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par-tout où elle seroit pratiquée. Il reconnoissoit que la maladie inoculée peut communiquer une petite vérole ordinaire, & vouloit paroitre douter que ce fût une vraie petite vérole dans le sujet inoculé. Cette objection est aujourd’hui abandonnée.

Seconde objection. La petite vérole inoculée est-elle moins dangereuse que la petite vérole naturelle ? On ne peut plus faire sérieusement cette objection ; elle est pleinement réfutée par l’histoire des faits & par la comparaison faite dans l’article précédent du danger de la petite vérole naturelle au danger de l’inoculation. On a prouvé que la petite vérole emportoit communément un malade sur sept, & qu’on ne pouvoit, sans tomber en contradiction, la supposer, généralement parlant, moins dangereuse. On a prouvé par les listes publiques de l’hôpital de l’inoculation à Londres, qu’il n’est mort qu’un inoculé sur 593, tandis que dans le même hôpital il mouroit deux malades sur neuf, ou plus d’un sur cinq de la petite vérole naturelle. Quand on supposeroit, contre la vérité des faits, que celle-ci n’est mortelle qu’à un malade sur dix, & que l’artificielle est malheureuse pour un sur cent, la petite vérole naturelle seroit encore dix fois plus dangereuse que l’inoculée.

Troisieme objection. On peut avoir plusieurs fois la petite vérole. L’inoculation ne peut donc empêcher le retour de cette maladie. Donc l’inoculation est en pure perte. Cet argument, renouvellé dans ces derniers tems, est celui qui fait communément le plus d’impression. Il contient une question de droit & une de fait. Voyons ce que les Inoculistes répondent. 1°. Il n’est pas prouvé, & beaucoup de medecins nient encore qu’on puisse avoir la petite vérole plus d’une fois. 2°. Quand on pourroit l’avoir deux fois naturellement, il ne s’ensuivroit pas qu’on pût la reprendre après l’inoculation ; & l’expérience prouve le contraire. 3°. Quand il y auroit eu quelque exemple, ce qu’on nie, d’un inoculé attaqué d’une seconde petite vérole, il ne s’ensuivroit pas que l’inoculation fût inutile. La discussion approfondie de ces trois points fourniroit la matiere d’autant de dissertations. Nous tâcherons de l’abréger.

1°. Il y a douze cens ans que la petite vérole est connue en Europe, & il y a douze cens ans qu’on dispute si on peut l’avoir deux fois : si ce n’est pas une preuve que le fait est faux, c’en est une au moins qu’il n’est pas évidemment prouvé. En effet, la plûpart des medecins Arabes, & un très-grand nombre parmi les modernes, nient qu’on puisse avoir deux fois la petite vérole. M. Tissot, dans sa réponse à M. de Haen, en fait une longue liste qu’il seroit aisé d’accroître. Parmi les prétendus exemples qu’on allegue d’une seconde petite vérole, on n’en cite point où un medecin, non suspect de prévention, ait traité deux fois le même malade, & certifié comme témoin oculaire la réalité de deux vraies petites véroles dans le même sujet ; circonstance faute de laquelle le témoignage perd beaucoup de son poids. D’un autre côté l’illustre docteur Mead, qui a tant écrit sur cette maladie, assure positivement, après cinquante ans de pratique, qu’on ne peut reprendre cette maladie. Le grand Boerhaave assure la même chose. Paris est encore rempli de témoins vivans, qui ont entendu dire à Mrs Chirac & Molin, deux de nos plus grands praticiens, morts dans un âge très-avancé, qu’ils n’avoient jamais vû le cas arriver. S’il est vrai, comme quelques-uns le prétendent, que M. Molin, dans les derniers tems de sa vie, ait vû un exemple de récidive, c’en sera un sur plus de quarante mille petites véroles qui doivent avoir passé sous les yeux de ces quatre célebres docteurs pendant le cours d’une longue vie, dans de grandes villes telles que Londres, Paris, Amsterdam.

Il meurt tous les ans plus de vingt mille personnes à Paris, dont la quatorzieme partie 1428 meurt de la petite vérole. Chaque mort de cette maladie exige sept malades, puisque nous ne la supposons mortelle qu’à un sur sept ; donc 7 fois 1428 personnes, c’est-à-dire dix mille ont la petite vérole à Paris année commune. Si de ces dix mille une seule étoit attaquée d’une seconde petite vérole bien constatée, on auroit tous les ans à Paris une nouvelle preuve évidente de ce fait ; & pour peu que quelqu’un de connu, pour être maltraité de la petite vérole, vint à l’avoir une seconde fois, la chose ne seroit plus problématique ; un pareil cas de notoriété publique n’est pas encore arrivé, puisqu’on dispute encore. Il n’est donc pas évidemment prouvé qu’on ait plus d’une fois en sa vie une vraie petite vérole.

Un grand nombre d’exemples prouvent au contraire que l’inoculation même n’a pû renouveller cette maladie dans ceux qui l’avoient eûe une premiere fois sans équivoque. Richard Evans, l’un des six criminels inoculés à Londres en 1721, & le seul d’entr’eux qui avoit eu la petite vérole, fut aussi le seul sur qui l’insertion ne produisit aucun effet. Beaucoup d’autres expériences ont prouvé la même chose : la plus célebre est celle du docteur Maty, que nous avons rapportée dans l’histoire de l’inoculation. Paris a été témoin d’un pareil exemple dans mademoiselle d’Etancheau en 1757. Tous les journaux en ont parlé. Si le virus varioleux introduit dans les plaies & porté par la circulation dans toutes les veines, ne peut renouveller la petite vérole dans un corps déja purgé de ce venin, à plus forte raison n’y pourra-t-elle être produite par la voie ordinaire du contact & de la respiration.

2°. Quand il seroit vrai qu’une petite vérole naturelle ne purge pas entierement un corps du levain varioleux, & qu’il en reste encore assez pour produire une nouvelle fermentation, il ne s’en suivroit pas que le ferment de la petite vérole mis en action par un virus de même nature, introduit directement dans le sang par plusieurs incisions, ne pût se développer si complettement qu’il ne restât plus de matiere pour un second développement. La petite vérole artificielle pourroit épuiser le levain que la petite vérole naturelle n’épuiseroit pas, & alors il n’y auroit rien à conclure d’une seconde petite vérole ordinaire contre l’efficacité de l’inoculation pour préserver de la récidive ; mais laissant à l’écart les raisonnemens de pure théorie, tenons-nous-en à l’expérience.

On a mis des inoculés à toutes sortes d’épreuves pour leur faire reprendre la petite vérole, sans avoir pû jamais y réussir. On a fait habiter & coucher des enfans inoculés avec d’autres attaqués de la petite vérole, sans qu’aucun l’ait reprise une seconde fois. On a répété l’inoculation à plusieurs reprises sur divers sujets ; les plaies se sont guéries comme de légeres coupures sous le fil imbu du virus. C’est ce qui arriva au fils du lord Hardewick, grand chancelier d’Angleterre, qui se fit inoculer de nouveau, parce qu’il n’avoit pas eu d’éruption la premiere fois, les plaies ayant seulement suppuré. Observons en passant que cette suppuration des plaies est équivalente à une petite vérole ordinaire, comme plusieurs expériences l’ont prouvé, & de plus que la matiere qui coule des incisions, lors même qu’il n’y a point d’éruption, peut être employée avec succès pour l’insertion, comme M. Maty l’a remarqué.

Le docteur Kirkpatrick rapporte qu’une jeune personne de 12 ans inoculée & bien rétablie, se fit secrettement une nouvelle incision, qu’elle y mit à trois reprises en trois jours différens de la matiere varioleuse, & que les nouvelles plaies se sécherent sans suppuration. Un officier âgé de 28 ans, inoculé tout