Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 8.djvu/873

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

distribuoit aux pauvres qu’il rencontroit ; & ce qu’il en tiroit, le donnoit sans y rien trier…

La fierté avec laquelle il traita la duchesse de Savoie, en la baisant par force, peint son orgueil & son amour-propre. « Est-ce avec moi, lui dit-il, qu’il faut user de cette mine & façon, je baise bien la reine ma maîtresse, qui est la plus grande reine du monde, & vous, je ne vous baiserois pas, qui n’êtes qu’une petite duchesse crottée »…

La violence de son caractere s’exerça contre les protestans de France, tandis qu’il pensionnoit par politique les protestans d’Allemagne ; l’insulte qu’il reçut en sortant de la maison d’une courtisane, l’obligea à faire aller toute la cour à Saint-Germain, malgré l’ancienne coutume ; & la ridicule prédiction d’un astrologue, qu’il seroit tué d’un arme à feu, l’engagea à faire défendre tout port d’armes sous le regne de François II. Ajouterai-je ici qu’on a trouvé dans les archives de Joinville, une indulgence en expectative pour ce cardinal & douze personnes de sa suite, laquelle indulgence remettoit à chacun d’eux par avance trois péchés à la fois. (D. J.)

IOL, s. m. (Comm.) nom d’une espece de petits vaisseaux légers, dont les Russes & les Danois se servent pour naviger.

IOLCOS, (Géog. anc.) c’étoit une ville de Thessalie, dans le canton de Magnésie, à un quart de lieue de Démétriade, sur le golphe Pélasgique ; c’est Strabon qui le dit, & qui ajoute ensuite qu’elle étoit démolie depuis long-tems ; Pline, liv. VII. chap. lvij. nous apprend que ce fut à Jolcos, qu’Acaste inventa les jeux funebres ; le pays de Jolcos étoit estimé par les magiciens pour la vertu de ses plantes ; voilà pourquoi, selon les poëtes, Médée s’y rendit en venant du Pont. (D. J.)

IOLÉES, s. f. pl. (Littér.) c’est le nom des fêtes ou des jeux que les Athéniens consacrerent à Iolas, fils d’Iphiclus, neveu d’Hercule & compagnon de ses travaux. La ville d’Athenes éleva des monumens à ce héros, lui dressa un autel, & institua les Iolées en son honneur. (D. J.)

JOLI, adj. (Gram.) notre langue a plusieurs traités estimés sur le beau, tandis que l’idole à laquelle nos voisins nous accusent de sacrifier sans cesse, n’a point encore trouvé de panégyristes parmi nous. La plus jolie nation du monde n’a presque rien dit encore sur le joli.

Ce silence ressembleroit-il au saint respect qui défendoit aux premiers Romains d’oser représenter les dieux de la patrie, ni par des statues, ni par des peintures, dans la crainte de donner de ces dieux des idées trop foibles & trop humaines ? car on ne sauroit penser que nous rougissions de nos avantages ; le plaisir d’être le peuple le plus aimable, doit nous consoler un peu du ridicule qu’on trouve aux soins que nous prenons de le paroître. Eh, qu’importe aux François l’opinion fausse qu’on peut se faire de leurs charmes ? Heureux si par une légéreté trop peu limitée, ils ne détruisoient pas cette espece d’agrémens qui leur sont si propres, en croyant les multiplier ! L’affectation est à côté des graces, & la plus légere exagération fait franchir les bornes qui les séparent.

Les philosophes les plus austeres ont approuvé le culte de ces divinités ; leurs images enchanteresses étoient sorties des mains du plus sage de tous les Grecs. Il est vrai que le ciseau de Socrate les avoit enveloppées d’un voile que peut-être nous avons laissé tomber comme firent les Athéniens.

Speusippe, disciple & successeur de Platon, embellit aussi du portrait des graces la même école où son maître avoit éclairé le paganisme par les lumieres de la plus haute raison. Eh, qui ne sait le conseil que donnoit souvent Platon même à Zénocrate, dont

il souffroit avec peine la triste & pédante sévérité ?

Je ne crois pourtant pas que le projet de Platon fût de rendre son disciple aussi joli que nous ; quoi qu’il en soit, c’est la nature elle-même qui nous a donné l’idée des graces, en nous offrant des spectacles qui semblent être leur ouvrage. Elle ne veut pas nous asservir toujours sous le joug de l’admiration ; cette mere tendre & caressante cherche souvent à nous plaire.

Si le beau qui nous frappe & nous transporte, est un des plus grands effets de sa magnificence, le joli n’est-il pas un de ses plus doux bienfaits ? Elle semble quelquefois s’épuiser (si le l’ose dire) en galanteries ingénieuses, pour agiter agréablement notre cœur & nos sens, & pour leur porter le sentiment délicieux & le germe des plaisirs.

La vûe de ces astres qui répandent sur nous par un cours & des regles immuables, leur brillante & féconde lumiere, la voûte immense à laquelle ils paroissent suspendus, le spectacle sublime des mers, les grands phénomenes ne portent à l’ame que des idées majestueuses ; mais qui peut peindre le secret & le doux intérêt qu’inspire le riant aspect d’un tapis émaillé par le soufle de Flore & la main du printems ? Que ne dit point aux cœurs sensibles ce bocage simple & sans art, que le ramage de mille amans aîlés, que la fraîcheur de l’ombre & l’onde agitée des ruisseaux savent rendre si touchant ? Tel est le charme des graces, tel est celui du joli qui leur doit toujours sa naissance ; nous lui cédons par un penchant dont la douceur nous séduit.

Il faut être de bonne foi. Notre goût pour le joli suppose un peu moins parmi nous de ces ames élevées & tournées aux brillantes prétentions de l’héroïsme, que de ces ames naturelles, délicates & faciles, à qui la société doit tous ses attraits. Peut-être les raisons du climat & du gouvernement, que le Platon de notre siecle, dans le plus célebre de ses ouvrages, donne souvent pour la source des actions des hommes, sont-elles les véritables causes de nos avantages sur les autres nations, par rapport au joli.

Cet empire du nord, enlevé de notre tems à son ancienne barbarie par les soins & le génie du plus grand de ses rois, pourroit-il arracher de nos mains & la couronne des graces & la ceinture du Vénus ? Le physique y mettroit trop d’obstacles ; cependant il peut naître dans cet empire quelque homme inspiré fortement, qui nous dispute un jour la palme du génie, parce que le sublime & le beau sont plus indépendans des causes locales.

Ce phantôme sanglant de la liberté, qui avoit causé tant de troubles chez les Romains, & qui partout subsiste si difficilement par d’autres voies, avoit disparu sous l’héritier & le neveu de César. La paix ramena l’abondance, & l’abondance ne permit de songer au nouveau joug, que pour en recueillir les fruits ; l’intérêt de la chose publique ne regardoit plus qu’un seul homme, & dès-lors tous les autres purent ne s’occuper que de leur bonheur & de leurs plaisirs. Otez les grands intérêts, les vastes passions aux hommes, vous les ramenez au personnel. L’art de jouir devient de tous les arts le plus précieux ; de-là naquirent bientôt le goût & la délicatesse : il falloit cette révolution aux vers que soupira Tibule.

Tel est à peu près le tableau de ce qui se passa sous le siecle de Louis le Grand. Tandis que Corneille étonne & ravit, les graces & le dieu du goût attendent pour naître des jours plus sereins. Voiture paroît les annoncer ; ses contemporains croyent les voir autour de lui ; cet écrivain en obtient même quelquefois un sourire : mais les jours heureux des plaisirs délicats, les jours de l’urbanité françoi-