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Les hommes ayant l’idée de l’infini, l’ont appliquée d’une maniere impropre & contraire à cette idée même à tous les êtres auxquels ils n’ont voulu donner aucune borne dans leur genre ; mais ils n’ont pas pris garde que tout genre est lui-même une borne, & que toute divisibilité étant une imperfection qui est aussi une borne visible, elle exclut le véritable infini qui est un être sans bornes dans sa perfection.

L’être, l’unité, la vérité, & la bonté sont la même chose. Ainsi tout ce qui est un être infini est infiniment un, infiniment vrai, infiniment bon. Donc il est infiniment parfait & indivisible.

De-là je conclus qu’il n’y a rien de plus faux qu’un infini imparfait, & par conséquent borné ; rien de plus faux qu’un infini qui n’est pas infiniment un ; rien de plus faux qu’un infini divisible en plusieurs parties ou finies ou infinies. Ces chimériques infinis peuvent être grossierement imaginés, mais jamais conçus.

Il ne peut pas même y avoir deux infinis ; car les deux mis ensemble seroient sans doute plus grands que chacun d’eux pris séparément, & par conséquent ni l’un ni l’autre ne seroit véritablement infini.

De plus, la collection de ces deux infinis seroit divisible, & par conséquent imparfaite, au lieu que chacun des deux seroit indivisible & parfait en soi ; ainsi un seul infini seroit plus parfait que les deux ensemble. Si au contraire on vouloit supposer que les deux joints ensemble seroient plus parfaits que chacun des deux pris séparément, il s’ensuivroit qu’on les dégraderoit en les séparant.

Ma conclusion est qu’on ne sauroit concevoir qu’un seul infini souverainement un, vrai & parfait.

Infini, (Géomet.) Géométrie de l’infini, est proprement la nouvelle Géométrie des infinimens petits, contenant les regles du calcul différentiel & intégral. M. de Fontenelle a donné au public en 1727 un ouvrage, intitulé Elémens de la Géométrie de l’infini. L’auteur s’y propose de donner la métaphysique de cette géométrie, & de déduire de cette métaphysique, sans employer presque aucun calcul, la plûpart des propriétés des courbes. Quelques géometres ont écrit contre les principes de cet ouvrage ; voyez le second volume du Traité des fluxions de M. Maclaurin. Cet auteur attaque dans une note le principe fondamental de l’ouvrage de M. de Fontenelle ; voyez aussi la Préface de la traduction de la méthode des fluxions de Newton, par M. de Buffon.

M. de Fontenelle paroît avoir cru que le calcul différentiel supposoit nécessairement des quantités infiniment grandes actuelles, & des quantités infiniment petites. Persuadé de ce principe, il a cru devoir établir à la tête de son livre qu’on pouvoit toûjours supposer la grandeur augmentée ou diminuée réellement à l’infini, & cette proposition est le fondement de tout l’ouvrage ; c’est elle que M. Maclaurin a cru devoir attaquer dans le traité dont nous avons parlé plus haut : voici le raisonnement de M. de Fontenelle, & ce qu’il nous semble qu’on y peut opposer.

« La grandeur étant susceptible d’augmentation sans fin, il s’ensuit, dit il, qu’on peut la supposer réellement augmentée sans fin ; car il est impossible que la grandeur susceptible d’augmentation sans fin soit dans le même cas que si elle n’en étoit pas susceptible sans fin. Or, si elle n’en étoit pas susceptible sans fin, elle demeureroit toûjours finie ; donc la propriété essentielle qui distingue la grandeur susceptible d’augmentation sans fin de la grandeur qui n’en est pas susceptible sans fin, c’est que cette derniere demeure nécessairement toûjours finie, & ne peut jamais être supposée que finie ; donc la premiere de ces deux especes de

grandeurs peut être supposée actuellement infinie ». La réponse à cet argument est qu’une grandeur qui n’est pas susceptible d’augmentation sans fin, non seulement demeure toûjours finie, mais ne sauroit jamais passer une certaine grandeur finie ; au lieu que la grandeur susceptible d’augmentation sans fin, demeure toûjours finie, mais peut être augmentée jusqu’à surpasser telle grandeur finie que l’on veut. Ce n’est donc point la possibilité de devenir infinie, mais la possibilité de surpasser telle grandeur finie que l’on veut (en demeurant cependant toûjours finie) qui distingue la grandeur susceptible d’augmentation sans fin, d’avec la grandeur qui n’en est pas susceptible. Si l’on réduisoit le raisonnement de M. de Fontenelle en syllogisme, on verroit que l’expression n’est pas dans le même cas qui en seroit le moyen terme, est une expression vague qui présente plusieurs sens différens, & qu’ainsi ce syllogisme peche contre la regle qui veut que le moyen terme soit un. Voyez l’article Différentiel, où l’on prouve que le calcul différentiel, ou la géométrie nouvelle, ne suppose point à la rigueur & véritablement de grandeurs qui soient actuellement infinies ou infiniment petites.

La quantité infinie est proprement celle qui est plus grande que toute grandeur assignable ; & comme il n’existe pas de telle quantité dans la nature, il s’ensuit que la quantité infinie n’est proprement que dans notre esprit, & n’existe dans notre esprit que par une espece d’abstraction, dans laquelle nous écartons l’idée de bornes. L’idée que nous avons de l’infini est donc absolument négative, & provient de l’idée du fini, & le mot même négatif d’infini le prouve. Voyez Fini. Il y a cette difference entre infini & indéfini, que dans l’idée d’infini on fait abstraction de toutes bornes, & que dans celle d’indéfini on fait abstraction de telle ou telle borne en particulier. Ligne infinie est celle qu’on suppose n’avoir point de bornes ; ligne indéfinie est celle qu’on suppose se terminer où l’on voudra, sans que sa longueur ni par conséquent ses bornes soient fixées.

On admet en Géométrie, du moins par la maniere de s’exprimer, des quantités infinies du second, du troisieme, du quatrieme ordre ; par exemple, on dit que dans l’équation d’une parabole , si on prend x infinie, y sera infinie du second ordre, c’est-à-dire aussi infinie par rapport à l’infinie x, que x l’est elle-même par rapport à a. Cette maniere de s’exprimer n’est pas fort claire ; car si x est infinie, comment concevoir que y est infiniment plus grande ? voici la réponse. L’équation représente celle-ci , qui fait voir que le rapport de y à x va toûjours en augmentant à mesure que x croît, ensorte que l’on peut prendre x si grand, que le rapport de y à x soit plus grand qu’aucune quantité donnée : voilà tout ce qu’on veut dire, quand on dit que x étant infini du premier ordre, y l’est du second. Cet exemple simple suffira pour faire entendre les autres. Voyez Infiniment petit.

Arithmétique des infinis, est le nom donné par M. Wallis à la méthode de sommer les suites qui ont un nombre infini de termes. Voyez Suite ou Série & Géométrie. (O)

Infiniment petit, (Géom.) on appelle ainsi en Géométrie les quantités qu’on regarde comme plus petites que toute grandeur assignable. Nous avons assez expliqué au mot Différentiel ce que c’est que ces prétendues quantités, & nous avons prouvé qu’elles n’existent réellement ni dans la nature, ni dans les suppositions des Géometres. Il nous reste à dire un mot des infinimens petits de différens