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Il y a aussi une congrégation de l’immaculée conception dans la plûpart des couvents, de laquelle il y a une société de filles séculieres qui ont pour fin d’honorer l’immaculée conception de la Vierge. Elles en font tous les ans une protestation en public, & tous les jours en particulier. (G)

IMMANENT, adj. (Philos. Théolog.) qui demeure dans la personne, ou qui n’a point effet au-dehors.

Les Philosophes ont distingué les actions en immanentes & transitoires. Les Théologiens ont adopté la même distinction. L’action immanente est celle dont le terme est dans l’être même qui l’a produite. La transitoire est celle dont le terme est hors de l’être qui l’a produite. Ainsi Dieu a engendré le fils & le Saint Esprit par des actions immanentes ; & il a créé le monde & tout ce qu’il comprend, par des actions transitoires.

IMMATÉRIALISME ou SPIRITUALITÉ. (Métaph.) L’immatérialisme est l’opinion de ceux qui admettent dans la nature deux substances essentiellement différentes ; l’une qu’ils appellent matiere, & l’autre qu’ils appellent esprit. Il paroît certain que les anciens n’ont eu aucune teinture de la spiritualité. Ils croyoient de concert que tous les êtres participoient à la même substance, mais que les uns étoient matériels seulement, & les autres matériels & corporels. Dieu, les anges & les génies, disent Porphyre & Jamblique, sont faits de la matiere ; mais ils n’ont aucun rapport avec ce qui est corporel. Encore aujourd’hui à la Chine, où les principaux dogmes de l’ancienne philosophie se sont conservés, on ne connoît point de substance spirituelle, & on regarde la mort comme la séparation de la partie aërienne de l’homme de sa partie terrestre. La premiere s’éleve en haut, & la seconde retourne en bas.

Quelques modernes soupçonnent que puisqu’Anaxagoras a admis un esprit dans la formation de l’univers, il a connu la spiritualité, & n’a point admis un Dieu corporel, ainsi qu’ont fait presque tous les autres philosophes. Mais ils se trompent étrangement ; car par le mot d’esprit les Grecs & les Romains ont également entendu une matiere subtile, ignée, extrèmement déliée, qui étoit intelligente a la vérité, mais qui avoit une étendue réelle & des parties différentes. Et en effet comment veulent-ils qu’on croye que les philosophes grecs avoient une idée d’une substance toute spirituelle, lorsqu’il est clair que tous les premiers peres de l’Eglise ont fait Dieu corporel, que leur doctrine a été perpétuée dans l’église greque jusque dans ces derniers siecles, & qu’elle n’a été quittée par les Romains que vers le tems de S. Augustin ?

Pour juger sainement dans quel sens on doit prendre le terme d’esprit dans les ouvrages des anciens, & pour décider de sa véritable signification, il faut d’abord faire attention dans quelle occasion il s’en faut servir, & à quel usage ils l’ont employé. Ils en usoient si peu pour exprimer l’idée que nous avons d’un être purement intellectuel ; que ceux qui n’ont reconnu aucune divinité, ou du moins qui n’en admettoient que pour tromper le peuple, s’en servoient très-souvent. Le mot d’esprit se trouve très-souvent dans Lucrece pour celui d’ame ; celui d’intelligence est employé au même usage : Virgile s’en sert pour signifier l’ame du monde, ou la matiere subtile & intelligente qui répandue dans toutes ses parties le gouverne & le vivifie. Ce système étoit en partie celui des anciens Pythagoriciens ; les Stoïciens qui n’étoient proprement que des Cyniques réformés, l’avoient perfectionné ; ils donnoient le nom de Dieu à cette ame ; ils la regardoient comme intelligente, l’appelloient esprit intellectuel : cependant avoient-ils

une idée d’une substance toute spirituelle ? pas davantage que Spinosa, ou du moins guere plus ; ils croyoient, dit le P. Mourgues dans son plan théologique du pythagorisme, avoir beaucoup fait d’avoir choisi le corps le plus subtil (le feu), pour en composer l’intelligence ou l’esprit du monde, comme on le peut voir dans Plutarque. Il faut entendre leur langage ; car dans le nôtre, ce qui est esprit n’est pas corps, & dans le leur au contraire on prouveroit qu’une chose étoit corps parce qu’elle étoit esprit… Je suis obligé de faire cette observation sans laquelle ceux qui liroient avec des yeux modernes cette définition du dieu des Stoïciens dans Plutarque, Dieu est un esprit intellectuel & igné, qui n’ayant point de forme peut se changer en telle chose qu’il veut, & ressembler à tous les êtres, croiroient que ces termes, d’esprit intellectuel, détermineroient la signification du terme suivant, à un feu purement métaphorique.

Ceux qui voudroient ne pas s’en tenir à l’opinion d’un savant moderne, ne refuseront peut-être pas de se soumettre à l’autorité d’un ancien auteur qui devoit bien connoître le sentiment des anciens philosophes, puisqu’il a fait un traité de leur opinion, qui, quoiqu’extrèmement précis, ne laisse pas d’être fort clair. C’est de Plutarque dont je veux parler. Il dit en termes exprès que l’esprit n’est qu’une matiere subtile, & il parle comme disant une chose connue & avouée de tous les philosophes. « Notre ame, dit-il, qui est air, nous tient en vie ; aussi l’esprit & l’air contient en être tout le monde, car l’esprit & l’air sont deux noms qui signifient la même chose ». Je ne pense pas qu’on puisse rien demander de plus fort & de plus clair en même tems. Dira-t-on que Plutarque ne connoissoit point la valeur des termes grecs, & que les modernes qui vivent aujourd’hui en ont une plus grande connoissance que lui ? On peut bien avancer une pareille absurdité ; mais où trouvera-t-elle la moindre croyance ?

Platon a été de tous les philosophes anciens celui qui paroît le plus avoir eu l’idée de la véritable spiritualité ; cependant lorsqu’on examine avec un peu d’attention la suite & l’enchaînement de ses opinions, on voit clairement que par le terme d’esprit il n’entendoit qu’une matiere ignée, subtile & intelligente ; sans cela, comment eût-il pu dire que Dieu avoit poussé hors de son sein une matiere dont il avoit formé l’univers ? Est-ce que dans le sein d’un esprit on peut placer de la matiere ? Y a-t-il de l’étendue dans une substance toute spirituelle ? Platon avoit emprunté cette idée de Timée de Locre qui dit que Dieu voulant tirer hors de son sein un fils très-beau, produisit le monde qui sera éternel, parce qu’il n’est pas d’un bon pere de donner la mort à son enfant. Il est bon de remarquer ici que Platon, ainsi que Timée de Locre son guide & son modele, ayant également admis la coéternité de la matiere avec Dieu, il falloit que de tout tems la matiere eût subsisté dans la substance spirituelle, & y eût été enveloppée. N’est-ce pas là donner l’idée d’une matiere subtile, d’un principe délié qui conserve dans lui le germe matériel de l’univers ?

Mais, dira-t-on, Ciceron en examinant les différens systèmes des Philosophes sur l’existence de Dieu, rejette celui de Platon comme inintelligible, parce qu’il fait spirituel le souverain être. Quod Plato sine corpore Deum esse censet, id quale esse possit intelligi non potest. A cela je réponds qu’on ne peut aucunement inférer de ce passage, que Ciceron ou Velleius qu’il fait parler, ait pensé que Platon avoit voulu admettre une divinité sans étendue, impassible, absolument incorporelle, enfin spirituelle, ainsi que nous le croyons aujourd’hui. Mais il trouvoit étrange qu’il n’eût point donné un corps & une forme déter-