant l’autre ; si l’on faisoit ce dépouillement, on trouveroit beaucoup au-delà ; ce sont cent millions de dettes, dont l’intérêt à cinq pour cent se leve sur les marchandises consommées, tant au-dedans qu’au dehors ; c’est donc une imposition réelle dont l’état ne profite point.

Si l’on daigne approfondir ce sujet, comme on le fera sans doute un jour, on trouvera que la plûpart des autres statuts de M. Colbert, concernant les lettres de maîtrise & les corps de métiers, favorisent les monopoles au lieu de les extirper, détruisent la concurrence, & fomentent la discorde & les procès entre les classes du peuple, dont il est le plus important de réunir les affections du côté du travail, & de ménager le tems & la bourse.

Enfin, l’on y trouvera des bisarreries, dont les raisons sont inconcevables. Pourquoi, par exemple, un teinturier en fil n’a-t-il pas la permission de teindre ses étoffes ? Pourquoi est-il défendu aux teinturiers d’avoir plus de deux apprentifs ? Pourquoi leurs veuves sont-elles dépouillées de ce droit ? Pourquoi les chapeliers sont-ils privés en même tems de faire le commerce de la bonneterie ? La liste des pourquoi seroit grande, si je voulois la continuer ; on ne peut donner à ces sortes de questions d’autre réponse, si-