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nuent peu durant le tems de la coction dont on n’observe que quelques légers signes, & qu’ils reparoissent avec plus d’activité, que la fievre est forte, que le pouls quoiqu’un peu développé est toujours dur, sur-tout vibratil, & qu’il y a une roideur considérable dans l’artere, que les douleurs que le malade éprouve dans la partie affectée deviennent plus aiguës, qu’il y sent un battement plus vif & plus répété, la suppuration est à craindre, & l’on peut assurer alors que cette issue se prépare. L’abscès est formé lorsque tous ces symptômes disparoissent, qu’il ne reste plus qu’une pesanteur ; il survient alors pour l’ordinaire des frissons. Si le pouls vient dans ces circonstances à indiquer un mouvement critique du côté de quelques couloirs, on peut présumer que le pus s’évacuera par les organes dont le pouls annonce l’action.

On peut pour completter entierement ce prognostic, y rapporter toutes les prédictions, tous les signes qu’on trouve dans les ouvrages du divin Hippocrate, concernant les maladies aiguës. Nous souhaiterions bien pouvoir entrer dans un détail circonstancié si utile ; mais l’ordre proposé pour traiter ces matieres ne le comportant pas, nous renvoyons le lecteur aux écrits immortels de ce prince de la Medecine, d’autant plus volontiers, que nous sommes assurés qu’outre un prognostic excellent & certain qu’on en tirera, on y prendra du goût pour cette véritable medecine d’observation, & une haine avantageuse pour ces practiques théoriques & routinieres.

La curation. Les maladies inflammatoires sont des maladies qui se guérissent par leurs propres efforts : la fermentation excitée dans le sang, pour parler avec Willis, suffit pour briser, atténuer, décomposer, assimiler, évacuer les matieres qui l’ont excitée, ou comme dit Vanhelmont, la colere & les efforts de l’archée peuvent seuls arracher l’épine incommode qui les a déterminés. Ainsi l’on doit laisser à la nature le soin de guérir ces sortes de maladies ; l’art n’offre aucun secours vraiment curatif ; il en fournit qui peuvent modérer, diminuer la fievre & la violence des symptômes, ou même l’augmenter s’il est nécessaire, & favoriser telle ou telle excrétion critique ; mais il n’y a point de remedes qui rétablissent & purifient le sang, & qui emportent les engorgemens inflammatoires des visceres. Mais telle est l’inconséquence & le danger des théories les plus reçues, qu’elles conduisent leurs adhérens à des pratiques très-erronées & très-pernicieuses ; les uns prenant un symptôme pour la cause, pensent que dans ces maladies l’inflammation des visceres est le point capital, & y dirigent toutes leurs indications ; ils mettent tout en œuvre pour prévenir, empêcher, ou faire cesser cette inflammation, & en conséquence entassent erreur sur erreur : ils ont recours à la saignée qu’ils répetent douze, quinze, vingt, trente fois, jusqu’à ce que le malade est réduit à la derniere foiblesse. D’autres croient que ces inflammations sont toujours produites & entretenues par la salure, par un levain, par un foyer situé dans les premieres voies ; ils mettent tout leur soin à détruire, épuiser ce foyer, & pour en venir plûtôt à bout, ils réiterent tous les deux jours au moins les purgatifs. Que de funestes effets suivent l’application des remedes aussi peu convenables ! Que de malades j’ai vu sacrifiés à de semblables pratiques ! J’en rappelle le souvenir avec douleur.

Qu’on considere les effets de ces remedes pour se convaincre encore plus de leur importunité, & en premier lieu pour ce qui regarde la saignée ; il est constant 1°. qu’elle n’attaque pas la cause de la maladie, qu’elle relâche & affoiblit considérablement les malades quand elle est souvent réitérée. 2°. Qu’elle trouble & dérange les évacuations cri-

tiques. 3°. D’un autre côté les avantages qu’on prétend

en retirer ne sont rien moins que solidement constatés. La saignée fréquente, publient hautement ses amis, empêche, prévient, diminue l’inflammation. Quand le fait seroit aussi vrai qu’il est faux, elle n’en seroit pas plus avantageuse ; elle empêcheroit par-là le sang de se dégorger & de se purifier en partie. Que penseroit-on d’un homme qui proposeroit de prévenir la formation des exanthemes inflammatoires dans la petite vérole, ou des bubons dans la peste ? on le traiteroit de charlatan, & cette proposition feroit hausser les épaules, & exciteroit la risée : la plûpart des rieurs seroient dans le même cas. Nous devons raisonner des maladies inflammatoires internes, comme de celles qui ont leur siége à l’extérieur. C’est la même maladie & le même méchanisme ; mais heureusement il est rare que les saignées empêchent l’inflammation ; elles produisent plûtôt l’effet opposé, en relâchant, affoiblissant les vaisseaux ; elles augmentent la disposition de la partie affectée, qui n’est probablement qu’une foiblesse, & elles rendent par-là l’engorgement irrésoluble.

Autre prétendu avantage de la saignée, que ses partisans font sonner bien haut, c’est de prévenir la suppuration. Il conste, par un grand nombre d’observations, que vingt & trente saignées n’ont pu dans bien des cas détourner la suppuration, quand l’imflammation a pris une fois cette tournure. Je serois plus porté à croire que cette terminaison est amenée & accelérée par les fréquentes saignées, sur-tout si on les fait dans le tems qu’une évacuation critique va terminer la maladie inflammatoire par la résolution ; j’en ai pour garant plus de cinquante observations dont j’ai été le témoin oculaire : je n’en rapporte qu’une. Un jeune homme étoit au neuvieme jour d’une fluxion de poitrine ; il avoit été saigné quatre ou cinq fois ; le pouls étoit souple, mou, rebondissant, critique, sans caractere d’irritation ; l’expectoration étoit assez facile ; on saigne le malade ; les crachats sont à l’instant beaucoup diminués ; la fievre, les inquiétudes augmentent ; on veut calmer ces symptomes ; on resaigne, le malade s’affoiblit, la fievre persiste, le pouls se concentre, l’artere devient roide, les crachats sont entierement supprimés ; il survient des frissons, crachement de pus, sueurs nocturnes ; le malade meurt le vingt-unieme jour. Mais je vais plus loin ; quand il seroit possible de prévenir la suppuration, il seroit souvent dangereux de le tenter : s’est-on jamais avisé de vouloir empêcher la suppuration des pustules varioleuses ? A-t-on pû y réussir, ou si on l’a fait, la mort du malade n’a-t-elle pas suivi de près une entreprise si téméraire ? La même chose doit arriver à l’intérieur ; il vaut mieux laisser subir au malade l’évenement incertain d’une suppuration interne, que de l’exposer à une mort assurée ; la nature a mille ressources pour évacuer le pus, quand même (ce qui est le cas le plus fâcheux) le viscere n’auroit point de tuyau excrétoire. Si la suppuration est extérieure, il ne faut rien oublier pour la favoriser ; elle est toujours salutaire, & n’a aucun inconvénient remarquable ; elle épargne beaucoup de remedes, & procure un prompt & sûr rétablissement. On peut juger par-là que la saignée (je parle sur-tout de celle qui est souvent réitérée) est nuisible & dangereuse, loin de produire les effets heureux qu’on a coutume d’en attendre. Au reste, quand je blâme ces saignées, je n’en blâme que l’abus, qui a fait plus de mal qu’on ne tirera jamais d’utilité des saignées modérées. Je n’ignore pas qu’une seconde ou troisieme saignée peuvent très-bien convenir dans le tems de crudité ou d’irritation des maladies inflammatoires, pour diminuer, calmer la violence de certains symp-