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pect est une chimère ; c’est la chimère des grandes ames. Ces ames qui prisent tant l’immortalité, doivent priser en même proportion les talens, sans lesquels elles se la promettroient en vain ; la Peinture, la Sculpture, l’Architecture, l’Histoire & la Poësie. Il y eut des rois avant Agamemnon, mais ils sont tombés dans la mer de l’oubli, parce qu’ils n’ont point eu un poëte sacré qui les ait immortalisés : la tradition altere la vérité des faits, & les rend fabuleux. Les noms passent avec les empires, sans la voix du poëte & de l’historien qui traverse l’intervalle des tems & des lieux, & qui les apprend à tous les siecles & à tous les peuples. Les grands hommes ne sont immortalisés que par l’homme de lettres qui pourroit s’immortaliser sans eux. Au défaut d’actions célebres, il chanteroit les transactions de la nature & le repos des dieux, & il seroit entendu dans l’avenir. Celui donc qui méprisera l’homme de lettres, méprisera aussi le jugement de la postérité, & s’élevera rarement à quelque chose qui mérite de lui être transmis.

Mais, y a-t-il en effet des hommes en qui le sentiment de l’immortalité soit totalement éteint, & qui ne tiennent aucun compte de ce qu’on pourra dire d’eux quand ils ne seront plus ? je n’en crois rien. Nous sommes fortement attachés à la considération des hommes avec lesquels nous vivons ; malgré nous, notre vanité excite du néant ceux qui ne sont pas encore, & nous entendons plus ou moins fortement le jugement qu’ils porteront de nous, & nous le redoutons plus ou moins.

Si un homme me disoit, je suppose qu’il y ait dans un vieux coffre relégué au fond de mon grenier, un papier capable de me traduire chez la postérité comme un scélérat & comme un infâme ; je suppose encore que j’aye la démonstration absolue que ce coffre ne sera point ouvert de mon vivant ; eh bien, je ne me donnerois pas la peine de monter au haut de ma maison, d’ouvrir le coffre, d’en tirer le papier, & de le brûler.

Je lui répondrois, vous êtes un menteur.

Je suis bien étonné que ceux qui ont enseigné aux hommes l’immortalité de l’ame, ne leur ayent pas persuadé en même tems qu’ils entendront sous la tombe les jugemens divers qu’on portera d’eux, lorsqu’ils ne seront plus.

IMMORTELLE, s. m. elychrisum, (Hist. nat. Botan.) genre de plante à fleur, composée de plusieurs fleurons découpés en forme d’étoile, portés sur un embrion, & soutenus par un calice écailleux, luisant, & de belle couleur d’or ou d’argent. L’embrion devient dans la suite une semence garnie d’aigrettes. Tournefort, inst. rei herb. Voyez Plante.

L’immortelle, autrement dite bouton d’or ou amarante jaune, est nommée par Tournefort, stœchas citrina, angustifolia. Sa racine est simple, grosse, ligneuse, rendant une odeur approchante de celle de la gomme élémi. Ses tiges qui s’élevent à la hauteur d’un ou deux piés, sont lanugineuses, blanches, garnies de petites feuilles étroites, velues & blanchâtres. Ses fleurs naissent au sommet des tiges, ramassées en maniere de têtes ou de bouquets, composées de plusieurs fleurons réguliers, découpées sur le haut en étoiles, de couleur citrine, & soutenues par des calices écailleux, secs, jaunes & brillans. La graine qui succede à chaque fleuron, est oblongue, odorante, âcre, rousse, & garnie d’une aigrette. Cette plante croît d’elle-même aux lieux secs, sablonneux, arides des pays chauds, en Espagne, en Portugal, en Italie, en Provence, & en Languedoc près de Montpellier ; elle passe pour incisive, apéritive & emménagogue ; mais on ne la cultive dans nos jardins que pour la fleur qui est d’une grande beauté, d’une odeur forte & agréable.

Si on la cueille avant qu’elle vienne à décheoir

sur la plante, & qu’ensuite on la tienne dans un en droit sec, elle se conserve quelques années sans se gâter, peut-être parce que son calice écailleux est privé de phlegme ; quoi qu’il en soit, cette prérogative lui a valu dans notre langue le nom d’immortelle. Les dames la mettent pour se parer dans leurs cheveux, & à cet égard elle est de beaucoup préférable aux fleurs artificielles. Les Portugais & les Espagnols la chérissent fort, & en cultivent une grande quantité dans leurs jardins, indépendamment de celles des champs, pour en orner les chapelles de leurs églises ; les curieux ne manquent pas d’avoir dans ces pays-là plusieurs belles variétés de cette fleur qui semble faite pour leur terroir. (D. J.)

IMMUABLE, adj. (Gram.) qui ne peut changer. Il n’y a que Dieu qui soit immuable. La nature est dans un état de vicissitude perpétuelle. C’est une suite nécessaire de la loi générale de tous les corps : ou ils se meuvent, ou ils tendent à se mouvoir.

IMMUNITÉ, en latin immunitas, (Jurisprud.) est définie vacatio & libertas ab oneribus, exemption de quelque charge, devoir ou imposition.

Ce mot vient du latin munus, lequel en droit signifie trois choses différentes, savoir, don ou présent fait pour cause, charge ou devoir, & office ou fonction publique.

Les Romains appellerent leurs offices ou fonctions publiques munera, parce que dans l’origine c’étoit la récompense de ceux qui avoient bien mérité du public.

Par succession de tems plusieurs offices furent réputés onéreux, tels que ceux des décurions des villes, à cause qu’on les chargea de répondre sur leurs propres biens tant du revenu & autres affaires communes des villes, que des tributs du fisc, ce qui entraînoit ordinairement la ruine de ceux qui étoient chargés de cette fonction, au moyen de quoi il fallut user de contrainte pour obliger d’accepter ces sortes de places & autres semblables, & alors elles furent considérées comme des charges publiques, munera quasi onera ; munus enim aliquando significat onus, aliquando honorem seu officium, dit la loi munus, au digeste de verborum signific.

Les tutelles & curatelles furent dans ce même sens considérées comme des charges publiques, muneræ civilia.

Ceux qui avoient quelque titre ou excuse pour s’exempter de ces charges publiques, étoient immunes, seu liberi à muneribus publicis. Ainsi de munus pris pour charge, fonction ou devoir onéreux, on a fait immunité qui signifie exemption de quelque charge ou devoir ; & le terme d’immunitas a été consacré en droit pour exprimer cette exemption, ainsi qu’on le peut voir dans plusieurs titres du digeste & du code.

Le titre de excusationibus au digeste qui concerne les excuses que l’on peut donner pour s’exempter d’être tuteur ou curateur, appelle cette exemption vacatio munerum.

Le titre de vacatione & excusatione munerum, concerne les immunités par lesquelles on peut s’exempter des diverses fonctions publiques. Ces immunités ou excuses sont tirées de l’âge trop tendre ou trop avancé, des infirmités du corps, de l’exercice, de quelque autre fonction supérieure ou incompatible.

Le code contient aussi plusieurs titres sur les immunités, entr’autres celui de immunitate nemini concédendâ, où il est dit que les greffiers des villes qui auront fabriqué en faveur de quelqu’un de fausses immunités, seront punis du feu.

Les titres de decurionibus, de vacatione muneris publici, de decretis decurionum super immunitate quibusdam concedendâ, de excusationibus munerum, & autres titres suivans, traitent aussi de diverses immunités.