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ils veulent qu’on leur donne un sujet cognatæ significationis, c’est-à-dire un nom qui ait la même racine que le verbe, & que l’on dise par exemple pluvia pluit, fulmen fulminat, fulgur fulgurat, lux lucesfit. C’est introduire gratuitement un pléonasme ; ce qu’on ne doit jamais se permettre qu’en faveur de la netteté ou de l’énergie. On a voulu indiquer un moyen général de suppléer l’ellipse ; mais ne vaudroit-il pas mieux renoncer à cette vûe, que de lui sacrifier la justesse de l’expression, comme il semble qu’on la sacrifie en effet dans lux lucescit ? Lux signifie proprement la splendeur du corps lumineux ; lucescit veut dire acquiert des degrés de splendeur ; car lucescere est un verbe inchoatif. Voyez Inchoatif. Réunissez ces deux traductions, & jugez, la splendeur acquiert des degrés de splendeur ! Consultons les bonnes sources, & réglons-nous dans chaque occurrence sur les exemples les plus analogues que nous aurons trouvés ailleurs : c’est, je crois, la regle générale la plus sûre que l’on doive proposer, & qu’il faille suivre.

Parcourons encore quelques verbes de terminaison active, prétendus impersonnels par la foule des grammatistes, & cependant appliqués par les meilleurs auteurs à des sujets déterminés, quelquefois même au nombre pluriel.

Accidit. Qui dies quàm crebro accidat, experti debemus scire ; (Cic. pro Mil.) En accido ad tua genua ; (Tacit.)

Contingit. Nam neque divitibus contingunt gaudia solis. (Hor. epist. I. 17.)

Decet. Nec velle experiri quàm se aliena deceant ; id enim maximè quemque decet quod est cujusque maximè suum. (Cic. Offic. I.)

Libet & lubet. Nam quod tibi lubet, idem mihi libet. (Plaut. Mostell.)

Licet. Non mihi idem licet quod iis qui nobili genere nati sunt. (Cic.)

Licet & oportet. Est enim aliquid quod non oporteat, etiamsi liceat ; quidquid verò non licet, certè non oportet. (Cic. pro Balbo.)

Oportet. Hæc facta ab illo oportebant. (Terent.) Adhuc Achillis quæ adsolent, quæque oportent signa ad salutem esse, omnia huic esse video. (Id.)

Si nous trouvons ces verbes appliqués à des sujets déterminés dans les exemples que l’on vient de voir, pourquoi faire difficulté de reconnoître qu’il en est encore de même, lorsque ces sujets ne sont pas exprimés, ou qu’ils sont moins apparens ? Me liceat casum miserari insontis amici ; (Æn. V.) le sujet de liceat dans ce vers, c’est me miserari casum insontis amici : c’est la même chose dans ce texte d’Horace, Licuit semperque licebit signatum præsente nota producere nomen ; (art poet. 58.) le sujet grammatical de licuit & de licebit, c’est l’infinitif producere ; le sujet logique, c’est signatum præsente notâ producere nomen. On lit dans Corn. Nepos, (Milt. 1.) Accidit ut Athenienses Chersonesum colonos vellent mittere ; la construction pleine montre clairement le sujet du verbe accidit : c’est res accidit ita ut Athenienses vellent mittere colonos in Chersonesum ; ou bien, hæc res, ut Athenienses vellent mittere colonos in Chersonesum accidit : selon la premiere maniere, le nom sous-entendu res est le sujet d’accidit, & ita ut Athenienses, &c. est une expression adverbiale, modificative du même verbe accidit ; selon la seconde maniere, le nom sous-entendu res, n’en est que le sujet grammatical, hæc ut Athenienses vellent, &c. est une proposition incidente, déterminative de res, & qui constitue avec res le sujet logique du verbe accidit. On peut, si je ne me trompe, choisir assez arbitrairement l’une de ces deux constructions, également approuvées par la saine Logique ; mais il résulte également de l’une & de l’autre qu’accidit n’est pas

impersonnel. Je ne dois pas insister davantage sur cette matiere ; il suffit ici d’avoir indiqué la voie pour découvrir le sujet de ces verbes revétus de la terminaison active, & taxés faussement d’impersonnalité.

II. Il ne faut pas croire davantage que ceux que l’on allegue sous la terminaison passive, soient employés sans relation à aucun sujet ; cela est absolument contraire à la nature des modes personnels, qui ne sont revétus de cette forme, que pour être mis en concordance avec le sujet particulier & déterminé auquel on les applique. Mais la méthode de trouver ce sujet mérite quelque attention ; & je ne puis approuver celle que Priscien enseigne, & qui a été adoptée ensuite par les meilleurs grammairiens.

Voici comment s’explique Priscien : (lib. XVIII.) sed si quis & hæc omnia impersonnalia velit inspicere penitùs, ad ipsas res verborum referuntur, & sunt tertiæ personoe, etiamsi prima & secunda deficiant. Il ajoute un peu plus bas : possunt habere intellectum nominativum ipsius rei, quæ in verbo intelligitur : nam cùm dico curritur, cursus intelligitur ; & sedetur, sessio ; & ambulatur, ambulatio ; sic & similia ; quæ res in omnibus verbis etiam absolutis necesse est ut intelligatur ; ut vivo, vitam ; & ambulo, ambulationem ; & sedeo, sessionem ; & curro, cursum.

Sanctius, (Minerv. lib. III. cap. j.) donne à ces paroles de Priscien, le nom de paroles d’or, aurea Prisciani verba, tant la doctrine lui en paroît plausible : aussi l’adopte-t-il dans toutes ses conséquences ; & il s’en sert (cap. iij.) pour prouver qu’il n’y a point de verbes neutres, & que tous sont actifs ou passifs. Pour moi je ne saurois me persuader, que pour rendre raison de quelques locutions particulieres, il faille adopter universellement le pléonasme, qui est en soi un vice entierement opposé à l’exactitude grammaticale, & qui n’est en effet permis en aucune langue, que dans quelques cas rares, & pour des vûes particulieres que l’art de la parole ne doit point négliger. « Il y auroit autant de raison, comme l’observe très-bien M. Lancelot, (Gramm. gén. part. II. ch. xviij.) de prétendre que quand on dit homo candidus, il faut sous-entendre candore, que de s’imaginer que quand on dit currit, il faut sous-entendre cursum, ou currere ». Toute la langue latine deviendroit donc un pléonasme perpétuel : que dis-je ? Il en seroit ainsi de toutes les langues ; & rien ne me dispenseroit de dire que je dormois, signifie en françois, je dormois le dormir ; & ainsi du reste. Credat judæus Apella, non ego.

Tout le monde sait que l’on dit également en latin, multi homines reperiuntur, plusieurs hommes sont trouvés, & multos homines reperire est, trouver, ou l’action de trouver plusieurs hommes, est ; ce qui signifie également, selon le tour de notre langue, on trouve plusieurs hommes. C’est ainsi que Virgile (Æn. VI. 595.) dit, Necnon & Tityon terræ omnipotentis alumnum cernere erat, & qu’il auroit pû dire, n’eût été la contrainte du vers, Necnon & Tityus terræ omnipotentis alumnus cernebatur. Il n’y a plus qu’à se laisser aller au cours des conséquences de cette observation fondamentale, afin d’expliquer la langue latine par elle-même, plutôt que par des suppositions arbitraires & peu justes. Itur, fletur, statur, curritur, &c. sont pareillement des expressions équivalentes à ire est, flere est, stare est, currere est ; ce qui paroît sans doute plus raisonnable que ire, ou itio itur ; flere, ou fletus fletur ; stare, ou statio statur ; currere, ou cursus curritur ; quoiqu’en ait pensé Priscien, & ceux qui l’ont répété d’après lui. Or dans ire est, flere est, stare est, il y a très-nettement un sujet, savoir, ire, flere, stare ; & le verbe personnel est : itur, fletur, statur, ne sont