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malade, tandis qu’à l’air extérieur, il montoit à vingt-trois & vingt-quatre degrés.

Le succès de cette opération est sur-tout singulier par les circonstances qui l’ont précédée. La personne qui l’a subie étoit d’un tempérament très-délicat, affoibli par dix ans d’infirmités & de remedes ; il s’y étoit joint un ulcere aux reins. Il a fallu commencer par la guerir de tous ses maux. On desespéroit encore de sa vie quelques mois après son inoculation. Elle jouit aujourd’hui d’une bonne santé.

On n’inocule guere à l’hôpital de Londres les adultes passé trente-cinq ans. En quoi l’on a peut-être plus égard à conserver à la méthode tout son crédit, qu’à l’utilité générale.

Avantages de l’inoculation. Danger de la petite vérole naturelle. Certains avantages de l’inoculation se présentent au premier aspect. D’autres ne peuvent être reconnus que par l’examen & la comparaison des faits.

On voit d’abord qu’on est le maître de choisir l’âge, le lieu, la saison, le moment, la disposition de corps & d’esprit ; le medecin & le chirurgien auxquels on a plus de confiance. On prévient par la préparation les accidens étrangers, l’épidémie, la complication de maux, qui probablement font tout le danger de la petite vérole. La fermentation commence par les parties externes : les plaies artificielles facilitent l’éruption en offrant au virus une issue facile.

Quelle comparaison peut-on faire entre une maladie préméditée & celle qui se contracte au hazard ; en voyage, à l’armée, dans des circonstances critiques, sur-tout pour les femmes ; dans un tems d’épidémie qui multiplie les accidens, qui transporte le siege de l’inflammation dans les parties internes d’un corps déja peut-être épuisé de veilles & de fatigues ?

Quelle différence entre un mal auquel on s’attend & celui qui surprend, qui consterne, que la seule frayeur peut rendre mortel ; ou qui se produisant par des symptomes équivoques, peut induire en erreur le medecin le plus habile, & faire agraver le mal par celui de qui l’on espere le remede ? Voilà ce que dictent le bon sens & le raisonnement le plus simple. L’expérience est encore plus décisive : elle prouve que la matiere de l’inoculation, fût-elle prise d’une petite vérole compliquée, confluente, mortelle même, ne laisse pas de communiquer presque toujours une petite vérole simple, discrete, exempte de fievre, de suppuration, toujours plus bénigne que la naturelle, si souvent funeste ; une petite vérole enfin qui ne laisse point de cicatrice.

Mais pour estimer plus exactement les avantages de l’inoculation, il faut connoître la mesure du danger de la petite vérole ordinaire, & le comparer à celui de la petite vérole inoculée. C’est ce qu’on ne peut faire qu’à l’aide des listes du docteur Jurin, le guide le plus sûr & presque le seul que nous ayons sur cette matiere. La petite vérole exerce fort inégalement ses ravages. En 1684 à Londres, sur mille morts, il n’en mourut que sept de cette maladie, c’est-à-dire 1 sur 149. En 1681 & 1710, la proportion des morts de la petite vérole aux autres morts, étoit de 125 & de 127 par 1000, ou d’un huitieme ; mais année commune elle est de 72 par 1000, ou d’un quatorzieme. C’est le résultat des listes mortuaires de Londres de quarante-deux ans, qui comprennent plus de 900000 morts. Ces mêmes listes prolongées pendant vingt-quatre autres années par une société de medecins & de chirurgiens de Roterdam, donnent encore la même proportion.

Par d’autres dénombremens de morts & de malades de la petite vérole, non à Londres, mais dans

diverses provinces d’Angleterre, où la petite vérole passe pour être plus bénigne que dans la capitale, recueillis par le même M. Jurin, & montant à plus de 14500, il a trouvé que de six malades de la petite vérole, il en mouroit communément un. Par ses premieres énumérations sur 4600 personnes, il avoit d’abord trouvé le rapport des malades aux morts de cette maladie, comme de 5 à 1, & M. Schultz, medecin suédois, qui a écrit depuis deux ans, établit la même proportion. On a estimé à Genève, mais assez vaguement & sans produire de liste, que le danger de la petite vérole n’étoit communément en cette ville que d’1 à 10, par conséquent la moitié moindre qu’en Suede. Cependant Genève a précédé Stokolm de plusieurs années dans l’accueil qu’elle a fait à la petite vérole artificielle. Nous écrivons principalement pour Paris, où la petite vérole passe pour être très-meurtriere. Nous supposerons qu’elle enleve un malade sur sept, ce qui tient à peu-près le milieu entre le résultat de Genève & celui de Suede.

On seroit mal fondé à dire que les calculs précédens ne sont bons que pour l’Angleterre Les limites de la plus grande à la moindre mortalité causée par la petite vérole, variant à Londres depuis 7 jusqu’à 127 sur 1000, on voit que cette maladie est quelquefois moins fâcheuse en cette ville que dans les pays où elle passe pour être la plus bénigne, & d’autres fois qu’elle y est aussi redoutable que dans les endroits où elle est réputée la plus dangereuse ; par conséquent son degré moyen de mortalité, tiré des listes mortuaires de Londres pendant soixante-six ans, & qui comprennent plus de quinze cens mille morts, ne peut être fort différent dans les autres régions de l’Europe. Nous poserons donc pour principes d’expériences 1°. que la quatorzieme partie du genre humain périt tôt ou tard de la petite vérole ; 2°. que de sept malades attaqués naturellement de cette maladie, il en meurt un communément. Voyons maintenant quel risque on court par l’inoculation.

Dans les commencemens que cette opération fut connue en Angleterre & dans les colonies angloises, on s’y livra d’abord après les premieres expériences avec une sorte d’enthousiasme fonde sur les succès constans qu’elle avoit eus à Constantinople, où, de l’aveu de trois medecins, Timoni, Pilarini, le Duc, on connoissoit à peine aucun exemple d’accident ; mais la maniere de vivre ordinaire des Anglois qui se nourrissent de viandes succulentes, & font beaucoup d’usage du vin & des liqueurs fermentées, exigeoit sans doute plus de préparation que la vie simple & frugale de la plûpart des Grecs modernes ; & cependant on avoit pratiqué l’insertion à Londres, & sur-tout en Amérique, avec beaucoup d’imprudence, sur des gens de tout âge & de tout tempérament ; sur des enfans au berceau, des femmes grosses, des infirmes, des blancs & des noirs de mœurs très-suspectes, & cela presque sans aucune précaution. M. Jurin par la comparaison des listes qui lui furent envoyées, & qu’il rendit publiques, trouva qu’il étoit mort en Amérique un inoculé sur soixante, & à Londres un sur quatre-vingt-onze, sans distinguer les accidens étrangers d’avec ceux dont on pouvoit soupçonner l’inoculation d’être cause. Les adversaires de la méthode prétendirent qu’il en étoit mort un sur quarante-neuf ou cinquante. Leur exagération, en la prenant pour vraie au pié de la lettre, est la preuve la plus évidente des avantages de l’inoculation ; c’est un aveu arraché aux anti inoculistes, que la petite vérole inoculée est encore sept fois moins dangereuse que la naturelle, à laquelle, sur un pareil nombre, sept au moins auroient succombé. Mais depuis que la méthode s’est perfectionnée, & qu’on s’est rendu plus circonspect sur le choix des