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Si l’homme examine attentivement sa nature & celle des objets ; s’il revient sur le passé, & qu’il n’espere pas mieux de l’avenir, il voit que le bonheur est un fantome. Il se refroidit dans la poursuite de ses desirs ; il se dit, nil admirari prope res est una, Numici, solaque, quæ possit facere & servare beatum ; Numicius, il n’y a de vrai bien que le repos de l’indifférence.

L’indifférence philosophique a trois objets principaux, la gloire, la fortune & la vie. Que celui qui prétend à cette indifférence s’examine, & qu’il se juge. Craint-il d’être ignoré ? d’être indigent ? de mourir ? Il se croit libre, mais il est esclave. Les grands fantomes le séduisent encore.

L’indifférence philosophique ne differe de l’indifférence religieuse que par le motif. Le philosophe est indifférent sur les objets de la vie, parce qu’il les méprise ; l’homme religieux, parce qu’il attend de son petit sacrifice une récompense infinie.

Si l’indifférence naturelle, réfléchie, ou religieuse est excessive, elle relâche les liens les plus sacrés. On n’est plus ni pere attentif, ni mere tendre, ni ami, ni amant, ni époux. On est indifférent à tout. On n’est rien, ou l’on est une pierre.

INDIGENAT, s. f. (Jurisprud.) terme usité en Pologne & dans quelques autres pays pour signifier naturalité. Donner l’indigenat, c’est naturaliser quelqu’un. Ce mot vient du latin indigena, qui signifie naturel du pays. (A)

INDIGENE, (Géogr.) on ne trouve pas dans les dictionnaires le mot indigène, mais il devroit, ce me semble, être reçû depuis long-tems dans notre langue. On appelloit indigenæ, chez les anciens latins, les premiers habitans d’un pays ; que l’on croyoit n’être point venus s’y établir d’un autre lieu. Indigena est formé d’indu, employé anciennement pour in, comme on le voit quelquefois dans Lucrece, & de geno, au lieu duquel on dit gigno, mais d’où genus & genitus sont formés. Ce mot s’exprime en grec par ἀιγενές, qui a été engendré-là.

Les payens ignorant leur premiere origine, se figurerent que les premiers hommes avoient été engendrés par la terre ; & en conséquence, ils se crurent une production de cette terre qu’ils habitoient. Les Germains ne donnoient à leur dieu Tuiscon, pere de Mannus, l’un & l’autre fondateurs de leur nation, qu’une origine commune avec les arbres de leurs forêts. Les Athéniens, qui affectoient de se dire ἀυτόχθονες, ou nés d’eux-mêmes, ne se prenoient pas dans un autre sens. Mais sans nous arrêter à réfuter leurs erreurs, c’est assez de dire que par le mot indigène nous entendons les naturels d’un pays, ceux qui y sont nés, pour les distinguer de ceux qui viennent ensuite s’y établir. C’est ainsi que les Hotentots étoient indigènes par rapport aux Hollandois, qui ont commencé la colonie au cap de Bonne-Espérance ; & la postérité de ces mêmes Hollandois est devenue indigène dans ce pays-là par rapport aux nouvelles familles qui iront l’augmenter. (D. J.)

* INDIGENT, adj. (Gram.) homme qui manque des choses nécessaires à la vie, au milieu de ses semblables, qui jouissent avec un faste qui l’insulte, de toutes les superfluités possibles. Une des suites les plus fâcheuses de la mauvaise administration, c’est de diviser la société en deux classes d’hommes, dont les uns sont dans l’opulence & les autres dans la misere. L’indigence n’est pas un vice, c’est pis. On accueille le vicieux, on fuit l’indigent. On ne le voit jamais que la main ouverte & tendue. Il n’y a point d’indigent parmi les sauvages.

INDIGESTE, adj. (Diete.) se dit d’un aliment incapable d’être digéré, & qui seroit par conséquent plus proprement appellé indigestible ou indigérable. Un pareil aliment est encore appellé, dans le langage ordinaire, lourd, pesant & chargeant.

Ce mot ne se prend point à la rigueur & dans un sens absolu, parce que les matieres absolument incapables d’être digérées sont rejettées de la classe des alimens, lors même qu’elles contiennent une substance nutritive. Ainsi comme on ne s’avise point de manger les os durs, les cornes, les poils, les racines ligneuses, &c. quoique ces matieres soient indigestes par excellence, ce n’est pas dans celles de cet ordre que les Medecins considerent cette qualité. Ainsi donc un aliment indigeste n’est qu’un aliment de difficile digestion.

Il n’y a point d’aliment généralement & absolument indigeste ; c’est-à-dire, dont la digestion soit difficile pour tous les sujets. Cette considération est nécessairement liée à la précédente : car une matiere qui seroit constamment & universellement difficile à digérer, seroit aussi infailliblement exclue de la classe des alimens qu’une matiere absolument incapable de digestion. Un aliment indigeste est donc celui qui est difficilement digéré par le plus grand nombre de sujets sains, ou par un ordre entier de sujets sains. Voyez la fin de cet article.

On a remarqué à l’art. Aliment & à l’art. Digestion (Voyez ces articles.), que les divers estomacs ne s’accommodoient pas également des mêmes alimens, & qu’on observoit communément à cet égard des bisarreries fort singulieres. Or comme ces bisarreries sont telles que les alimens les plus parfaits, les plus généralement propres à une digestion aisée & louable, y sont soumis comme les plus indigestes ; il est clair que ces accidens ne doivent point être mis sur le compte des alimens.

Les alimens réellement indigestes en soi par leur constitution propre, sont de deux especes, savoir ceux qui par leur tissu dense, serré, membraneux, fibreux, coëneux, coriace, visqueux, opposent aux organes & aux sucs digestifs une résistence trop forte. Ce sont parmi les alimens qu’on tire des animaux les cartilages, la chair dure des animaux vieux, maigres, ou salée, ou fumée, ou trop récente, le gosier des oiseaux, le cœur de tous les animaux, &c. la peau, comme coëne de lard, peau de hure de sanglier, de grosse volaille, &c. les parties membraneuses, comme estomac, boyaux, &c. les piés de cochon, de veau, de mouton, &c. les huitres, les limaçons, les écrevisses & tous les crustacées, la seche, la raie & autres poissons dont la chair est très-fibreuse ; les œufs durs, &c. & parmi ceux que fournissent les végétaux, le pain bis, gluant, mal levé, mal cuit, la croute de pâté & autres pâtisseries non-fermentées, feuilletées, &c. les peaux ou écorces des fruits, & éminemment l’écorce blanche des oranges, des citrons, &c. les feuilles de certaines plantes dures, minces, séches, comme de pimprenelle, de persil, &c. les racines & bulbes d’un tissu fibreux & serré, comme le sont souvent celles du panais, des raves qui commencent à monter, &c. les oignons, &c. des fruits à parenchyme fibreux comme les oranges, ou d’un tissu ferme & compacte, comme amande, noix, &c. les semences légumineuses entieres, & mal ramollies par la cuite, &c.

La seconde classe d’alimens indigestes comprend ceux qui par leur consistance molle, égale, douce, dissoute, leur fadeur, leur inertie, & peut-être une qualité laxative occulte, n’excitent point convenablement le jeu des organes digestifs, & sont trop tôt & trop facilement pénétrés par les humeurs digestives. Ce sont les viandes grasses, délicates, fondantes, la graisse, les laitages sur-tout mêlés avec les œufs & le sucre ; les fruits doux, succulens & fondans, les vins doux, le mout, le miel, les sucreries, &c. Voyez tous les articles particuliers où il est traité des diverses matieres comprises sous les différentes divisions que nous venons d’assigner.