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récemment (1759.) à Gotha, par M. Soultzer, premier medecin du duc régnant, avec la matiere de la petite vérole artificielle d’un jeune prince, l’un des fils du duc, a voulu l’être une seconde fois avec la matiere d’une petite vérole naturelle. Les nouvelles plaies, ajoute la lettre de M. Soultzer à M. de la Condamine, se sont guéries sous le fil. Il y a d’autres exemples semblables & sans nombre, qui prouvent que l’inoculation met à l’abri d’une seconde petite vérole, & aucun des prétendus exemples contraires n’a pu soutenir la vérification.

Dans les tems des premieres expériences à Londres, le docteur Jurin invita publiquement pendant plusieurs années, tous ceux qui auroient avis de quelque rechute après l’inoculation, à les lui communiquer. Aucun ne put être constaté : tous les faits allégués furent niés ou convaincus de faux par le desaveu des parties intéressées. Le docteur Kirkpatrick rapporte dans son ouvrage la lettre du nommé Jones chirurgien, dont on avoit dit que le fils étoit dans ce cas. Le docteur Nettleton démentit publiquement un pareil fait avancé d’un de ses inoculés. De pareilles calomnies ont été depuis renouvellées en Hollande au sujet des inoculés de M. Tronchin, & de M. Schwenke, & les échos les ont répétées depuis à Paris. On alléguoit, on circonstancioit des récidives ; on faisoit courir le bruit que M. Schwenke avoit inoculé la même personne jusqu’à sept fois : on publioit que ses inoculés étoient à l’article de la mort ; on citoit des témoins oculaires, qui depuis ont nié hautement les faits. Bibliotheque angloise Septembre & Octobre 1756. Quant aux prétendues rechutes après l’inoculation, ce qui peut servir de fondement à ces bruits, c’est que parmi diverses éruptions cutanées, tout-à-fait différentes de la petite vérole, & dont celle-ci ne garantit point, il y en a qui s’annoncent par des symptomes qui leur sont communs avec la petite vérole ordinaire ; mais la différence essentielle & caracteristique de cette espece d’éruption est que les pustules en sont claires, transparentes, & remplies de sérosité ; qu’elles disparoissent, s’affaissent, & se sechent le troisieme jour & sans suppuration. Cette maladie est connue & caracterisée il y a plus d’un siecle en Italie, en France, en Allemagne, & en Angleterre. Elle a été décrite & distinguée de la vraie petite vérole avant qu’on sût dans notre Europe ce que c’étoit qu’inoculer. On lui donnoit différens noms, tels que ceux de vérolette, petite vérole lymphatique, séreuse, crystalline, volante, fausse petite vérole. Les Allemands l’ont nommée shefh-blattern, (pustules de brebis) ; les Anglois chikenpox, les Italiens ravaglion. Mais tous conviennent qu’elle n’a rien de commun avec la petite vérole dont elle ne préserve pas, & qui ne garantit pas non plus de cette maladie : celle-ci d’ailleurs n’est nullement dangereuse. Elle est épidémique, & plus ordinaire aux enfans qu’aux personnes âgées. La plûpart des gardes-malades, des chirurgiens, & des apoticaires de campagne, la prennent ou feignent de la prendre pour la vraie petite vérole, pour donner plus d’importance à leurs soins ; quelques medecins faute d’expérience, ont pu s’y méprendre. Il y a des exemples en Angleterre & en Hollande d’inoculés, qui ont eu cette indisposition qu’on avoit voulu faire passer pour la petite vérole. Tel est celui du baron de Louk, qui pour détruire ce bruit, se crut obligé de publier dans le journal déja cité, l’histoire de sa maladie. Il ne garda la chambre qu’un jour, & parut aussi-tôt à la cour de la Haie : il en est de même de ses cousines, filles de la comtesse d’Athlone. Tel est encore l’exemple du jeune de la Tour, inoculé en 1756 par M. Tronchin, & dont on a tant parlé à Paris. Les anti-inoculistes publierent que cet enfant avoit eu en 1758, une

seconde petite vérole. Il est prouvé que le quatrieme jour il étoit debout & jouoit avec ses camarades. La nature de sa maladie a été bien éclaircie par un rapport public de quatre medecins, Messieurs Vernage, Fournié, Petit pere, & Petit fils ; Messieurs Bourdelin & Bouvart, en ont porté le même jugement. Tels sont les exemples sur lesquels les anti-inoculistes s’appuient pour prouver l’inutilité de l’inoculation.

Quant à celui de la fille même du célebre Timoni, morte à Constantinople en 1741 de la petite vérole naturelle, après avoir été, disoit-on, inoculée par son pere ; il a été prouvé que Timoni en partant pour Andrinople, dont il n’est jamais revenu, avoit laissé ordre à sa femme âgée de 15 ans, d’inoculer sa fille ; mais les témoignages sur l’exécution de cet ordre ont beaucoup varié, & encore plus sur l’effet que produisit la prétendue inoculation. Le fait est donc resté douteux & couvert de nuages qui ne peuvent être entierement dissipés. M. de la Condamine a reçu depuis peu une lettre datée de Constantinople, du … Octobre 1758, qu’il nous a fait voir en original, de M. Angelo Timoni, interprete de S. M. Britannique à la Porte ottomane, frere de la demoiselle morte en 1741. Elle porte que Cocona Timoni sa sœur fut inoculée en 1717, à l’âge de cinq mois par un apoticaire de Scio qui passoit pour être fort sujet au vin & novice dans la pratique de cette opération ; que l’incision faite avec une lancette à un seul bras n’avoit point laissé de cicatrice autre qu’une petite marque comme celle d’une saignée, que sa mere âgée alors de quinze ans seulement, n’a pu faire aucune observation, si l’opération a été suivie d’une éruption à la peau, ou si la plaie s’est d’abord séchée ; que son oncle encore vivant, & frere du célebre Emmanuel Timoni, attribue toute la faute à l’inoculateur, & juge qu’il avoit pris la matiere d’une fausse petite vérole ; que les gens du pays & les medecins, dont M. Angelo Timoni s’est informé, n’ont connoissance ni avant, ni depuis, d’un accident pareil à celui de sa sœur, accident qui ne seroit pas unique, ajoute-t-il, (dans un pays où depuis un siecle il doit y avoir eu plus de cent mille inoculations) si les personnes inoculées étoient sujettes à avoir deux fois la petite vérole ; qu’aussi cet évenement n’a pas empêché qu’on ne continuât d’inoculer à Pera ; qu’il a lui-même fait subir cette opération depuis deux ans à ses cinq enfans, & qu’il compte la répéter sur le plus jeune qui n’avoit que 40 jours, & sur lequel l’insertion n’a rien produit. Il n’est donc pas certain que la demoiselle Timoni ait été régulierement inoculée, que l’inoculation ait produit son effet, ni que les plaies ayent suppuré. Mais en supposant vrai tout ce qui reste douteux, voyons quelles conséquences il en faut tirer par rapport à l’inoculation ; c’est ce qui nous reste à examiner.

I I I. Quoique Boerhaave, Mead, Chirac, en 50 ans n’ayent jamais observé de seconde petite vérole dans un même sujet, & que M. Molin en ait vu tout au plus une dans l’âge où les autres ne voient plus, nous supposerons qu’il s’en trouve un exemple sur dix mille petites véroles naturelles. Les récidives, s’il y en a, doivent être encore plus rares après l’inoculation, qui de tous les moyens paroît être le plus propre à mettre en fermentation toutes les parties susceptibles de l’action du virus. Mais en n’accordant sur ce point aucune prérogative à la petite vérole artificielle, il s’en suivra seulement que sur dix mille inoculés, il pourra s’en trouver un capable de contracter une seconde petite vérole. Celle-ci, de l’aveu de plusieurs anti-inoculistes, doit être d’autant moins dangereuse, qu’on ne peut nier que le corps n’ait été purgé d’une partie du venin par la précédente. Mais supposons encore que la se-