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bat un enfant, ce n’est point en forme de peine ; ce sont de simples corrections, par lesquelles on se propose principalement d’empêcher qu’il ne contracte de mauvaises habitudes.

3°. A l’égard de ce qui est fait dans l’ivresse, toute ivresse contractée volontairement, n’empêche point l’imputation d’une mauvaise action commise dans cet état.

4°. L’on n’impute à personne les choses qui sont véritablement au-dessus de ses forces, non plus que l’omission d’une chose ordonnée si l’occasion a manqué : car l’imputation d’une omission suppose manifestement ces deux choses, 1°. que l’on ait eu les forces & les moyens nécessaires pour agir ; 2°. que l’on ait pû faire usage de ces moyens sans préjudice de quelqu’autre devoir plus indispensable. Bien entendu que l’on ne se soit pas mis par sa faute dans l’impuissance d’agir : car alors le législateur pourroit aussi légitimement punir ceux qui se sont mis dans une telle impuissance que si étant en état d’agir ils refusoient de le faire. Tel étoit à Rome le cas de ceux qui se coupoient le pouce, pour se mettre hors d’état de manier les armes, & pour se dispenser d’aller à la guerre.

A l’égard des choses faites par ignorance ou par erreur, on peut dire en général que l’on n’est point responsable de ce que l’on fait par une ignorance invincible, &c. Voyez Ignorance.

Quoique le tempérament, les habitudes & les passions ayent par eux-mêmes une grande force pour déterminer à certaines actions ; cette force n’est pourtant pas telle qu’elle empêche absolument l’usage de la raison & de la liberté, du moins quant à l’exécution des mauvais desseins qu’ils inspirent. Les dispositions naturelles, les habitudes & les passions ne portent point invinciblement les hommes à violer les lois naturelles, & ces maladies de l’ame ne sont point incurables. Que si au lieu de travailler à corriger ces dispositions vicieuses, on les fortifie par l’habitude, l’on ne devient pas excusable pour cela. Le pouvoir des habitudes est, à la vérité, fort grand ; il semble même qu’elles nous entraînent par une espece de nécessité à faire certaines choses. Cependant l’expérience montre qu’il n’est point impossible de s’en défaire, si on le veut sérieusement ; & quand même il seroit vrai que les habitudes bien formées auroient sur nous plus d’empire que la raison ; comme il dépendoit toûjours de nous de ne pas les contracter, elles ne diminuent en rien le vice des actions mauvaises, & ne sauroient en empêcher l’imputation. Au contraire, comme l’habitude à faire le bien rend les actions plus louables, l’habitude au vice ne peut qu’augmenter le blâme. En un mot, si les inclinations, les passions & les habitudes pouvoient empêcher l’effet des lois, il ne faudroit plus parler d’aucune direction pour les actions humaines ; car le principal objet des lois en général est de corriger les mauvais penchans, de prévenir les habitudes vicieuses, d’en empêcher les effets, & de déraciner les passions, ou du moins de les contenir dans leurs justes bornes.

Les différens cas que nous avons parcourus jusqu’ici n’ont rien de bien difficile. Il en reste quelques autres un peu plus embarrassans, & qui demandent une discussion un peu plus détaillée.

Premierement on demande ce qu’il faut penser des actions auxquelles on est forcé ; sont-elles de nature à pouvoir être imputées, & doivent-elles l’être effectivement ?

Je réponds, 1°. qu’une violence physique, & telle qu’il est absolument impossible d’y résister, produit une action involontaire, qui bien-loin de mériter d’être actuellement imputée, n’est pas même imputable de sa nature.

2°. Mais si la contrainte est produite par la crainte de quelque grand mal, il faut dire que l’action à laquelle on se porte en conséquence, ne laisse pas d’être volontaire, & que par conséquent elle est de nature à pouvoir être imputée.

Pour connoitre ensuite si elle doit l’être effectivement, il faut voir si celui envers qui on use de contrainte est dans l’obligation rigoureuse de faire une chose ou de s’en abstenir, au hasard de souffrir le mal dont il est menacé. Si cela est, & qu’il se détermine contre son devoir, la contrainte n’est point une raison suffisante pour le mettre à couvert de toute imputation ; car en général, on ne sauroit douter qu’un supérieur légitime ne puisse nous mettre dans la nécessité d’obéir à ses ordres, au hasard d’en souffrir, & même au péril de notre vie.

En suivant ces principes, il faut donc distinguer ici entre les actions indifférentes (voyez l’article Moralite) & celles qui sont moralement nécessaires. Une action indifférente de sa nature, extorquée par la force, ne sauroit être imputée à celui qui y a été contraint, puisque n’étant dans aucune obligation à cet égard, l’auteur de la violence n’a aucun droit d’exiger rien de lui. Et la loi naturelle défendant formellement toute violence, ne sauroit en même tems l’autoriser, en mettant celui qui la souffre dans la nécessité d’exécuter ce à quoi il n’a consenti que par force. C’est ainsi que toute promesse ou toute convention forcée est nulle par elle même, & n’a rien d’obligatoire en qualité de promesse ou de convention ; au contraire elle peut & elle doit être imputée comme un crime à celui qui est auteur de la violence. Mais si l’on suppose que celui qui emploie la contrainte ne fait en cela qu’user de son droit & en poursuivre l’exécution, l’action, quoique forcée, ne laisse pas d’être valable, & d’être accompagnée de tous ses effets moraux. C’est ainsi qu’un débiteur fuyant, ou de mauvaise foi, qui ne satisfait son créancier que par la crainte prochaine de l’emprisonnement ou de quelque exécution sur ses biens, ne sauroit réclamer contre le payement qu’il a fait, comme y ayant été forcé.

Pour ce qui est des bonnes actions auxquelles on ne se détermine que par force, &, pour ainsi dire, par la crainte des coups ; elles ne sont comptées pour rien, & ne méritent ni louange ni récompense. L’on en voit aisément la raison. L’obéissance que les lois exigent de nous doit être sincere, & il faut s’acquitter de ses devoirs par principe de conscience, volontairement & de bon cœur.

Enfin à l’égard des actions manifestement mauvaises & criminelles, auxquelles on se trouve forcé par la crainte de quelque grand mal, & sur-tout de la mort ; il faut poser pour regle générale, que les circonstances fâcheuses où l’on se rencontre, peuvent bien diminuer le crime de celui qui succombe à cette épreuve ; mais néanmoins l’action demeure toujours vicieuse en elle-même, & digne de reproche ; en conséquence de quoi elle peut être imputée, & elle l’est effectivement, à moins que l’on n’allegue en sa faveur l’exception de la nécessité. Une personne qui se détermine par la crainte de quelque grand mal, mais pourtant sans aucune violence physique, à exécuter une action visiblement mauvaise, concourt en quelque maniere à l’action, & agit volontairement, quoiqu’avec regret. D’ailleurs il n’est point absolument au-dessus de la fermeté de l’esprit humain, de se résoudre à souffrir & même à mourir, plutôt que de manquer à son devoir. Le législateur peut donc imposer l’obligation rigoureuse d’obéir, & il peut avoir de justes raisons de le faire. Les nations civilisées n’ont jamais mis en question si l’on pouvoit, par exemple, trahir sa patrie pour conserver sa vie. Plusieurs moralistes payens ont fortement soutenu qu’il