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plette, & qu’il faudroit parler en doutant, beaucoup plus souvent qu’on ne le fait communément ; mais en se conduisant autrement, on s’expose au danger de prendre des conjectures fausses & incertaines pour des vérités reconnues & indubitables. Le commun des gens de lettres ne s’accommode pas des expressions suspendues, non plus que le peuple. Ils aiment les affirmations générales & universelles, & le ton hardi d’un docteur fait dans leur esprit le même effet que l’évidence. Revenons de cette digression. Il est certain que le vulgaire a toujours été un fort mauvais juge de ces matieres, & qu’il a condamné comme athées des gens qui croyoient une divinité, seulement parce qu’ils n’approuvoient pas certaines opinions ou quelques superstitions de la théologie populaire. Par exemple, quoique Anaxagore de Clazomene fût après Thalés le premier de la secte ïonique, qui reconnût, pour principe de l’univers, un esprit infini, neanmoins on le traitoit communément d’athée, parce qu’il disoit que le soleil n’étoit qu’un globe de feu, & la lune qu’une terre ; c’est-à-dire, parce qu’il nioit qu’il y eût des intelligences attachées à ces astres, & par conséquent que ce fussent des divinités. On accusa de même Socrate d’athéisme, quoiqu’on n’entreprît, dans le procès qu’on lui fit, de prouver autre chose contre lui, sinon qu’il croyoit que les dieux qu’on adoroit à Athènes n’étoient pas de véritables dieux. C’est pour cela encore que l’on traitoit d’athées les chrétiens pendant les premiers siecles, parce qu’ils rejettoient les dieux du paganisme. Au contraire le peuple a souvent regardé de véritables athées, comme des gens persuadés de l’existence d’une divinité, seulement parce qu’ils observoient la forme extérieure de la religion, & qu’ils se servoient des manieres de parler usitées.

HYLOPHAGES, s. m. pl. (Géog. anc.) peuples d’Ethyopie, voisins des Hylogones, c’est à-dire, chasseurs nés dans les forêts, & des Spermatophages ou mangeurs de graines. Hylophages signifie mangeurs de bois, parce qu’ils broutoient pour vivre, les branches les plus tendres des arbres. Diodore de Sicile, liv. III. chap. xxiv. & xxv. donne une description bien curieuse de tous ces divers peuples Ethyopiens. Il ajoûte, au sujet des Hylophages, qu’ils sont exposés à une maladle nommée glaucoma ; « c’est, continue-t-il, lorsque par trop de sécheresse l’humeur crystalline devient de la couleur d’un verd de mer, & cet accident leur ôte l’usage de la vûe ». plus habile medecin de nos jours ne parleroit pas mieux de cette maladie, & n’en sçait pas plus que l’historien qui vivoit du tems de César. (D. J.)

HYLOZOISME, s. m. (hist. de la Philos.) espece d’athéisme philosophique, qui attribue à tous les corps considérés en eux-mêmes, une vie comme leur étant essentielle, sans en excepter le moindre atome, mais sans aucun sentiment & sans connoissance réfléchie : comme si la vie d’un côté, & de l’autre la matiere, étoient deux êtres incomplets, qui joints ensemble, formassent ce qu’on appelle corps. Par cette vie, que ces philosophes attribuoient à la matiere, ils supposoient que toutes les parties de la matiere ont la faculté de se disposer elles-mêmes d’une maniere artificielle & réglée, quoique sans délibération ni réflexion, & de se pousser à la plus grande perfection dont elles soient capables. Ils croyoient que ces parties, par le moyen de l’organisation, se perfectionnoient elles-mêmes jusqu’à acquérir du sentiment & de la connoissance directe comme dans les bêtes, & de la raison ou de la connoissance réfléchie comme dans les hommes. Cela étant, il est visible que les hommes n’auroient pas besoin d’une ame immatérielle pour être raisonnables, ni l’univers d’aucune divinité pour être aussi régulier qu’il l’est. La principale différence qu’il y

a entre cette espece d’athéisme & celle de Démocrite & d’Epicure, c’est que ces derniers supposent que toute sorte de vie est accidentelle, & sujette à la génération & à la corruption ; au lieu que les Hylozoïstes mettent une vie naturelle, essentielle, & qui ne s’engendre ni ne se détruit, quoiqu’ils l’attribuent à la matiere, parce qu’ils ne reconnoissent aucune autre substance dans le monde que celle des corps.

On attribue à Straton de Lampsaque l’origine de ce sentiment. Il avoit été disciple de Théophraste, & s’étoit acquis beaucoup de réputation dans la secte Péripatéticienne, mais il la quitta pour établir une nouvelle espece d’athéisme. Velleius, épicurien & athée, en parle de cette maniere. Nec audiendus Strato, qui physicus appellatur, qui omnem vim divinam in naturâ sitam esse censet, quæ causas gignendi, augendi minuendive habeat, sed careat omni sensu. De nat. deorum, lib. I. cap. xiij. Il prétendoit, comme les Epicuriens, que tout avoit été formé par le concours fortuit des atomes, à qui il attribuoit je ne sçais quelle vie ; ce qui faisoit croire qu’il regardoit la matiere ainsi animée comme une espece de divinité : c’est ce qui a fait dire à Seneque : Ego seram aut Platonem, aut Peripateticum Stratonem, quorum alter Deum sine corpore fecit, alter sine animo ? Apud Augustinum de cit. Dei, l. VI. c. x. C’est-là la cause pour laquelle Straton est quelquefois rangé parmi ceux qui croyoient un Dieu, quoique ce fût un véritable athée. On peut s’en assurer encore par ce passage de Cicéron : Strato Lampsacenus negat opera deorum se uti ad fabricandum mundum ; quæcumque sint docet omnia esse effecta naturæ ; nec ut ille qui asperis & lævibus & hamatis uncinatisque corporibus concreta hæc esse dicit interjecto inani ; somnia censet hæc esse Democriti, non docentis sed optantis. Acad. quest. l. XI. c. xxxviij. Il nioit donc aussi-bien que Démocrite, que le monde eût été fait par une divinité ou par une nature intelligente, mais il ne tomboit pas d’accord avec lui touchant l’origine de toutes choses ; parce que Démocrite n’établissant aucun principe actif, ne rendoit aucune raison du mouvement ni de la régularité que l’on voit dans les corps. La nature de Démocrite n’étoit que le mouvement fortuit de la matiere ; mais la nature de Straton étoit une vie inférieure & plastique, par laquelle les parties de la matiere pouvoient se donner à elles-mêmes une meilleure forme, mais sans sentiment de soi-même ni connoissance réfléchie. Quidquid aut fit aut fiat, naturalibus fieri, aut factum esse docet ponderibus ac motibus. Cic. ibid. Il faut donc de plus remarquer, qu’encore que Straton établisse la vie dont on a parlé dans la matiere, il ne reconnoît aucun être, ni aucune vie générale qui préside sur toute la matiere pour la former. C’est ce qui est en partie affirmé par Plutarque advers. Colotem. & qu’on peut recueillir de ces mots : « Il nie que le monde lui-même soit un animal, mais il soutient que ce qui est selon la nature, suit ce qui est conforme à sa nature ; que le hasard donne le commencement à tout, & qu’ensuite chaque effet de sa nature se produit ». Comme il nioit qu’il y eût un principe commun & intelligent qui gouvernât toutes choses, il falloit qu’il donnât quelque chose au hasard, & qu’il fît dépendre le système du monde d’un mélange du hasard & d’une nature reglée.

Tout Hylozoïsme n’est pas un athéisme. Ceux qui, en soutenant qu’il y a de la vie dans la matiere, avouent en même tems qu’il y a une autre sorte de substance qui est immatérielle & immortelle, ne peuvent pas être accusés d’athéisme. On ne sauroit nier en effet qu’un homme qui croiroit qu’il y a une divinité, & que l’ame raisonnable est im-