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de la mort excite les esprits. Or telle est la crainte de la damnation éternelle. Un peuple sage commencera donc par convenir des choses nécessaires au salut ». Sine pace impossibilem esse incolumitatem ; sine imperio pacem ; sine armis imperium ; sine opibus in unam manum collatis, nihil valent arma ; neque metu armorum quicquam ad pacem proficere illos, quos ad pugnandum concitat malum morte magis formidandum. Nempe dum consensum non sit de iis rebus quæ ad felicitatem æternam necessariæ credantur, pacem inter cives esse non posse.

Tandis que des hommes de sang faisoient retentir les temples de la doctrine meurtriere des rois, distribuoient des poignards aux citoyens pour s’entr’égorger, & prêchoient la rebellion & la rupture du pacte civile, un philosophe leur disoit : « Mes amis, mes concitoyens, écoutez-moi : ce n’est point votre admiration, ni vos éloges que je recherche ; c’est de votre bien, c’est de vous-même que je m’occupe. Je voudrois vous éclairer sur des vérités qui vous épargneroient des crimes : je voudrois que vous conçussiez que tout a ses inconvéniens, & que ceux de votre gouvernement sont bien moindres que les maux que vous vous préparez. Je souffre avec impatience que des hommes ambitieux vous abusent & cherchent à cimenter leur élévation de votre sang. Vous avez une ville & des lois ; est-ce d’après les suggestions de quelques particuliers ou d’après votre bonheur commun que vous devez estimer la justice de vos démarches ? Mes amis, mes concitoyens, arrêtez, considérez les choses, & vous verrez que ceux qui prétendent se soustraire à l’autorité civile, écarter d’eux la portion du fardeau public, & cependant jouir de la ville, en être défendus, protégés & vivre tranquilles à l’ombre de ses remparts, ne sont point vos concitoyens, mais vos ennemis ; & vous ne croirez point stupidement ce qu’ils ont l’impudence & la témérité de vous annoncer publiquement ou en secret, comme la volonté du ciel & la parole de Dieu ». Feci non eo consilio ut laudarer, sed vestri causâ, qui cum doctrinam quam affero, cognitam & perspectam haberetis, sperabam fore ut aliqua incommoda in re familiari, quoniam res humanæ sine incommodo esse non possunt, æquo animo ferre, quam reipublicæ statum conturbare malletis. Ut justitiam earum rerum, quas facere cogitatis, non sermone vel concilio privatorum, sed legibus civitatis metientes, non ampliùs sanguine vestro ad suam potentiam ambitiosos homines abuti pateremini. Ut statu præsenti, licet non optimo, vos ipsos frui, quam bello excitato, vobis interfectis, vel ætate consumptis, alios homines alio sæculo statum habere reformatiorem satius duceretis. Præterea qui magistratui civili subditos sese esse nolunt, onerumque publicorum immunes esse volunt, in civitate tamen esse, atque ab eâ protegi & vi & injuriis postulant, ne illos cives, sed hostes exploratoresque putaretis ; neque omnia quæ illi pro verbo Dei vobis vel palam, vel secretò proponunt, temerè reciperetis.

Il ajoûte les choses les plus fortes contre les parricides, qui rompent le lien qui attache le peuple à son roi, & le roi à son peuple, & qui osent avancer qu’un souverain soumis aux lois comme un simple sujet, plus coupable encore par leur infraction, peut être jugé & condamné.

Le citoyen & le léviathan tomberent entre les mains de Descartes, qui y reconnut du premier coup-d’œil le zele d’un citoyen fortement attaché à son roi & à sa patrie, & la haine de la sédition & des séditieux.

Quoi de plus naturel à l’homme de lettres, au philosophe, que les dispositions pacifiques ? Qui est celui d’entre nous qui ignore que point de philoso-

phie sans repos, point de repos sans paix, point de

paix sans soumission au-dedans, & sans crédit au-dehors ?

Cependant le parlement étoit divisé d’avec la cour, & le feu de la guerre civile s’allumoit de toutes parts. Hobbes, défenseur de la majesté souveraine, encourut la haine des démocrates. Alors voyant les lois foulées aux piés, le trône chancelant, les hommes entraînés comme par un vertige général aux actions les plus atroces, il pensa que la nature humaine étoit mauvaise, & de-là toute sa fable ou son histoire de l’état de nature. Les circonstances firent sa philosophie : il prit quelques accidens momentanés pour les regles invariables de la nature, & il devint l’aggresseur de l’humanité & l’apologiste de la tyrannie.

Cependant au mois de Novembre 1611 [1631], il y eut une assemblée générale de la nation : on en espéroit tout pour le roi : on se trompa ; les esprits s’aigrirent de plus en plus, & Hobbes ne se crut plus en sûreté.

Il se retire en France, il y retrouve ses amis, il en est accueilli ; il s’occupe de physique, de mathématique, de philosophie, de belles-lettres & de politique : le cardinal de Richelieu étoit à la tête du ministere, & sa grande ame échauffoit toutes les autres.

Mersenne qui étoit comme un centre commun où aboutissoient tous les fils qui lioient les philosophes entr’eux, met le philosophe anglois en correspondance avec Descartes. Deux esprits aussi impérieux n’étoient pas faits pour être long-tems d’accord. Descartes venoit de proposer ses lois du mouvement. Hobbes les attaqua. Descartes avoit envoyé à Mersenne ses méditations sur l’esprit, la matiere, Dieu, l’ame humaine, & les autres points les plus importans de la Métaphysique. On les communiqua à Hobbes, qui étoit bien éloigné de convenir que la matiere étoit incapable de penser. Descartes avoit dit : « Je pense, donc je suis ». Hobbes disoit : « Je pense, donc la matiere peut penser ». Ex hoc primo axiomate quod Cartesius statuminaverat, ego cogito, ergo sum, concludebat rem cogitantem esse corporeum quid. Il objectoit encore à son adversaire que quel que fût le sujet de la pensée, il ne se présentoit jamais à l’entendement que sous une forme corporelle.

Malgré la hardiesse de sa philosophie, il vivoit à Paris tranquille ; & lorsqu’il fut question de donner au prince de Galles un maître de Mathématique, ce fut lui qu’on choisit parmi un grand nombre d’autres qui envioient la même place.

Il eut une autre querelle philosophique avec Bramhall, évêque de Derry. Ils s’étoient entretenus ensemble chez l’évêque de Neucastle, de la liberté, de la nécessité, du destin & de son effet sur les actions humaines. Bramhall envoya à Hobbes une dissertation manuscrite sur cette matiere. Hobbes y répondit : il avoit exigé que sa réponse ne fût point publiée, de peur que les esprits peu familiarisés avec ses principes n’en fussent effarouchés. Bramhall répliqua. Hobbes ne demeura pas en reste avec son antagoniste. Cependant les pieces de cette dispute parurent, & produisirent l’effet que Hobbes en craignoit. On y lisoit que c’étoit au souverain à prescrire aux peuples ce qu’il falloit croire de Dieu & des choses divines ; que Dieu ne devoit être appellé juste, qu’en ce qu’il n’y avoit aucun être plus puissant qui pût lui commander, le contraindre & le punir de sa desobéissance ; que son droit de régner & de punir n’étoit fondé que sur l’irrésistibilité de sa puissance ; qu’ôté cette condition, ensorte qu’un seul ou tous réunis pussent le contraindre, ce droit se réduisoit à rien ; qu’il n’étoit pas plus la