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coup plus de tems, pendant trente-six & même quarante-huit heures, plus ou moins, selon la température de l’air ; au lieu que le lait qui n’a pas bouilli, se conserve à peine douze heures. Mais enfin, comme nous venons de l’indiquer, la séparation du fromage & du petit-lait arrivent enfin aussi bien que l’aigrissement du petit-lait.

On opere encore la décomposition du lait par un moyen très-connu, très-vulgaire, mais dont il n’existe encore dans l’art aucune théorie satisfaisante, je veux dire, la coagulation par l’application de certaines substances, savoir les acides (soit foibles, soit très-forts, tels que l’acide vitriolique le plus concentré, qu’Hoffman prétend produire dans le lait l’effet directement contraire. Voyez la dissertation de salub. seri lactis virtute, §. 4), les alcalis, les esprits ardens, & particulierement le lait aigri dans l’estomac des jeunes animaux à la mamelle, lactantium, & certaines fleurs & étamines ; ce lait aigri & ces fleurs tirent de leur usage le nom commun de presure. Voy. Coagulation, Presure & Lait, Economie rustique.

Le lait n’est séparé par la coagulation qu’en deux parties, & cette séparation n’est pas absolue ou parfaite. Le coagulum ou caillé contient cependant presque tout le fromage & le beurre, & la liqueur est le petit-lait ou le principe aqueux chargé du sel ou sucre, & d’une très petite quantité de fromage & de beurre.

Quelques auteurs ont prétendu que de même que certaines substances mêlées au lait hâtoient son altération ou le coaguloient, de même il en étoit d’autres qui le préservoient de la coagulation en opérant une espece d’assaisonnement. Ils ont attribué principalement cette vertu aux eaux minérales alcalines ou sulphureuses, & aux spiritueuses. Ces prétentions sont sans fondement : on ne connoît aucune matiere qui étant mêlée en petite quantité au lait, en empêche l’altération spontanée ; & quant aux eaux minérales, j’ai éprouvé que le principe aqueux étoit le seul agent utile dans les mélanges d’eaux minérales & de lait, faits dans la vûe de corriger la tendance du lait à une prompte décomposition : car il est vrai que ces eaux minérales mêlées à du lait frais à parties à-peu-près égales, en retardent sensiblement, quoique pour peu de tems, l’altération spontanée ; mais de l’eau pure produit exactement le même effet.

Le petit-lait n’aigrit point, n’a pas le tems d’aigrir dans cette derniere opération. Aussi est-ce toûjours par ce moyen qu’on le sépare pour l’usage médicinal ordinaire. Voyez Petit-lait, à la suite du présent article.

Le lait distillé au bain-marie, donne un phlegme chargé d’une odeur de lait ; mais cette odeur n’est point dûe à un principe aromatique particulier, & distinct des principes dont nous avons parlé jusqu’à présent. Ce n’est ici, comme dans toutes les substances véritablement inodores (c’est-à-dire dépourvûes d’un principe aromatique dictinct) qui se font reconnoître pourtant dans le produit le plus mobile de leur distillation, qu’une foible & legere émanation, effluvium, de leur substance entiere.

Tout ce principe aqueux étant séparé par la distillation au bain-marie, ou dissipé par l’évaporation libre au même degré de chaleur, on obtient une matiere solide, friable, jaunâtre, d’un goût gras & sucré assez agréable, qui étant jettée dans des liqueurs aqueuses bouillantes, s’y dissout en partie, les blanchit, & leur donne presque le même goût que le mêlange du lait frais & inaltéré. Il est évident que cette matiere n’est que du lait concentré, mais cependant un peu dérangé dans sa composition. Voyez Sucre de lait, à la suite du présent article.

L’analyse ultérieure à la violence du feu, ou la distillation par le feu seul poussée jusqu’à ses derniers degrés, fournit une quantité assez considérable d’huile empyreumatique ; & s’il en faut croire Homberg, Mém. de l’Acad. royale des Scienc. 1712, incomparablement plus d’acide que le sang & la chair des gros animaux, & point du tout de sel volatil concret. Cette attention à spécifier l’état concret de l’alcali volatil que ce chimiste exclut des produits du lait, fait conjecturer, avec beaucoup de fondement, qu’il retiroit du lait de l’alcali volatil sous son autre forme, c’est-à-dire liquide. Or, quoique les matieres d’où on ne retire de l’alcali volatil que sous cette derniere forme, dans les distillations vulgaires, en contiennent beaucoup moins en général que celles qui fournissent communément ce principe sous forme concrete, cependant cette différence peut n’être qu’accidentelle, dépendre d’une circonstance de manuel, savoir du desséchement plus ou moins absolu du sujet pendant le premier tems de la distillation. Voyez Distillation, Manuel Chimique & Sel volatil. Ainsi l’observation d’Homberg sur ce principe du lait, n’est rien moins qu’exacte & positive.

Ce que nous avons dit du lait jusqu’à présent, convient au lait en général. Ces connoissances sont déduites des observations faites sur le lait de plusieurs animaux, différant entr’eux autant qu’il est possible à cet égard, c’est-à-dire sur celui de plusieurs animaux qui ne se nourrissent que de substances végétales, & sur celui de certains autres qui vivent principalement de chair. L’analogie entre ces différens laits est parfaite, du moins très considérable ; & il y a aussi très-peu de différence quant au fond de la composition du lait entre celui que donne un même individu, une femme, par exemple, nourrie absolument avec des végétaux, ou qui ne vivra presque que de substances animales. Ce dernier fait est une suite bien naturelle de l’observation précédente. Une expérience décisive prouve ici que la Chimie, en découvrant cette identité, ne l’établit point seulement sur des principes grossiers, tandis que des principes plus subtils & qui fondent des différences essentielles lui échappent. Cette expérience est que les quadrupedes, soit très-jeunes, lactantia, soit adultes, sont très-bien nourris avec le lait de quelqu’autre quadrupede que ce soit : on éleve très bien un jeune loup avec du lait de brebis. Rien n’est si commun que de voir des petits chats têter des chiennes. On nourrit très-bien les enfans avec le lait de vache, de chevre, &c. Un observateur très-judicieux, très-philosophe, très-bon citoyen, a même prétendu qu’il résulteroit un grand bien pour l’espece humaine en général, & un avantage décidé pour les individus, de l’usage de nourrir tous les enfans avec le lait des animaux. Voyez Nourrice.

Cette identité générique ou fondamentale, n’empêche pas que les laits des divers animaux ne soient distingués entr’eux par des qualités spécifiques ; la différence qui les spécifie principalement & essentiellement, c’est la diverse proportion des principes ci-dessus mentionnés. Les Chimistes medecins se sont principalement attachés à déterminer ces proportions dans les especes de lait qui ont des usages médicinaux, savoir le lait de femme, le lait d’anesse & celui de jument, le lait de vache, celui de chevre, & celui de brebis.

Frideric Hoffman a trouvé qu’une livre de médecine ou douze onces de lait de vache, épuisée par l’évaporation de sa partie aqueuse, laissoit une once & cinq gros de matiere jaunâtre, concrete, seche & pulvérulente ; que cette matiere lessivée avec l’eau bouillante, perdoit une dragme & demie. Homberg a d’ailleurs observé dans les mémoires de l’acad.