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Les payens avoient aussi leurs asyles ; non seulement les autels & les temples en servoient, mais aussi les tombeaux & les statues des héros. Il y a encore des villes en Allemagne, qui ont conservé ce droit d’asyle ; les palais des princes ont ce même privilége, & tous les souverains ont le droit d’asyle dans leurs états pour les sujets d’un autre prince, qui viennent s’y réfugier, à moins que l’intérêt commun des puissances ne demande que le coupable soit rendu à son souverain.

A l’égard des églises, c’étoient les asyles les plus inviolables ; dans leur institution ils ne devoient servir que pour les infortunés & ceux que le hasard ou la nécessité exposoient à la rigueur de la loi ; mais dans la suite on en fit un usage odieux, en les faisant servir à protéger indifféremment & les coupables malheureux & les plus grands scelérats.

L’empereur Arcadius fut le premier qui abolit ces asyles, à l’instigation d’Eutrope son favori ; il fit entre autres choses une loi pour assujettir les œconomes des églises à payer les dettes des refugiés que les clercs refusoient de livrer. Eutrope eut bientôt lieu de se repentir de ce qu’il avoit fait faire ; car l’année d’après il fut obligé de venir chercher dans l’église de Constantinople l’asyle qu’il avoit voulu fermer aux autres. Cependant Arcadius ne pouvant résister aux cris du peuple qui demandoit Eutrope, envoya pour l’arracher de l’autel ; une troupe de soldats vint assiéger l’église l’épée à la main. Eutrope se cacha dans la sacristie ; S. Jean Chrisostome, patriarche de cette église, se présenta pour appaiser la fureur des soldats. Ils se saisirent de lui, & le menerent au palais comme un criminel ; mais il toucha tellement l’empereur & ceux qui étoient présens par ses larmes & par ce qu’il leur dit sur le respect dû aux saints autels, qu’il obtint enfin qu’Eutrope demeureroit en sûreté, tant qu’il seroit dans cet asyle. Il en sortit quelques jours après dans l’espérance de se sauver ; mais il fut pris & banni, & dans la même année il eut la tête tranchée. Après sa mort, Arcadius rétablit l’immunité des églises.

Théodore le jeune fit en 431 une loi concernant les asyles dans les églises. Elle porte que les temples dédiés doivent être ouverts à tous ceux qui sont en péril, & qu’ils seront en sûreté non-seulement près de l’autel, mais dans tous les bâtimens qui dépendent de l’église, pourvu qu’ils y entrent sans armes. Cette loi fut faite à l’occasion d’une profanation qui étoit arrivée nouvellement dans une église de Constantinople ; une troupe d’esclaves s’y étant refugiée près du sanctuaire, s’y maintint les armes à la main pendant plusieurs jours, au bout desquels ils s’égorgerent eux-mêmes.

L’empereur Léon fit aussi en 466 une loi, portant défense sous peine capitale, de tirer personne des églises, ni d’inquieter les évêques & les œconomes pour les dettes des réfugiés, dont on les rendoit responsables suivant la loi d’Arcadius.

Les évêques & les moines profiterent de ces dispositions favorables des souverains pour étendre cette immunité à tous les bâtimens qui étoient des dépendances de l’église. Ils marquoient même au dehors une enceinte, au-delà de laquelle ils plantoient des bornes pour limiter la jurisdiction séculiere. Ces couvens devenoient comme autant de forteresses où le crime étoit à l’abri, & bravoit la puissance du magistrat.

Nous avons d’anciens conciles qui ont fait des canons pour conserver aux églises le droit d’asyle. L’approbation que les souverains y donnoient, contribua beaucoup à faire faire ces decrets.

En Italie & dans plusieurs autres endroits, les églises & autres lieux saints sont encore des asyles pour les criminels. On y a même donné à ce privi-

lége plus d’étendue qu’il n’avoit anciennement.

En France, sous la premiere race de nos rois, le droit d’asyle dans les églises étoit aussi un droit très-sacré. L’église de S. Martin de Tours étoit un asyle des plus respectables ; on ne pouvoit le violer sans se rendre coupable d’un sacrilége des plus scandaleux.

Les conciles tenus alors dans les Gaules, recommandoient de ne point attenter aux asyles que l’on cherchoit dans les églises.

L’immunité fut étendue jusqu’au parvis des églises, aux maisons des évêques, & à tous les autres lieux renfermés dans leurs enceintes, afin de ne pas obliger les réfugiés de rester continuellement dans l’église, où plusieurs actions, nécessaires à la vie, ne pourroient se faire avec bienséance.

Lorsqu’il n’y avoit point de porche, ou de parvis & cimetiere fermé, l’immunité s’étendoit sur un arpent de terre autour de l’église, comme il est dit dans un decret de Clotaire, qui est à la suite de la loi salique, §. xiij.

Les réfugiés avoient la liberté de faire venir des vivres, & c’eût été violer l’immunité ecclésiastique, que de les en empêcher. On ne pouvoit les tirer de cet asyle, sans leur donner une assurance juridique de la vie & de la rémission de leurs crimes, sans qu’ils fussent sujets à aucune peine.

Charlemagne fit sur cette matiere deux capitulaires fort différens ; l’un en 779, portant que les criminels dignes de mort suivant les lois, qui se réfugient dans l’église, n’y doivent point être protégés, & qu’on ne doit point les y tenir, ni leur porter à manger ; l’autre qui fut fait en 788, porte au contraire que les églises serviront d’asyle à ceux qui s’y réfugieront ; qu’on ne les condamnera à mort, ni à mutilation de membre.

Mais il faut observer qu’on en exceptoit certains crimes, pour lesquels on n’accorde jamais de grace.

L’église ne pouvoit pas non plus servir d’asyle aux criminels qui s’étoient évadés de prison.

Lorsque le criminel avoit le tems de se retirer dans un lieu d’asyle, avant que la justice se fût emparée de lui, alors elle ne pouvoit lui faire son procès ; mais au bout de huit jours elle pouvoit l’obliger de forjurer le pays, suivant ce qui est dit en l’ancienne coutume de Normandie, chap. xxiv.

Philippe-le-Bel défendit de tirer les coupables des églises, où ils étoient refugiés, sinon dans les cas où le droit l’autorisoit.

Enfin, François I. par son ordonnance de 1539, art. 166, ordonne qu’il n’y auroit lieu d’immunité pour dettes ni autres matieres civiles, & que l’on pourra prendre toutes personnes en lieu de franchise, sauf à les réintégrer, quand il y aura decret de prise de corps décerné à l’encontre d’eux sur les informations, & qu’il sera ainsi ordonné par le juge ; tel est le dernier état de l’immunité ecclésiastique par rapport au droit d’asyle.

Pour ce qui est des immunités qui peuvent appartenir aux ecclésiastiques, soit en corps, ou en particulier, les princes chrétiens, pour marquer leur respect envers l’église dans la personne de ses ministres, ont accordé aux ecclésiastiques plusieurs priviléges, exemptions & immunités, soit par rapport à leur personne ou à leurs biens ; ces priviléges sont certainement favorables ; on ne prétend pas les contester.

Mais il ne faut pas croire, comme quelques ecclésiastiques l’ont prétendu, que ces priviléges soient de droit divin, ni que l’église soit dans une indépendance absolue de la puissance séculiere.

Il est constant que l’église est dans l’état & sous la protection du souverain ; les ecclésiastiques sujets & citoyens de l’état par leur naissance, ne cessent pas