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ordres, & à expliquer ce qu’on doit entendre par-là. Prenons l’équation même que nous avons déja considérée au mot Infini, on dit ordinairement en Géométrie que quand x est infiniment petit, y est infiniment petit du second ordre, c’est-à-dire aussi infiniment petit par rapport à x, que x l’est par rapport à a ; l’explication de cette maniere de parler est la même que nous avons déja donnée au mot Infini : elle signifie que plus on prendra x petit, plus le rapport de y à x sera petit, ensorte qu’on peut toûjours le rendre moindre qu’aucune quantité donnée. Voyez Limite, &c. (O)

INFINITIF, adj. (Gramm.) le mode infinitif est un des objets de la Grammaire, dont la discussion a occasionné le plus d’assertions contradictoires, & laissé subsister le plus de doutes ; & cet article deviendroit immense, s’il falloit y examiner en détail tout ce que les Grammairiens ont avancé sur cet objet. Le plus court, & sans doute le plus sûr, est d’analyser la nature de l’infinitif, comme si personne n’en avoit encore parlé : en ne posant que des principes solides, on parvient à mettre le vrai en évidence, & les objections sont prévenues ou résolues.

Les inflexions temporelles, qui sont exclusivement propres au verbe, en ont été regardées par Scaliger comme la différence essentielle : tempus autem non videtur esse affectus verbi, sed differentia formalis, propter quam verbum ipsum verbum est. (De Caus. L. L. lib. V. cap. cxxj.) Cette considération, très solide en soi, l’avoit conduit à définir ainsi cette partie d’oraison : verbum est nota rei sub tempore, ibid. 110. Scaliger touchoit presque au but, mais il l’a manqué. Les tems ne constituent point la nature du verbe ; autrement il faudroit dire que la langue franque, qui est le lien du commerce des Echelles du Levant, est sans verbe, puisque le verbe n’y reçoit aucun changement de terminaisons ; mais les tems supposent nécessairement dans la nature du verbe une idée qui puisse servir de fondement à ces métamorphoses, & cette idée ne peut être que celle de l’existence, puisque l’existence successive des êtres est la seule mesure du tems qui soit à notre portée, comme le tems devient à son tour la mesure de l’existence successive. Voyez Verbe.

Or cette idée de l’existence se manifeste à l’infinitif par les différences caractéristiques des trois especes générales de tems, qui sont le présent, le prétérit & le futur ; par exemple, amare (aimer) en est le présent ; amavisse (avoir aimé) en est le prétérit ; & amassere (devoir aimer), selon le témoignage & les preuves de Vossius (Analog. III. 17.) en est l’ancien futur, auquel on a substitué depuis des futurs composés, amaturum esse, amaturum fuisse, plus analogues aux futurs des modes personnels ; voyez Tems. L’usage, malgré ses prétendus caprices, ne peut résister à l’influence sourde de l’analogie.

Il faut donc conclure que l’essence du verbe se trouve à l’infinitif comme dans les autres modes, & que l’infinitif est véritablement verbe : verbum autem esse, verbi definitio clamat ; significat enim rem sub tempore. (Scalig. ibid. 117.) Si Sanctius & quelques autres Grammairiens ont cru que les inflexions temporelles de l’infinitif pouvoient s’employer indistinctement les unes pour les autres ; si quelques-uns en ont conclu qu’à la rigueur il ne pouvoit pas se dire que l’infinitif eût des tems différens, ni par conséquent qu’il fût verbe, c’est une erreur évidente, & qui prouve seulement que ceux qui y sont tombés n’avoient pas des tems une notion exacte. Un mot suffit sur ce point : si les inflexions temporelles de l’infinitif peuvent se prendre sans choix les unes pour les autres, l’infinitif ne peut pas se traduire avec as-

sûrance, & dicis me legere, par exemple, peut signifier

indistinctement vous dites que je lis, que j’ai lu, ou que je lirai.

Il semble qu’une fois assûré que l’infinitif a en soi la nature du verbe, & qu’il est une partie essentielle de sa conjugaison, on n’a plus qu’à le compter entre les modes du verbe. Il se trouve pourtant des Grammairiens d’une grande réputation & d’un grand mérite, qui en avouant que l’infinitif est partie du verbe, ne veulent pas convenir qu’il en soit un mode ; mais malgré les noms imposans des Scaliger, des Sanctius, des Vossius, & des Lancelot, j’oserai dire que leur opinion est d’une inconséquence surprenante dans des hommes si habiles ; car enfin, puisque de leur aveu même l’infinitif est verbe, il présente apparemment la signification du verbe sous un aspect particulier, & c’est sans doute pour cela qu’il a des inflexions & des usages qui lui sont propres, ce qui suffit pour constituer un mode dans le verbe, comme une terminaison différente avec une destination propre suffit pour constituer un cas dans le nom ; mais quel est cet aspect particulier qui caractérise le mode infinitif ?

Cette question ne peut se résoudre que d’après les usages combinés des langues. L’observation la plus frappante qui en résulte, c’est que dans aucun idiome l’infinitif ne reçoit ni inflexions numériques, ni inflexions personnelles ; & cette unanimité indique si sûrement le caractere différentiel de ce mode, sa nature distinctive, que c’est de-là, selon Priscien (lib. VIII. de modis.), qu’il a tiré son nom : unde & nomen accepit infinitivi, quod nec personas nec numeros definit. Cette étymologie a été adoptée depuis par Vossius (analog. III. 8.), & elle paroît assez raisonnable pour être reçue de tous les Grammairiens. Mais ne nous contentons pas d’un fait qui constate la forme extérieure de l’infinitif, ce seroit proprement nous en tenir à l’écorce des choses : pénétrons, s’il est possible, dans l’intérieur même.

Les inflexions numériques & les personnelles ont, dans les modes où elles sont admises, une destination connue ; c’est de mettre le verbe, sous ces aspects, en concordance avec le sujet dont il énonce un jugement. Cette concordance suppose identité, entre le sujet déterminé avec lequel s’accorde le verbe, & le sujet vague présenté par le verbe sous l’idée de l’existence (voyez Identité.) ; & cette concordance désigne l’application du sens vague du verbe au sens précis du sujet.

Si donc l’infinitif ne reçoit dans aucune langue ni inflexions numériques, ni inflexions personnelles, c’est qu’il est dans la nature de ce mode de n’être jamais appliqué à un sujet précis & déterminé, & de conserver invariablement la signification générale & originelle du verbe. Il n’y a plus qu’à suivre le cours des conséquences qui sortent naturellement de cette vérité.

I. Le principal usage du verbe est de servir à l’expression du jugement intérieur, qui est la perception de l’existence d’un sujet dans notre esprit sous tel ou tel attribut (s’Gravesande, Introd. à la philos. II. vij.) ; ainsi le verbe ne peut exprimer le jugement qu’autant qu’il est appliqué au sujet universel ou particulier, ou individuel, qui existe dans l’esprit, c’est-à-dire à un sujet déterminé. Il n’y a donc que les modes personnels du verbe qui puissent constituer la proposition ; & le mode infinitif, ne pouvant par sa nature être appliqué à aucun sujet déterminé, ne peut énoncer un jugement, parce que tout jugement suppose un sujet déterminé. Les usages des langues nous apprennent que l’infinitif ne fait dans la proposition que l’office du nom. L’idée abstraite de l’existence intellectuelle sous un attribut, est la seule idée déterminative du sujet vague présenté par l’in-