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Inflexion. Et moins on peut dire que ce système est l’ouvrage de la Philosophie humaine, plus il y a lieu d’assurer qu’il est inspiré par la raison souveraine, dont la nôtre n’est qu’une foible émanation & une image imparfaite.

Que suit-il de-là ? Deux conséquences importantes : la premiere, c’est qu’il y a dans les langues beaucoup moins d’irrégularités réelles qu’on n’a coûtume de le croire. La seconde, c’est que les irrégularités véritables qu’on ne peut refuser d’y reconnoître, sont fondées sur des raisons particulieres, plus urgentes sans doute que la raison générale du système abandonné ; & par conséquent, ces prétendus écarts n’en sont au fond que plus réguliers ; parce que la grande régularité consiste à être raisonnable. Outre la liaison nécessaire de ces deux conséquences avec le principe d’où je les ai déduites, chacune d’elles se trouve encore confirmée par des preuves de fait.

1°. Il est certain que le commun des Grammairiens imagine beaucoup plus d’irrégularités qu’il n’y en a dans les langues. Voyez la Minerve de Sanctius, lib. I. cap. ix. vous y trouverez une foule de noms latins qui passent pour être d’un genre au singulier, & d’un autre au pluriel, & qui n’ont cette apparence d’irrégularité, que pour avoir été usités dans les deux genres : d’autres qui semblent être de deux déclinaisons, ne sont dans ce cas, que parce qu’ils ont été des deux, sous deux terminaisons différentes qui les y assujettissoient. Le système des tems, sur-tout dans notre langue, n’a paru à bien des gens, qu’un amas informe de variations discordantes, décidées sans raison & arrangées sans goût, par la volonté capricieuse d’un usage également aveugle & tyrannique. « En lisant nos Grammairiens, dit l’auteur des jugemens sur quelques ouvrages nouveaux, tom. IX. pag. 73. & suiv. il est fâcheux de sentir, malgré soi, diminuer son estime pour la langue françoise, où l’on ne voit presque aucune analogie ; où tout est bisarre pour l’expression comme pour la prononciation, & sans cause ; où l’on n’apperçoit ni principes, ni regles, ni uniformité ; où enfin, tout paroît avoir été dicté par un capricieux génie ». Que ceux qui pensent ainsi se donnent la peine de lire l’article Tems, & de voir jusqu’à quel point est portée l’harmonie analogique de nos tems françois, & même de ceux de bien d’autres langues. C’est peut-être l’un des faits les plus concluans contre la témérité de ceux qui taxent hardiment les usages des langues de bisarrerie, de caprice, de confusion, d’inconséquence, & de contradiction. Il est plus sage de se défier de ses propres lumieres, & même de la somme, si je puis le dire, des lumieres de tous les Grammairiens, que de juger irrégulier dans les langues tout ce dont on ne voit pas la régularité. Il y a peut-être une méthode d’étudier la Grammaire, qui feroit retrouver par-tout ou presque par-tout, les traces de l’analogie.

2°. Pour ce qui concerne les causes des irrégularités qu’il n’est pas possible de rejetter absolument, il est certain que l’on peut en remarquer plusieurs qui seront fondées sur quelque motif particulier plus puissant que la raison analogique. Ici l’usage aura voulu éviter un concours trop dur de voyelles ou de consonnes, ou quelque idée, soit fâcheuse, soit malhonnête, que la rencontre de quelques syllabes ou de quelques lettres, auroient pû réveiller ; là on aura craint l’équivoque, celui de tous les vices qui est le plus directement opposé au but de la parole, qui est la clarté de l’énonciation. Prenons pour exemple le verbe latin fero ; si on le conjugue régulierement au présent, on aura feris, ferit, feritis, qui paroîtront autant venir de ferio que de fero : comptez que les autres irrégularités du même verbe,

& celles de tous les autres, ont pareillement leurs raisons justificatives. Ajoutez à cela qu’une irrégularité une fois admise, les lois de la formation analogique rendent regulieres les irrégularités subséquentes qui y tiennent.

Il en est sans doute des irrégularités de la formation, comme de celles des tours & de la construction ; ou elles n’en ont que l’apparence, ou elles menent mieux au but de la parole que la régularité même. Nous disons, par exemple, si je le vois, je lui dirai ; les Italiens disent, se lo vedrà, glie lo dirò, de même que les Latins, quem si videbo, id illi dicam. Selon les idées ordinaires, la langue italienne & la langue latine, sont en regles ; au lieu que la langue françoise autorise une irrégularité, en admettant un présent au lieu d’un futur. Mais si l’on consulte la saine Philosophie, il n’y a dans notre tour ni figure, ni abus ; il est naturel & vrai. Ce que l’on appelle ici un futur, est un présent postérieur, c’est-à-dire, un tems qui marque la simultanéité d’existence avec une époque postérieure au moment même de la parole, & ce tems dont se servent les Italiens & les Latins, convient très bien au point de vûe particulier que l’on veut rendre. Ce que l’on nomme un présent, l’est en effet ; mais c’est un présent indéfini, qui independant par nature de toute époque, peut s’adapter à toutes les époques, & conséquemment a une époque postérieure, sans que cet usage puisse être taxe d’irrégularité. Voyez Tems. Il ne s’agit donc ici que de bien connoître la vraie nature des tems pour trouver tous ces tours également réguliers.

En voici un autre : si vous y allez & que je le sache ; la conjonction copulative & doit réunir des phrases semblables : cependant le verbe de la premiere est à l’indicatif, amené par si ; celui de la seconde est au subjonctif, amené par que : n’est-ce pas une irrégularité ? Il y a, j’en conviens, quelque chose d’irrégulier ; mais ce n’est pas, comme il paroît au premier coup d’œil, la disparité des phrases réunies : c’est la suppression d’une partie de la seconde ; suppléez l’ellipse, & tout sera en regle : si vous y allez, & s’il arrive que je le sache. Ce tour plus conforme à la plénitude de la construction analytique, est régulier à cet égard ; mais il a une autre irrégularité plus fâcheuse ; il présente, au moyen du si répété, les deux évenemens réunis, comme simplement co-existens ; au lieu que le premier tour montre le second évenement comme suite du premier : voilà donc plus de vérité dans la premiere locution que dans la seconde, & conséquemment plus de véritable régularité. Ajoutez que l’expression elliptique en devient plus énergique, & l’expression pleine plus lâche, plus languissante, sans être plus claire. Que de titres pour croire réellement plus réguliere celle qui d’abord le paroît le moins ! (B. E. R. M.)

Irrégulier, (Géomét.) les corps réguliers sont ceux qui ne sont point terminés par des surfaces égales & semblables. Voyez Corps & Solides. (E)

Irrégulier, (Théol.) en termes de casuistes, est un ecclésiastique interdit, suspens ou censuré, qui a encouru les peines de droit, & qui est inhabile ou à posséder un bénéfice, ou à exercer les fonctions sacrées. Les eunuques, les bigames, les enfans illégitimes, sont déclarés irréguliers par les canons. Le concile de Latran, sous Innocent III. permit pourtant la dispense pour ces derniers, quand ils entreroient dans un ordre religieux. Les Grecs n’ont pas fait cette distinction, & n’excluent point les enfans illégitimes de l’état ecclésiastique, comme nous l’apprennent les patriarches Nicephore & Balsamon.

Irrégulier, (Fortification.) qui n’est pas dans