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Celui de Ravennes tenu en 1314, défendit d’en prononcer pour des causes purement pécuniaires. Les peres du concile de Basle sect. xx. ordonnerent que l’interdit ne pourroit être jetté contre une ville que pour une faute notable de cette ville ou de ses gouverneurs, & non pour la faute d’une personne particuliere.

Quelquefois l’interdit étoit qualifié d’excommunication ; ce fut ainsi qu’Hincmar évêque de Laon excommunia en 870 toute une paroisse de son diocèse ; ce que l’on peut regarder comme un interdit.

Il en est de même de l’excommunication qu’Alcuin évêque de Limoges prononça, au rapport d’Ademar, contre les églises & monasteres de son diocèse ; il appelle cette excommunication une nouvelle observance ; ce qui fait connoître que l’interdit n’étoit pas une ancienne pratique.

Le concile de Limoges tenu en 1031 fait mention qu’Oldéric abbé de saint Martial de Limoges, proposa aux peres du concile un nouveau remede, qui étoit d’excommunier ceux qui n’acquiesceroient pas à la paix de l’église ; de ne les point inhumer après leur mort ; de défendre le service divin & l’administration des sacremens, à la réserve du baptême pour les enfans, & du viatique pour les moribonds, & de laisser les autels sans ornemens ; c’est ainsi en effet que l’on en usa dans les lieux qui furent mis en interdit.

Les interdits très-communs dans l’onzieme siecle, principalement sous Grégoire VII. ont fait croire à quelques auteurs que ce pape étoit l’inventeur de cette espece de censure. Il ordonna que les portes des églises seroient fermées par les religieux, & qu’ils ne sonneroient point leurs cloches : Yves de Chartres en fait mention dans plusieurs de ses épitres.

Plusieurs évêques, à l’imitation de Grégoire VII. prononcerent de pareils interdits en différentes occasions contre des villes & des communautés de leur diocese.

Vers l’an 1120, Calixte II. défendit le service divin dans les terres des croisés qui n’accompliroient pas leurs vœux, permettant seulement le baptême aux enfans, & la confession aux moribonds.

Il y eut un grand trouble en France en 1141, à l’occasion du siege de Bourges ; le roi ayant refusé de consentir à l’élection de Pierre de la Châtre, que le pape Innocent II. avoit fait élire à la place de l’archevêque Alberic mort l’année précédente, le pape mit toute la France en interdit.

Eugene III. vers l’an 1150, défendit la célébration du service divin dans les églises de certaines religieuses déréglées.

Adrien IV. n’épargna pas la ville même de Rome. Le cardinal Gerard y ayant été attaqué & blessé par quelques séditieux excités par Arnaud de Bresse, qui se maintenoit toujours dans cette ville sous la protection des nouveaux sénateurs, le pape mit la ville en interdit, & obligea les senateurs à chasser Arnaud & ses sectateurs.

Les interdits prononcés par Alexandre III. ne furent pas moins rigoureux que ceux de ses prédécesseurs. Il défendit aux prélats d’Angleterre vers l’an 1169. l’office divin & l’administration des sacremens, hors le baptême aux enfans, & la confession aux mourans ; le roi d’Angleterre rendit une ordonnance portant, que si on trouvoit dans son royaume quelqu’un chargé de lettres du pape ou de l’archevêque portant interdit, il seroit puni comme traître.

Le royaume d’Angleterre fut encore mis en interdit en 1208. par Innocent III. parce que le roi Jean avoit fait chasser les moines de Cantorbery, & s’étoit emparé des biens de l’archevéché.

Le concile d’York tenu en 1195, laissa à la discrétion des évêques d’user des interdits comme ils jugeroient à propos, de peur que les interdits généraux & de longue durée ne donnassent occasion aux Albigeois qui étoient répandus dans plusieurs endroits de la province, de séduire les gens simples.

Sous Innocent III. en 1198, Rainier moine de Citeaux, envoyé par le pape pour rompre le mariage d’Alphonse roi de Léon, qui avoit épousé la fille d’Alphonse roi de Castille son cousin, prononça une excommunication contre ce prince, & mit son royaume en interdit.

Un de ceux qui firent le plus d’impression, fut celui que le même Innocent III. lança en 1200 contre la France. Pierre de Capoue étoit chargé d’obliger Philippe-Auguste de quitter Agnès & de reprendre Ingerburge ; & n’y ayant pas réussi, il publia le 15 Janvier la sentence d’interdit sur tout le royaume, qui avoit été prononcée parle pape. Le roi en fut si courroucé qu’il chassa les évêques & tous les autres ecclésiastiques de leurs demeures, & confisqua leurs biens ; Cet interdit fut observé avec une extrème rigueur.

La chronique anglicane (dans le P. Martene, tom. V. pag. 868.) dit que tout acte de christianisme, hormis le baptême des enfans, fut interdit en France ; les églises fermées, les chrétiens en étoient chassés comme des chiens, plus d’office divin ni de sacrifice de la messe ; plus de sépultures ecclésiastiques pour les défunts ; les cadavres abandonnés au hasard, répandoient la plus affreuse infection, & pénétroient d’horreur ceux qui leur survivoient ; il en naquit un schisme entre les évêques.

La chronique de Tours fait la même description ; elle y ajoute seulement un trait remarquable, confirmé par M. Fleury, liv. lxxvj. n. 40, qui est que le saint viatique étoit excepté, comme le baptême, de cette privation des choses saintes, quoiqu’on refusât d’ailleurs la sépulture après la mort : Nulla celebrabantur in ecclesiâ sacramenta vel divina officia, præter viaticum & baptisma.

Les choses demeurerent pendant neuf mois dans cette situation, excepté qu’au bout de quelque tems Innocent III. permit les prédications pendant l’interdit, & le sacrement de confirmation ; il permit même de donner l’eucharistie aux croisés & aux étrangers dans les lieux interdits, & d’y célébrer l’office de l’église à deux ou trois, sans chant. On modéra encore dans la suite la grande sévérité des interdits, par rapport au scandale qu’ils causoient dans l’église ; Grégoire IX. vers l’an 1230 permit de dire une messe basse une fois la semaine, sans sonner, les portes de l’église fermées ; Boniface VIII. en 1300 permit la confession pendant l’interdit, & ordonna que l’on célébreroit tous les jours une messe, & que l’on diroit l’office, mais sans chant, les portes de l’église étant fermées, & sans sonner, à la réserve des jours solemnels de Noël, Pâques, la Pentecôte & de l’Assomption de N. D. que l’office divin seroit chanté les portes ouvertes, & les cloches sonnantes.

L’archevêque de Strigonie, auquel le pape avoit donné commission de réformer plusieurs désordres qui régnoient en Hongrie, n’ayant pu y parvenir, avoit mis en 1232 ce royaume en interdit. Pour le faire lever, le roi André donna l’année suivante une charte, par laquelle il s’engageoit de ne plus souffrir à l’avenir que les Juifs & les Sarrasins occupassent aucune charge publique en ses états, ni qu’ils eussent des esclaves chrétiens ; il promit aussi de ne contrevenir en rien aux privileges des clercs, & de ne lever aucune collecte sur eux, même de consulter le pape touchant les impositions sur ses autres sujets : l’interdit ne fut levé qu’à ces conditions ;