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mise en possession réelle d’un bénéfice avec l’investiture, quoique ordinairement ce soient des choses différentes.

L’institution donne la propriété & le véritable droit au bénéfice, ce que l’on appelle jus in re ; par l’investiture on déclare & on confirme le droit de collation, & par la mise en possession on donne l’administration & jouissance des fruits.

L’investiture est quelquefois prise pour collation, quand celui qui investit, a en même tems le pouvoir de conférer ; elle peut aussi être prise pour la mise en possession réelle, lorsque celui qui met en possession réelle, a aussi le droit de conférer ; mais en général l’investiture est différente & de l’institution & de la mise en possession réelle, ainsi qu’on l’a d’abord expliqué.

La forme de l’investiture étoit differente selon la dignité des bénéfices ; le chanoine étoit investi par le livre, l’abbé par le bâton pastoral, & l’évêque par le bâton & l’anneau.

L’origine des investitures ecclésiastiques est la même que celle de l’investiture pour les fiefs. Sous Pepin & Charlemagne l’Eglise ayant commencé à posseder beaucoup de fiefs, dont ces princes l’avoient enrichie, tant en France qu’en Allemagne, les évêques & les abbés se trouverent engagés par-là à prêter entre les mains du prince la foi & hommage des fiefs qu’ils tenoient de lui, & d’en recevoir l’investiture par la crosse & l’anneau, sans que les princes ayent jamais prétendu, par cette cérémonie, conférer la puissance spirituelle aux évêques ni aux abbés.

On prétend que, dans un concile tenu à Rome en 774, le pape Adrien donna à Charlemagne le droit d’élire les papes, & qu’il ordonna que tous les archevêques & évêques de ses états recevroient l’investiture de sa main, avant que d’être consacrés ; mais quoique Leon VIII. ait renouvellé cette prétendue constitution en faveur d’Othon I. elle est visiblement supposée, parce que ni Eginard qui a fait la vie de Charlemagne, ni aucun autre auteur contemporain n’ont parlé de cette concession.

Quoi qu’il en soit de ce decret, il est certain que nos rois & les empereurs donnoient l’investiture des évêchés, abbayes, par la crosse & l’anneau. Les rois d’Angleterre jouissoient aussi de ce droit.

Ce fut en 1078 que commença la fameuse querelle des investitures pour les évêchés & abbayes ; un concile de Rome défendit à tout clerc de les recevoir de la main d’un prince, ou de tout autre laïc.

Grégoire VII. fut le premier qui défendit les investitures ; il fut suivi par Victor III & Urbain II ; ce dernier alla même jusqu’à défendre le serment de fidélité des évêques.

Henry IVe du nom étoit alors empereur, & soutenoit les investitures ; Grégoire VII appelloit cela les hérésies henriciennes.

Cette question excita beaucoup de troubles, surtout en Allemagne & en Angleterre ; Henry IV. fut excomunié par trois papes successivement ; cela produisit plusieurs schismes & des guerres continuelles ; pendant cinquante-six ans que dura ce démêlé fameux sous six papes différens, il y eut à cette occasion soixante batailles sous Henry IV. & soixante-huit autres sous Henry V. son successeur ; il y périt plus de deux millions d’hommes. Caliste II engagea Henry V. à renoncer aux investitures, ce qu’il fit en 1122.

Lothaire le Saxon entreprit en 1132 de les faire revivre, mais S. Bernard l’en dissuada.

Au commencement de cette querelle, ce ne fut pas seulement la cérémonie extérieure du bâton & de l’anneau, qui excita de la difficulté ; on attaqua

toutes les investitures des bénéfices en général, de quelque maniere qu’elles fussent faites par les laïcs. M. de Voltaire, en son histoire universelle, dit qu’il fut décidé dans un concile à Rome, que les rois ne donneroient plus aux bénéficiers canoniquement élus, les investitures par un bâton recourbé, mais par une baguette. Il paroît rapporter ce concile à l’année 1120 ; on ne voit point cependant qu’il y en ait eu à Rome cette année. Ce fut dans une assemblée tenue à Vorms en 1122, que se fit l’accommodement ; l’empereur renonça à donner les investitures par la crosse & l’anneau, & le pape lui permit d’accorder l’investiture des regales, c’est-à-dire, des biens temporels par le sceptre.

A l’égard de la France, nos rois n’eurent presque aucuns démêlés avec les papes touchant les investitures ; ils en ont joui paisiblement même sous Grégoire VII. qui craignit de s’attirer trop d’ennemis à la fois, s’il se brouilloit avec la France pour ce sujet ; sous les papes suivans ils se départirent de l’investiture par le bâton pastoral & l’anneau, & se contenterent de la donner par écrit ou de vive voix ; au moyen de quoi les successeurs de Gregoire VII. qui paroissoient ne s’attacher qu’à cette cérémonie extérieure, ont laissé nos rois jouir paisiblement du serment de fidélité, qui a succédé aux investitures, & des droits de joyeux-avenement & de regale.

Par le concordat passé entre Leon X & François I, le roi est maintenu dans le droit de nommer aux évêchés, abbayes & autres bénéfices de nomination royale.

Voyez le gloss. de Ducange au mot Investiture, où il rapporte plusieurs manieres différentes de donner l’investiture ecclésiastique, per librum, per capellum, per candelabrum, per grana incessi, & autres semblables.

Voyez Covaruvias, Cujas, Guymier, l’histoire de l’origine des dixmes, le traité de la capacité des ecclésiastiques de Duperray. (A)

INVETÉRÉ, adj. (Gramm.) qui subsiste depuis long-tems ; il ne se prend gueres qu’en mauvaise part ; il vient du latin vetus, vieux. On dit un mal invétéré, un abus invétéré. Rien de si difficile à déraciner que les choses invétérées, tant au physique, qu’au moral, & qu’au politique.

INVINCIBLE, adj. (Gramm.) qu’on ne peut renverser, détruire, vaincre. On dit un homme invincible, un raisonnement invincible, une preuve invincible. Un des philosophes que les Athéniens envoyerent à Rome, prouva un jour la distinction absolue du juste & de l’injuste par des raisons qui parurent invincibles ; le lendemain il prouva le contraire par des raisons opposées, que Cicéron compare à des bêtes féroces qu’il ne se promet pas de détruire, de vaincre, mais qu’il seroit trop heureux pour la consolation des gens de bien, & pour le bonheur de la république, d’appaiser, d’adoucir, de calmer. Placare, dit cet homme dont l’éloquence a passé en proverbe. Qu’étoit-ce donc que ces argumens qui effrayoient Cicéron même ?

INVIOLABLE, adj. (Gramm.) qui ne sera point violé, ou qui ne le doit point être. La liberté de conscience est un privilege inviolable. La loi du serment est sacrée, ou est inviolable pour tout homme de bien.

INVISIBLE, adj. (Gramm.) qui échappe à la vûe, ou par sa nature, ou par la petitesse de ses parties, ou par sa distance ; les substances spirituelles sont invisibles ; les particules de l’air sont invisibles ; les corps nous deviennent invisibles à force de s’éloigner. Si une chose n’a point été sensible, on n’en a nulle idée représentative. Une question difficile à résoudre, c’est si les aveugles ont des idées représentatives, & où ils les ont, & comment ils les ont.