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au sortir du pis, bouilli, &c. est souvent si essentielle que tel estomac exige constamment l’un de ces états, à l’exclusion de tous les autres ; mais elle est entierement dépendante d’une disposition inconnue, & aussi bisarre que tout ce qui regarde le goût. Le lait coupé avec l’eau ou les décoctions farineuses, passe beaucoup plus aisément, & ce mélange ne remplit que l’indication simple qui fait employer le lait ; les sucs, décoctions, infusions vulnéraires, sudorifiques, &c. mêlés avec le lait, remplissent des indications composées. On ordonne par exemple, le lait coupé avec le suc ou la décoction de plantain, dans les pertes de sang, pour adoucir par le lait, & resserrer par le plantain, &c. Les mélanges peu communs de bouillon, & de liqueurs vineuses avec le lait sont plus nourrissans & plus fortifians que le lait pur. Le dernier est même une espece de stomachique cordial chez certains sujets singuliers, indéfinis, indéfinissables, qu’on ne découvre que par instinct ou par tatonnement. Le lait assaisonné de sucre, de sel, de poudre absorbante, &c. est utilement préservé par ces additions, des différentes altérations auxquelles il est sujet. Il est sur-tout utile de le ferrer, pour prévenir ou pour arrêter le devoyement. Les farineux mêlés au lait l’empêchent aussi de jouir de tous ses droits, d’être autant sui juris ; il est au contraire entraîné dans la digestion propre à ces substances, beaucoup plus appropriées que le lait à nos organes digestifs, & même éminemment digestibles pour ainsi dire ; mais aussi l’effet médicamenteux du lait est moindre dans la même proportion. Enfin le lait écremé passe plus communément que le lait entier ; il est moins sujet à fatiguer l’estomac.

Choix du lait. On doit prendre le lait d’un jeune animal, bien soigné, nourri habituellement à la campagne, & dans de bons paturages autant qu’il est possible, ou du moins dans une étable bien aérée, & pourvûe de bonne litiere fraîche, abondante, & souvent renouvellée. Les vaches qu’on entretient dans les fauxbourgs de Paris pour fournir du lait à la ville, ne jouissent certainement d’aucun de ces avantages, & sur-tout de celui d’une étable bien saine, & d’une litiere fraîche, choses très-essentielles pourtant à la santé de l’animal, & par conséquent à la bonne qualité du lait. Le lait est meilleur quelques semaines après que la bête qui le fournit a mis bas, & tant qu’elle en donne abondamment, que dans les premiers jours, & lorsqu’il commence à être moins abondant. On doit rejetter celui d’une bête pleine, ou qui est en chaleur : on doit choisir le lait aussi frais & aussi pur qu’il est possible. On en vend assez communément à Paris qui est fourré d’eau & de farine, & qui d’ailleurs est fort peu récent. Il importe beaucoup encore de le loger dans des vaisseaux propres, & qui ne puissent lui communiquer aucune qualité nuisible. Il s’en faut bien que les cruches de cuivre dans lesquelles on le porte ordinairement à Paris, soient des vaisseaux convenables à cet usage. Un reste de lait oublié dans ces cruches, est, par sa pente à aigrir, beaucoup plus propre que la plupart des liqueurs qu’on loge dans le cuivre, à y former du verd-de-gris, qui communique très aisément sa qualité malfaisante au lait qu’on y met ensuite. Les exemples de familles entieres empoisonnées par de pareil lait, ne sont pas rares à Paris. On prétend enfin qu’il est utile pendant l’usage suivi & continu du lait, de prendre constamment celui d’une même vache ou d’une même chevre. En effet, il se trouve des estomacs dont la sensibilité est si exquise, qu’ils distinguent très-bien les laits tirés de diverses individus, & qui n’en peuvent supporter l’alternative ou le mélange. C’est encore ici une disposition d’organes particuliere aux victimes du luxe. Les estomacs vulgaires n’y regardent pas de si près ; il est très-avantageux pour les premiers, & c’est aussi un usage re-

çu chez les grands, de prendre une vache ou une

chevre à soi.

Usage extérieur du lait. On emploie assez communément le lait comme émollient, calmant, adoucissant dans plusieurs affections externes, principalement quand elles sont accompagnées de douleurs vives. On en verse quelques gouttes dans les yeux contre l’ophtalmie ; on bassine les hémorrhoïdes très-douloureuses avec du lait chaud ; on le donne en lavement dans les dyssenteries ; on le fait entrer dans les bouillies, les cataplasmes, &c. qu’on applique sur des tumeurs inflammatoires, &c. Cet emploi ne mérite aucune considération particuliere ; on peut avancer qu’en général il réussit assez bien dans ces cas.

2°. Du lait d’ânesse, c’est-à-dire, des usages medicinaux du lait d’ânesse. Ce que nous avons dit de la composition naturelle du lait d’ânesse, annonce déja ses propriétés medicinales. On peut en déduire, avec beaucoup de vraissemblance, que ce lait possede en un degré supérieur toutes les vertus du lait, sans faire appréhender ses principaux inconvéniens. En effet, c’est par le principe caséeux & par le principe butyreux que le lait est principalement capable de produire tous les accidens qu’on lui reproche. C’est par la facilité avec laquelle ces principes se séparent & s’alterent diversement dans le lait de vache, par exemple, que ce lait est sujet à produire les mauvais effets que nous avons détaillés plus haut. Or le lait d’ânesse contient fort peu de ces principes. Une expérience ancienne & constante vient à l’appui de ce raisonnement. Hippocrate a compté parmi les bonnes qualités du lait d’ânesse, celle de passer plus facilement par les selles que les autres especes de lait, de lâcher doucement le ventre. Sur quoi il faut observer que cet effet appartient au lait d’ânesse inaltéré ; au lieu que le lait de vache, par exemple, ne devient laxatif que lorsqu’il a essuyé une vraie corruption. Aussi un leger dévoiement, ou du-moins une ou deux selles liquides, quelques heures après l’usage du lait d’ânesse, sont ordinairement un bien, un signe que le remede réussit, & ces selles sont sans douleur & sans ventosités : au lieu que le dévoiement, même égal pour l’abondance & la fréquence des selles, est presque toujours de mauvais augure pendant l’usage du lait de vache ou de chevre, & les déjections sont ordinairement flatueuses & accompagnées de quelques tranchées. Au reste, il faut observer qu’il ne s’agit point ici du dévoiement qu’on peut appeller in extremis, c’est-à dire, de celui par lequel finissent communément les malades qui succombent à plusieurs des maladies pour lesquelles on donne du lait. Il est à peu-prés démontré, comme nous l’avons remarqué plus haut, que cet accident appartient à la marche de la maladie, & non pas au lait, ou à tel lait.

La quantité très-considérable de substance sucrée que contient le lait d’ânesse le rend aussi très-nourrissant. Cette substance est dans le lait la matiere nutritive par excellence ; la substance caséeuse ne mérite que le second rang, & le beurre n’est point nourrissant, du-moins le beurre pur. C’est par conséquent un préjugé, une erreur, que d’imaginer, comme on le fait assez généralement, que le lait le plus épais est le plus nourrissant, car c’est le plus butyreux qui est le plus épais ; & un lait très-clair, comme celui d’ânesse, peut être éminemment sucré, comme il l’est en effet. C’est manifestement cette opinion qui a empêché d’essayer l’usage du lait d’ânesse pour toute nourriture, ou du-moins cet usage de prendre, si tant est que quelqu’un l’ait essayé. Or je crois que cette pratique pourroit devenir très-salutaire.

Selon la méthode ordinaire, le lait d’ânesse se donne seulement une fois par jour, à la dose de huit onces jusqu’à une livre. On le prend ou le matin à