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vœux des peuples & qu’ils en sont mécontens au point de se permette quelque doute sur sa divinité, les mandarins saisissent ce moment pour abolir une superstition, ils brisent le dieu & renversent le temple.

L’éducation des enfans sera pour le législateur un moyen efficace pour attacher les peuples à la patrie, pour leur inspirer l’esprit de communauté, l’humanité, la bienveillance, les vertus publiques, les vertus privées, l’amour de l’honnête, les passions utiles à l’état, enfin pour leur donner, pour leur conserver la sorte de caractere, de génie qui convient à la nation. Par-tout où le législateur a eu soin que l’éducation fût propre à inspirer à son peuple le caractere qu’il devoit avoir, ce caractere a eu de l’énergie & a duré long-tems. Dans l’espace de 500 ans il ne s’est presque pas fait de changement dans les mœurs étonnantes de Lacédémone. Chez les anciens Perses l’éducation leur faisoit aimer la monarchie & leurs lois ; c’est sur-tout à l’éducation que les Chinois doivent l’immutabilité de leurs mœurs ; les Romains furent long-tems à n’apprendre à leurs enfans que l’Agriculture, la science militaire & les lois de leur pays ; ils ne leur inspiroient que l’amour de la frugalité, de la gloire & de la patrie ; ils ne donnoient à leurs enfans que leurs connoissances & leurs passions. Il y a dans la patrie différens ordres, différentes classes ; il y a des vertus & des connoissances qui doivent être communes à tous les ordres, à toutes les classes ; il y a des vertus & des connoissances qui sont plus propres à certains états, & le législateur doit faire veiller à ces détails importans. C’est sur-tout aux princes & aux hommes qui doivent tenir un jour dans leurs mains la balance de nos destinées, que l’éducation doit apprendre à gouverner une nation de la maniere dont elle veut & dont elle doit l’être. En Suede le roi n’est pas le maître de l’éducation de son fils ; il n’y a pas long-tems qu’à l’assemblée des états de ce royaume un sénateur dit au gouverneur de l’héritier de la couronne : Conduisez le prince dans la cabane de l’indigence laborieuse : faites-lui voir de près les malheureux, & apprenez-lui que ce n’est pas pour servir aux caprices d’une douzaine de souverains que les peuples de l’Europe sont faits.

Quand les lois constitutives & civiles, les formes, l’éducation ont contribué à assurer la défense, la subsistance de l’état, la tranquillité des citoyens & les mœurs ; quand le peuple est attaché à la patrie & a pris la sorte de caractere la plus propre au gouvernement sous lequel il doit vivre, il s’établit une maniere de penser qui se perpétue dans la nation ; tout ce qui tient à la constitution & aux mœurs paroît sacré ; l’esprit du peuple ne se permet pas d’éxaminer l’utilité d’une loi ou d’un usage : on n’y discute ni le plus ni le moins de nécessité des devoirs, on ne sait que les respecter & les suivre ; & si on raisonne sur leurs bornes, c’est moins pour les resserrer que pour les étendre : c’est alors que les citoyens ont des principes qui sont les regles de leur conduite, & le législateur ajoute à l’autorité que lui donnent les lois celle de l’opinion. Cette autorité de l’opinion entre dans tous les gouvernemens & les consolide ; c’est par elle que presque par-tout le grand nombre mal conduit ne murmure pas d’obéir au petit nombre : la force réelle est dans les sujets, mais l’opinion fait la force des maîtres, cela est vrai jusques dans les états despotiques. Si les empereurs de Rome & les sultans des Turcs ont regné par la crainte sur le plus grand nombre de leurs sujets, ils avoient pour s’en faire craindre des prétoriens & des janissaires sur lesquels ils regnoient par l’opinion : quelquefois elle n’est qu’une idée répandue que la famille régnante a un droit réel au trône : quelquefois elle tient à la religion, souvent à l’idée qu’on s’est faite

de la grandeur de la puissance qui opprime ; la seule vraiment solide est celle qui est fondée sur le bonheur & l’approbation des citoyens.

Le pouvoir de l’opinion augmente encore par l’habitude, s’il n’est affoibli par des secousses imprévues, des révolutions subites, & de grandes fautes.

C’est par l’administration que le législateur conserve la puissance, le bonheur & le génie de son peuple ; & sans une bonne administration, les meilleures lois ne sauvent ni les états de leur décadence, ni les peuples de la corruption.

Comme il faut que les lois ôtent au citoyen le moins de liberté qu’il est possible, & laissent le plus qu’il est possible de l’égalité entr’eux ; dans les gouvernemens où les hommes sont le moins libres & le moins égaux, il faut que par l’administration le législateur leur fasse oublier ce qu’ils ont perdu des deux grands avantages de l’état de nature ; il faut qu’il consulte sans cesse les desirs de la nation ; il faut qu’il expose aux yeux du public les détails de l’administration ; il faut qu’il lui rende compte de ses graces ; il doit même engager les peuples à s’occuper du gouvernement, à le discuter, à en suivre les opérations, & c’est un moyen de les attacher à la patrie. Il faut, dit un roi qui écrit, vit & regne en philosophe, que le législateur persuade au peuple que la loi seule peut tout, & que la fantaisie ne peut rien.

Le législateur disposera son peuple à l’humanité, par la bonté & les égards avec lesquels il traitera tout ce qui est homme, soit citoyen, soit étranger, en encourageant les inventions & les hommes utiles à la nature humaine ; par la pitié dont il donnera des preuves au malheureux ; par l’attention à éviter la guerre & les dépenses superflues ; enfin par l’estime qu’il accordera lui-même aux hommes connus par leur bonté.

La même conduite, qui contribue à répandre parmi son peuple le sentiment d’humanité, excite pour lui ce sentiment de bienveillance, qui est le lien de son peuple à lui ; quelquefois il excitera ce sentiment par des sacrifices éclatans de son intérêt personnel à l’intérêt de sa nation, en préférant, par exemple, pour les graces l’homme utile à la patrie à l’homme qui n’est utile qu’à lui. Un roi de la Chine ne trouvant point son fils digne de lui succéder, fit passer son sceptre à son ministre, & dit : J’aime mieux que mon fils soit mal, & que mon peuple soit bien, que si mon fils étoit bien, & que mon peuple fût mal. A la Chine, les édits des rois sont les exhortations d’un pere à ses enfans ; il faut que les édits instruisent, exhortent autant qu’ils commandent : c’étoit autrefois l’usage de nos rois, & ils ont perdu à le négliger. Le législateur ne sauroit donner à tous les ordres de l’état trop de preuves de sa bienveillance : un roi de Perse admettoit les laboureurs à sa table, & il leur disoit : Je suis un d’entre vous ; vous avez besoin de moi, j’ai besoin de vous ; vivons en freres.

C’est en distribuant justement & à-propos les honneurs, que le législateur animera le sentiment de l’honneur, & qu’il le dirigera vers le bien de l’état : quand les honneurs seront une récompense de la vertu, l’honneur portera aux actions vertueuses.

Le législateur tient dans ses mains deux rènes, avec lesquelles il peut conduire à son gré les passions ; je veux dire les peines & les récompenses. Les peines ne doivent être imposées qu’au nom de la loi par les tribunaux ; mais le législateur doit se réserver le pouvoir de distribuer librement une partie des récompenses.

Dans un pays où la constitution de l’état intéresse les citoyens au gouvernement, où l’éducation