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R. des Sc. ann. 1712. que la partie caséeuse & la butireuse étoient contenues à parties à peu près égales dans le lait de vache. Ainsi supposé que l’eau employée à lessiver le lait concentré & desséché, n’en ait emporté que la matiere qui est naturellement dissoute dans le petit-lait, il résultera de ces expériences que le lait de vache examiné par Hoffman, contenoit environ un seizieme de son poids de beurre, autant de fromage, & un soixante-quatrieme de matiere, tant saline ou sucrée, que caseoso-butyreuse, soluble par l’eau. Voyez Petit-lait & Sucre de lait.

Les mêmes expériences tentées par Hoffman & par Homberg sur le lait de chevre, ont indiqué que la proportion des principes étoit la même dans ce lait : & que la quantité de matiere concrescible prise en somme, étoit seulement moindre d’un vingt-sixieme.

Hoffman a tiré, par la même voie, de douze onces de lait d’anesse, une once de résidu sec, pulvérulent & blanc, qui ayant été lessivé avec de l’eau bouillante, a perdu environ sept gros. Homberg prétend que le lait d’anesse contient trois ou quatre sois plus de fromage que de crême ou de substance dans laquelle le beurre domine. Ainsi la partie soluble dans l’eau, ou le sucre de lait un peu barbouillé de fromage & de beurre domine dans le lait d’anesse, y est contenue à la quantité d’environ un quinzieme ou un seizieme du poids total ; le beurre fait tout au plus le trois-centieme du tout, & le fromage le centieme.

Le lait de femme a donné à Hoffman un résidu blanchâtre, presqu’égal en quantité à celui du lait d’ânesse ; mais qui ne contenoit pas tant de matiere soluble par l’eau, & seulement six gros sur neuf ou les deux tiers.

Les expériences que nous venons de rapporter ont été faites avec beaucoup de négligence & d’inéxactitude ; l’énoncé de celles d’Homberg est on ne peut pas plus vague, & Hoffman a manqué, 1°. à employer le bain-marie pour dessécher la substance fixe ou concrescible du lait : or il est presqu’impossible de dessécher cette matiere parfaitement au feu nud, sans la brûler ou du moins la rissoler tant soit peu, ce qui est le défaut contraire au desséchement imparfait. Secondement, il n’a point distingué dans la partie insoluble de son résidu, le beurre du fromage, ni dans la matiere enlevée par les lessives le sel ou sucre du lait d’un fromage subtil, uni à un peu de beurre que l’eau entraîne avec ce sel, qui fournit la matiere de la recuite, & qui est celle qu’on se propose d’enlever par la clarification du petit-lait, & par la lotion du sel ou sucre de lait. Voyez ci-dessous Petit-lait & Sucre de lait. Cet examen bien fait seroit donc encore un travail tout neuf, & certainement, indépendamment des différences qu’on doit se promettre dans les résultats d’une analyse exacte, on en trouveroit beaucoup qui seroient nécessairement dépendantes de l’âge, du tempérament de la santé des divers animaux, & sur-tout de la maniere dont ils seroient nourris ; par exemple des paturages plus ou moins gras, & encore du climat où ils vivroient, &c.

Ce que nous venons de rapporter, tout imparfait qu’il est, suffit pourtant pour fixer l’idée des Médecins sur les différences essentielles des especes de lait qui fournissent des alimens ou des remedes aux hommes ; car l’usage médicinal se borne presque aux quatre especes de lait dont nous venons de faire mention ; & il est connu encore par des observations à peu près suffisantes, que le lait de brebis qu’on emploie dans quelques contrées, est fort analogue à celui de vache, & que le lait de jument, dont l’usage commence à s’établir en France, est d’une nature

moyenne entre le lait de vache & celui d’ânesse, s’approchant pourtant d’avantage de celle du dernier. Celui de chameau dont les peuples du Levant se servent, est un objet absolument étranger pour nous.

Usage diététique & médicamenteux du lait, & premierement du lait de vache, de chevre &. de brebis.

Le lait de vache est, pour les Médecins, le lait par excellence ; c’est de ce lait qu’il est toujours question dans leurs ouvrages, lorsqu’ils parlent de lait en général, & sans en déterminer l’espece. Le lait de vache possede en effet le plus grand nombre des qualités génériques du lait : il est, s’il est permis de s’exprimer ainsi, le plus lait de tous ceux que la Médecine emploie, celui qui contient les principes que nous avons exposés plus haut, dans la proportion la plus exacte. Il est vraissemblable pourtant que cette espece de prééminence lui a été principalement accordée, parce qu’il est le plus commun de tous, celui qu’on a le plus commodément sous la main ; car le lait de chevre est très-analogue au lait de vache : la prétendue qualité plus particulierement pectorale, vulnéraire, par laquelle on distingue le premier dans la pratique la plus reçue, est peu évidente ; & dans les pays où l’on trouve plus facilement du lait de chevre que du lait de vache, on emploie le premier au lieu du second, sans avoir observé des différences bien constatées dans leurs bons & dans leurs mauvais effets. Le lait de brebis supplée très-bien aussi dans tous les cas à l’un & à l’autre, dans les pays où l’on manque de vaches & de chevres. Tout cela pourroit peut-être s’éclaircir par des observations : je dis peut-être, car ces observations seroient au moins très-difficiles, très-fines. Quoi qu’il en soit, elles n’existent pas, & il paroît que l’art y perd peu. On peut cependant, si l’on veut, regarder le lait de vache comme le remede principal, chef majeur ; & les deux autres seulement comme ses succédanées.

Le mot lait sans épithéte signifiera donc dans la suite de cet article, comme il doit le signifier dans les ouvrages de Médecine, lait de vache, ou à son défaut lait de chevre ou de brebis ; & nous renfermerons ce que nous avons à dire à ce sujet dans les considérations suivantes, où nous nous occuperons premierement de ses usages diététiques dans l’état sain, & ensuite de son emploi plus proprement médicinal, c’est-à-dire dans le cas de maladie.

Le lait fournit à des nations entieres, principalement aux habitans des montagnes, la nourriture ordinaire, journaliere, fondamentale. Les hommes de ces contrées sont gras, lourds, paresseux, stupides ou du moins graves, sérieux, pensifs, sombres. Il n’est pas douteux que l’usage habituel du lait ne soit une des causes de cette constitution populaire. La gaité, l’air leste, la légereté, les mouvemens aisés, vifs & vigoureux des peuples qui boivent habituellement du vin, en est le contraste le plus frappant.

Ce qui confirme cette conjecture, & qui est en même tems une observation utile, c’est que le lait donné pour toute nourriture, ou ce qu’on appelle communément la diete lactée ou la diete blanche, que ce régime, dis-je, jette très-communément les sujets qu’on y soumet dans une mélancolie très-sombre, très-noire, dans des vapeurs affreuses.

Il est admirable cependant combien le lait pris en très-petite quantité pour toute nourriture, nourrit & soutient, lorsqu’il réussit, les personnes mêmes les plus vigoureuses, & de l’esprit le plus vif, sans faire tomber sensiblement leurs forces corporelles, & sans affoiblir considérablement leurs facultés intellectuelles, & cela pendant des années entieres. On comprend plus aisément, mais il est pourtant