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cu, qu’étant abordé à Hispaniola, il se crut dans le Zipangri de Marco Paolo.

Cependant, pendant qu’il ajoûtoit un nouveau monde à la monarchie d’Espagne, les Portugais de leur côté s’aggrandissoient avec le même bonheur dans les Indes orientales. La découverte du Japon leur est dûe, & ce fut l’effet d’un naufrage. En 1542, lorsque Martin Alphonse de Souza étoit viceroi des Indes orientales, trois portugais, Antoine de Mota, François Zeimoto, & Antoine Peixota, dont les noms méritoient de passer à la postérité, furent jettés par une tempête sur les côtes du Japon ; ils étoient à bord d’une jonque chargée de cuir, qui alloit de Siam à la Chine : voilà l’origine de la premiere connoissance qui se répandit du Japon en Europe.

Le gouvernement du Japon a été pendant deux mille quatre cent ans assez semblable à celui du calif des Musulmans, & de Rome moderne. Les chefs de la religion ont été, chez les Japonnois, les chefs de l’empire plus long-tems qu’en aucune autre nation du monde. La succession de leurs pontifes rois, & de leurs pontifes reines (car dans ce pays-là les femmes ne sont point exclues du trône pontifical) remonte 660 ans avant notre ere vulgaire.

Mais les princes séculiers s’étant rendus insensiblement indépendans & souverains dans les provinces, dont l’empereur ecclésiastique leur avoit donné l’administration, la fortune disposa de tout l’empire en faveur d’un homme courageux, & d’une habileté consommée, qui d’une condition basse & servile, devint un des plus puissans monarques de l’univers ; on l’appella Taïco.

Il ne détruisit, en montant sur le trône, ni le nom, ni la race des pontifes, dont il envahit le pouvoir, mais depuis lors l’empereur ecclésiastique, nommé Dairi ou Dairo, ne fut plus qu’une idole révérée, avec l’apanage imposant d’une cour magnifique ; voyez Dairo. Ce que les Turcs ont fait à Bagdat, ce que les Allemans ont voulu faire à Rome, Taïco l’a fait au Japon, & ses successeurs l’ont confirmé.

Ce fut sur la fin du xvj siecle, vers l’an 1583 de J. C. qu’arriva cette révolution. Taïco instruit de l’état de l’empire, & des vûes ambitieuses des princes & des grands, qui avoient si longtems pris les armes les uns contre les autres, trouva le secret de les abaisser & de les dompter. Ils sont aujourd’hui tellement dans la dépendance du Kubo, c’est-à-dire, de l’empereur séculier, qu’il peut les disgracier, les exiler, les dépouiller de leurs possessions, & les faire mourir quand il lui plaît, sans en rendre compte à personne. Il ne leur est pas permis de demeurer plus de six mois dans leurs biens héréditaires ; il faut qu’ils passent les autres six mois dans la capitale, où l’on garde leurs femmes & leurs enfans pour gage de leur fidélité. Les plus grandes terres de la couronne sont gouvernées par des lieutenans, & par des receveurs ; tous les revenus de ces terres doivent être portés dans les coffres de l’empire ; il semble que quelques ministres qu’on a eus en Europe ayent été instruits par le grand Taïco.

Ce prince, pour mettre ensuite son autorité à couvert de la fureur du peuple, qui sortoit des guerres civiles, fit un nouveau corps de lois, si rigoureuses, qu’elles ne semblent pas être écrites, comme celles de Dracon, avec de l’encre, mais avec du sang. Elles ne parlent que de peines corporelles, ou de mort, sans espoir de pardon, ni de surséance pour toutes les contraventions faites aux ordonnances de l’empereur. Il est vrai, dit M. de Montesquieu, que le caractere étonnant de ce peuple opiniâtre, capricieux, déterminé, bizarre & qui brave tous les périls & tous les malheurs, semble à la premiere vûe, absoudre ce législateur de

l’atrocité de ses lois ; mais des gens, qui naturellement méprisent la mort, & qui s’ouvrent le ventre par la moindre fantaisie, sont-ils corrigés ou arrêtés par la vûe des supplices, & ne peuvent-ils pas s’y familiariser ?

En même tems que l’empereur, dont je parle, tâchoit par des lois atroces, de pourvoir à la tranquilité de l’état, il ne changea rien aux diverses religions établies de tems immémorial, dans le pays, & laissa à tous ses sujets la liberté de penser comme ils voudroient sur cette matiere.

Entre ces religions, celle qui est la plus étendue au Japon, admet des récompenses & des peines après la vie, & même celle de Sinto qui a tant de sectateurs, reconnoît des lieux de délices pour les gens de bien, quoiqu’elle n’admette point de lieu de tourmens pour les méchans ; mais ces deux sectes s’accordent dans la morale. Leur principaux commandemens qu’ils appellent divins, sont les nôtres ; le mensonge, l’incontinence, le larcin, le meurtre, sont défendus ; c’est la loi naturelle réduite en préceptes positifs. Ils y ajoûtent le précepte de la tempérance, qui défend jusqu’aux liqueurs fortes, de quelque nature qu’elles soient, & ils étendent la défense du meurtre jusqu’aux animaux ; Siaka qui leur donna cette loi, vivoit environ mille ans avant notre ere vulgaire. Ils ne different donc de nous en morale, que dans le précepte d’épargner les bêtes, & cette différence n’est pas à leur honte. Il est vrai qu’ils ont beaucoup de fables dans leur religion, en quoi ils ressemblent à tous les peuples, & à nous en particulier, qui n’avons connu que des fables grossieres avant le Christianisme.

La nature humaine a établi d’autres ressemblances entre ces peuples & nous. Ils ont la superstition des sortileges que nous avons eu si long-tems. On retrouve chez eux les pélerinages, les épreuves de feu, qui faisoient autrefois une partie de notre jurisprudence ; enfin ils placent leurs grands hommes dans le ciel, comme les Grecs & les Romains. Leur pontife (s’il est permis de parler ainsi) a seul, comme celui de Rome moderne, le droit de faire des apothéoses, & de consacrer des temples aux hommes qu’il en juge dignes. Ils ont aussi depuis très-long-tems des religieux, des hermites, des instituts même, qui ne sont pas fort éloignés de nos ordres guerriers ; car il y avoit une ancienne société de solitaires, qui faisoient vœu de combattre pour la religion.

Le Japon étoit également partagé entre plusieurs sectes sous un pontife roi, comme il l’est sous un empereur séculier ; mais toutes les sectes se réunissoient dans les mêmes points de morale. Ceux qui croyoient la métempsycose & ceux qui n’y croyoient pas, s’abstenoient & s’abstiennent encore aujourd’hui de manger la chair des animaux qui rendent service à l’homme ; tous s’accordent à les laisser vivre, & à regarder leur meurtre comme une action d’ingratitude & de cruauté. La loi de Moyse tue & mange, n’est pas dans leurs principes, & vraisemblablement le Christianisme adopta ceux de ce peuple, quand il s’établit au Japon.

La doctrine de Confucius a fait beaucoup de progrès dans cet empire ; comme elle se réduit toute à la simple morale, elle a charmé tous les esprits de ceux qui ne sont pas attachés aux bonzes, & c’est toujours la saine partie de la nation. On croit que le progrès de cette philosophie, n’a pas peu contribué à ruiner la puissance du Dairi : l’empereur qui régnoit en 1700, n’avoit pas d’autre religion.

Il semble qu’on abuse plus au Japon qu’à la Chine de cette doctrine de Confucius. Les philosophes japonnois regardent l’homicide de soi-même, comme une action vertueuse, quand elle ne blesse pas la société ; le naturel fier & violent de ces insulaires met