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pour un tems, il le faut tant que le danger & la présence de l’ennemi durent.

Il n’y a qu’un moyen de former une puissance commune qui fasse la sécurité ; c’est de résigner sa volonté à un seul ou à un certain nombre.

Après cette résignation, la multitude n’est plus qu’une personne qu’on appelle la ville, la société, ou la république.

La société peut user de toute son autorité pour contraindre les particuliers à vivre en paix entre eux, & à se réunir contre l’ennemi commun.

La société est une personne dont le consentement & les pactes ont autorisé l’action, & dans laquelle s’est conservé le droit d’user de la puissance de tous pour la conservation de la paix & la défense commune.

La société se forme ou par institution, ou par acquisition.

Par institution, lorsque d’un consentement unanime, des hommes cedent à un seul, ou à un certain nombre d’entre eux, le droit de les gouverner, & vouent obéissance.

On ne peut ôter l’autorité souveraine à celui qui la possede, même pour cause de mauvaise administration.

Quelque chose que fasse celui à qui l’on a confié l’autorité souveraine, il ne peut être suspect envers celui qui l’a conférée.

Puisqu’il ne peut être coupable, il ne peut être ni jugé, ni châtié, ni puni.

C’est à l’autorité souveraine à décider de tout ce qui concerne la conservation de la paix & sa rupture, & à prescrire des regles d’après lesquelles chacun connoisse ce qui est sien, & en jouisse tranquillement.

C’est à elle qu’appartient le droit de déclarer la guerre, de faire la paix, de choisir des ministres, & de créer des titres honorifiques.

La monarchie est préférable à la démocratie, à l’aristocratie, & à toute autre forme de gouvernement mixte.

La société se forme par acquisition ou conquêtes, lorsqu’on obtient l’autorité souveraine sur ses semblables par la force ; ensorte que la crainte de la mort ou des liens ont soumis la multitude à l’obéissance d’un seul ou de plusieurs.

Que la société se soit formée par institution ou par acquisition, les droits du souverain sont les mêmes.

L’autorité s’acquiert encore par la voie de la génération ; telle est celle des peres sur leurs enfans. Par les armes ; telle est celle des tyrans sur leurs esclaves.

L’autorité conférée à un seul ou à plusieurs est aussi grande qu’elle peut l’être, quelque inconvénient qui puisse résulter d’une résignation complette ; car rien ici bas n’est sans inconvénient.

La crainte, la liberté & la nécessité qu’on appelle de nature & de causes, peuvent subsister ensemble. Celui-là est libre qui peut tirer de sa force & de ses autres facultés tout l’avantage qu’il lui plaît.

Les lois de la société circonscrivent la liberté ; mais elles n’ôtent point au souverain le droit de vie & de mort. S’il l’exerce sur un innocent, il peche envers les dieux ; il commet l’iniquité, mais non l’injustice : ubi in innocentem exercetur, agit quidem iniquè, & in deum peccat imperans, non vero injustè agit.

On conserve dans la société le droit à tout ce qu’on ne peut résigner ni transférer, & à tout ce qui n’est point exprimé dans les lois sur la souveraineté. Le silence des lois est en faveur des sujets. Manet libertas circa res de quibus leges silent pro summo potestatis imperio.

Les sujets ne sont obligés envers le souverain que tant qu’il lui reste le pouvoir de les protéger. Obligatio civium erga eum qui summam habet potestatem tandem nec diutius permanere intelligitur, quam manet potentia cives protegendi.

Voilà la maxime qui fit soupçonner Hobbes d’avoir abandonné le parti de son roi qui en étoit réduit alors à de telles extrémités, que ses sujets n’en pouvoient plus espérer de secours.

Qu’est-ce qu’une société ? un aggrégat d’intérêts opposés ; un système où par l’autorité conférée à un seul ces intérêts contraires sont tempérés. Le système est régulier ou irrégulier, ou absolu ou subordonné, &c.

Un ministre de l’autorité souveraine est celui qui agit dans les affaires publiques au nom de la puissance qui gouverne, & qui la représente.

La loi civile est une regle qui définit le bien & le mal pour le citoyen ; elle n’oblige point le souverain : Hàc imperans non tenetur.

Le long usage donne force de loi. Le silence du souverain marque que telle a été sa volonté.

Les lois civiles n’obligent qu’après la promulgation.

La raison instruit des lois naturelles. Les lois civiles ne sont connues que par la promulgation.

Il n’appartient ni aux docteurs ni aux philosophes d’interpréter les lois de la nature. C’est l’affaire du souverain. Ce n’est pas la vérité, mais l’autorité qui fait la loi : Non veritas, sed auctoritas facit legem.

L’interprétation de la loi naturelle est un jugement du souverain qui marque sa volonté sur un cas particulier.

C’est ou l’ignorance, ou l’erreur, ou la passion, qui cause la transgression de la loi & le crime.

Le châtiment est un mal infligé au transgresseur publiquement, afin que la crainte de son supplice contienne les autres dans l’obéissance.

Il faut regarder la loi publique comme la conscience du citoyen : Lex publica civi pro conscientia subeunda.

Le but de l’autorité souveraine, ou le salut des peuples, est la mesure de l’étendue des devoirs du souverain : Imperantis officia dimetienda ex fine, qui est salus populi.

Tel est le système politique d’Hobbes. Il a divisé son ouvrage en deux parties. Dans l’une, il traite de la société civile, & il y établit les principes que nous venons d’exposer. Dans l’autre, il examine la société chrétienne, & il applique à la puissance éternelle les mêmes idées qu’il s’étoit formées de la puissance temporelle.

Caractere d’Hobbes. Hobbes avoit reçu de la nature cette hardiesse de penser, & ces dons avec lesquels on en impose aux autres hommes. Il eut un esprit juste & vaste, pénétrant & profond. Ses sentimens lui sont propres, & sa philosophie est peu commune. Quoiqu’il eût beaucoup étudié, & qu’il sût, il ne fit pas assez de cas des connoissances acquises. Ce fut la suite de son penchant à la méditation. Elle le conduisoit ordinairement à la découverte des grands ressorts qui font mouvoir les hommes. Ses erreurs même ont plus servi au progrès de l’esprit humain, qu’une foule d’ouvrages tissus de vérités communes. Il avoit le défaut des systématiques ; c’est de généraliser les faits particuliers, & de les plier adroitement à ses hypothèses ; la lecture de ses ouvrages demande un homme mûr & circonspect. Personne ne marche plus fermement, & n’est plus conséquent. Gardez-vous de lui passer ses premiers principes, si vous ne voulez pas le suivre par-tout où il lui plaira de vous conduire. La philosophie de M. Rousseau de Genève, est presque l’inverse de celle de Hobbes. L’un croit l’homme de