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cause des bonnes actions que des mauvaises, mais que c’est par sa volonté seule qu’elles sont mauvaises ou bonnes, & qu’il peut rendre coupable celui qui ne l’est point, & punir & damner sans injustice celui même qui n’a pas péché.

Toutes ces idées sur la souveraineté & la justice de Dieu, sont les mêmes que celles qu’il établissoit sur la souveraineté & la justice des rois. Il les avoit transportées du temporel au spirituel ; & les Théologiens en concluoient que, selon lui, il n’y avoit ni justice ni injustice absolue ; que les actions ne plaisent pas à Dieu parce qu’elles sont bien, mais qu’elles sont bien parce qu’il lui plaît, & que la vertu tant dans ce monde que dans l’autre, consiste à faire la volonté du plus fort qui commande, & à qui on ne peut s’opposer avec avantage.

En 1649, il fut attaqué d’une fievre dangereuse ; le pere Mersenne, que l’amitié avoit attaché à côté de son lit, crut devoir lui parler alors de l’Eglise Catholique & de son autorité. « Mon pere, lui répondit Hobbes, je n’ai pas attendu ce moment pour penser à cela, & je ne suis guere en état d’en disputer ; vous avez des choses plus agréables à me dire. Y a-t-il long-tems que vous n’avez vû Gassendi ? » Mi pater, hæc omnia jamdudum mecum disputavi, eadem disputare nunc molestum erit ; habes quæ dicas ameniora. Quando vidisti Gassendum ? Le bon religieux conçut que le philosophe étoit résolu de mourir dans la religion de son pays, ne le pressa pas davantage, & Hobbes fut administré selon le rit de l’église anglicane.

Il guérit de cette maladie, & l’année suivante il publia ses traités de la nature humaine, & du corps politique. Sethus Wardus, célebre professeur en Astronomie à Séville, & dans la suite évêque de Salisbury, publia contre lui une espece de satyre, où l’on ne voit qu’une chose, c’est que cet homme quelqu’habile qu’il fût d’ailleurs, réfutoit une philosophie qu’il n’entendoit pas, & croyoit remplacer de bonnes raisons par de mauvaises plaisanteries. Richard Steele, qui se connoissoit en ouvrage de littérature & de philosophie, regardoit ces derniers comme les plus parfaits que notre philosophe eût composés.

Cependant à mesure qu’il acquéroit de la réputation, il perdoit de son repos ; les imputations se multiplioient de toutes parts ; on l’accusa d’avoir passé du parti du roi dans celui de l’usurpateur. Cette calomnie prit faveur ; il ne se crut pas en sûreté à Paris, où ses ennemis pouvoient tout, & il retourna en Angleterre où il se lia avec deux hommes célebres, Harvée & Seldene. La famille de Devonshire lui accorda une retraite ; & ce fut loin du tumulte & des factions qu’il composa sa logique, sa physique, son livre des principes ou élémens des corps, sa géométrie & son traité de l’homme, de ses facultés, de leurs objets, de ses passions, de ses appétits, de l’imagination, de la mémoire, de la raison, du juste, de l’injuste, de l’honnête, du deshonnête, &c.

En 1660, la tyrannie fut accablée, le repos rendu à l’Angleterre, Charles rappellé au trone, la face des choses changée, & Hobbes abandonna sa campagne & reparut.

Le monarque à qui il avoit autrefois montré les Mathématiques, le reconnut, l’accueillit ; & passant un jour proche la maison qu’il habitoit, le fit appeller, le caressa, & lui présenta sa main à baiser.

Il suspendit un moment ses études philosophiques, pour s’instruire des lois de son pays, & il en a laissé un commentaire manuscrit qui est estimé.

Il croyoit la Géométrie défigurée par des paralogismes ; la plûpart des problèmes, tels que la quadrature du cercle, la trisection de l’angle, la duplication du cube, n’étoient insolubles, selon lui, que

parce que les notions qu’on avoit du rapport, de la quantité, du nombre, du point, de la ligne, de la surface, & du solide, n’étoient pas les vraies ; & il s’occupa à perfectionner les Mathématiques, dont il avoit commencé l’étude trop tard, & qu’il ne connoissoit pas assez pour en être un réformateur.

Il eut l’honneur d’être visité par Cosme de Médicis, qui recueillit ses ouvrages, & les transporta avec son buste dans la célebre bibliotheque de sa maison.

Hobbes étoit alors parvenu à la vieillesse la plus avancée, & tout sembloit lui promettre de la tranquillité dans ses derniers momens, cependant il n’en fut pas ainsi. La jeunesse avide de sa doctrine, s’en repaissoit ; elle étoit devenue l’entretien des gens du monde, & la dispute des écoles. Un jeune bachelier dans l’université de Cambridge, appellé Scargil, eut l’imprudence d’en insérer quelques propositions dans une these, & de soutenir que le droit du souverain n’étoit fondé que sur la force ; que la sanction des lois civiles fait toute la moralité des actions ; que les livres saints n’ont force de loi dans l’état que par la volonté du magistrat, & qu’il faut obéir à cette volonté, que ses arrêts soient conformes ou non à ce qu’on regarde comme la loi divine.

Le scandale que cette these excita fut général ; la puissance ecclésiastique appella à son secours l’autorité séculiere ; on poursuivit le jeune bachelier ; on impliqua Hobbes dans cette affaire. Le philosophe eut beau reclamer, prétendre & démontrer que Scargil ne l’avoit point entendu, on ne l’écouta pas ; la these fut lacérée ; Scargil perdit son grade, & Hobbes resta chargé de tout l’odieux d’une aventure dont on jugera mieux après l’exposition de ses principes.

Las du commerce des hommes, il retourna à la campagne qu’il eût bien fait de ne pas quitter, & il s’amusa des Mathématiques, de la Poésie & de la Physique. Il traduisit en vers les ouvrages d’Homere, à l’âge de quatre-vingt-dix ans ; il écrivit contre l’évêque Laney, sur la liberté ou la nécessité des actions humaines ; il publia son décameron physiologique, & il acheva l’histoire de la guerre civile.

Le roi à qui cet ouvrage avoit été présenté manuscrit, le desapprouva ; cependant il parut, & Hobbes craignit de cette indiscrétion quelques nouvelles persécutions qu’il eût sans doute essuyées, si sa mort ne les eût prévenues. Il fut attaqué au mois d’Octobre 1679, d’une rétention d’urine qui fut suivie d’une paralysie sur le côté droit qui lui ôta la parole, & qui l’emporta peu de jours après. Il mourut âgé de quatre-vingt-onze ans ; il étoit né avec un tempérament foible, qu’il avoit fortifié par l’exercice & la sobriété ; il vécut dans le célibat, sans être toutefois ennemi du commerce des femmes.

Les hommes de génie ont communément dans le cours de leurs études une marche particuliere qui les caractérise. Hobbes publia d’abord son ouvrage du citoyen : au lieu de répondre aux critiques qu’on en fit, il composa son traité de l’homme ; du traité de l’homme il s’éleva à l’examen de la nature animale ; de-là il passa à l’étude de la Physique ou des phénomenes de la nature, qui le conduisirent à la recherche des propriétés générales de la matiere & de l’enchaînement universel des causes & des effets. Il termina ces différens traités par sa logique & ses livres de mathématiques ; ces différentes productions ont été rangées dans un ordre renversé. Nous allons en exposer les principes, avec la précaution de citer le texte par-tout où la superstition, l’ignorance & la calomnie, qui semblent s’être réunies pour attaquer cet ouvrage, seroient