Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 8.djvu/55

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la quantité qui les rend breves ou longues, soit pour le nombre qui fait qu’il y en a plus ou moins, soit pour le nombre & la quantité en même tems. 2°. Les inversions & les transpositions beaucoup plus fréquentes & plus hardies que dans les langues vivantes. 3°. Une cadence simple, ordinaire, qui se soûtient par-tout. 4°. Certaines cadences particulieres plus marquées, plus frapantes, & qui se rencontrant de tems à autre, sauvent l’uniformité des cadences uniformes. Voyez Cadence.

Il n’en est pas de même de notre langue : par exemple, quoiqu’on convienne aujourd’hui qu’elle a des breves & des longues, ce n’est pas à cette distinction que les inventeurs de notre poésie se sont attachés pour en fonder l’harmonie, mais simplement au nombre des mesures & à l’assonance des finales de deux en deux vers. Ils ont aussi admis quelques inversions, mais légeres & rares ; ensorte qu’on ne peut bien décider si nous sommes plus ou moins riches à cet égard que les anciens, parce que l’harmonie de nos vers ne dépend pas des mêmes causes que celle de leur poésie.

L’harmonie des vers répond exactement à la mélodie du chant. L’une & l’autre sont une succession naturelle & sensible des sons. Or comme dans la seconde un air filé sur les mêmes tons endormiroit, & qu’un mauvais coup d’archet cause une dissonnance physique qui choque la délicatesse des organes ; de même dans la premiere, le retour trop fréquent des mêmes rimes ou des mêmes expressions, le concours ou le choc de certaines lettres, l’union de certains mots, produisent ou la monotonie ou des dissonnances. Les sentimens sont partagés sur nos vers alexandrins, que quelques auteurs trouvent trop uniformes dans leurs chûtes, tandis qu’ils paroissent à d’autres très-harmonieux. Le mélange des vers & l’entrelacement des rimes contribuent aussi beaucoup à l’harmonie, pourvû que d’espace en espace on change de rimes, car souvent rien n’est plus ennuyeux que les rimes trop souvent redoublées. Voyez Rime. (G)

Harmonie évangélique, (Théol.) titre que différens interpretes ou commentateurs ont donné à des livres composés pour faire connoître l’uniformité & la concordance qui regnent dans les quatre évangélistes. Voyez Evangélistes & Concordance.

Le premier essai de ces sortes d’ouvrages est attribué à Tatien, qui l’intitula Diatessaron, ou à Théophile d’Antioche qui vivoit dans le second siecle. Leur exemple a été suivi par d’autres écrivains ; savoir, par Ammonius d’Alexandrie, Eusebe de Césarée, Jansenius évêque d’Ypres, M. Thoinard, M. Wisthon, le P. Lamy de l’Oratoire, &c. (G)

Harmonie préétablie, (Métaphysique.) On appelle harmonie préétablie, l’hypothese destinée à expliquer le commerce qui regne entre l’ame & le corps. C’est M. Leibnits qui l’a mise dans tout son jour ; car bien des philosophes ont pensé avant lui que le corps n’agit pas sur l’ame, ni l’ame sur le corps. On peut lire là-dessus tout le ij. chap. de la XI. partie du VI. livre de la Recherche de la Vérité. Spinosa dit dans son Ethique, part. III. prop. 2. Nec corpus mentem ad cogitandum, nec mens corpus ad motum, neque ad quietem, neque ad aliud determinare valet. Ce pas une fois fait, & la communication coupée, si je puis ainsi dire, entre les deux substances, il n’étoit pas bien difficile d’imaginer l’harmonie préétablie. Il y a sur-tout un passage dans Genlinus (Ethic. tract. 1. sect. 11. n°. 7.), qui dérobe à Leibnits presque toute la gloire de l’invention ; si tant est que ce soit une gloire d’avoir inventé un système en bute à autant de difficultés que l’est celui-là. Voici en peu de mots en quoi consiste ce

système : L’ame n’influe point sur le corps, ni le corps sur l’ame. Dieu n’excite point non plus les sensations dans l’ame, ni ne produit les mouvemens dans le corps. L’ame a une force intrinseque & essentielle de représenter l’univers, suivant la position de son corps. C’est en quoi consiste son essence. Le corps est une machine faite de telle façon que ses mouvemens suivent toûjours les représentations de l’ame. Chacune de ces deux substances a le principe & la source de ses mutations en soi-même. Chacune agit pour soi & de soi. Mais Dieu ayant prévû ce que l’ame penseroit dans ce monde, & ce qu’elle voudroit librement suivant la position du corps, a tellement accommodé le corps a l’ame, qu’il y a une harmonie exacte & constante entre les sensations de l’ame & les mouvemens du corps. Ainsi l’ame de Virgile produisoit l’Enéide, & sa main écrivoit l’Enéide sans que cette main obéît en aucune façon à l’intention de l’auteur ; mais Dieu avoit réglé de tout tems que l’ame de Virgile feroit des vers, & qu’une main attachée au corps de Virgile les mettroit par écrit. En un mot, M. Léibnits regarde l’ame & le corps comme deux automates qui sont montés de façon qu’ils se rencontrent exactement dans leurs mouvemens. Figurez-vous un vaisseau qui, sans avoir aucun sentiment ni aucune connoissance, & sans être dirigé par aucun être créé ou incréé, ait la vertu de se mouvoir de lui-même si à propos qu’il ait toûjours le vent favorable, qu’il évite les courans & les écueils, qu’il jette l’ancre où il le faut, qu’il se retire dans un havre précisément lorsque cela est nécessaire. Supposez qu’un tel vaisseau vogue de cette façon plusieurs années de suite, toûjours tourné & situé comme il le faut être, eu égard aux changemens de l’air & aux différentes situations des mers & des terres, vous conviendrez que l’infinité de Dieu n’est pas trop grande pour communiquer à un vaisseau un telle faculté. Ce que M. Léibnits suppose de la machine du corps humain est plus admirable encore. Appliquons à la personne de César son système. Il faudra dire que le corps de César exerça de telle sorte sa vertu motrice, que depuis sa naissance jusqu’à sa mort il suivit un progrès continuel de changemens, qui répondoient dans la derniere exactitude aux changemens perpétuels d’une certaine ame qui ne faisoit aucune impression sur lui. Il faut dire que la regle selon laquelle cette faculté du corps de César devoit produire ses actes, étoit telle qu’il seroit allé au sénat un tel jour, à une telle heure, qu’il y auroit prononcé telles & telles paroles, quand même il auroit plû à Dieu d’anéantir l’ame de César le lendemain qu’elle fut créée. Il faut dire que cette vertu motrice se changeoit & se modifioit ponctuellement selon la volubilité des pensées de cet esprit ambitieux. Une force aveugle se peut-elle modifier si à propos en conséquence d’une impression communiquée trente ou quarante ans auparavant, & qui n’a jamais été renouvellée depuis, & qui est abandonnée à elle-même, sans qu’elle ait jamais connoissance de sa leçon ?

Ce qui augmente la difficulté est qu’une machine humaine contient un nombre presque infini d’organes, & qu’elle est continuellement exposée au choc des corps qui l’environnent, & qui par une diversité innombrable d’ébranlemens excitent en elle mille sortes de modifications. Le moyen de comprendre qu’il n’arrive jamais de changement dans cette harmonie préétablie, & qu’elle aille toûjours son train pendant la plus longue vie des hommes, nonobstant les variétés infinies de l’action réciproque de tant d’organes les uns sur les autres, environnés de toutes parts d’une infinité de corpuscules, tantôt froids, tantôt chauds, tantôt secs, tantôt humides, toûjours actifs, toûjours picotant les nerfs. J’accor-