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cement de la science de l’économie végétale ; quoiqu’elle soit moins compliquée que l’économie animale, elle n’a pas encore été mieux développée. Plus ces deux sciences seront avancées, plus on y trouvera de rapport ; on sait déja que les os sont formés par le périoste comme le bois par l’écorce ; on peut comparer la seve des plantes au sang des animaux, ou au moins à la liqueur qui en tient lieu dans ceux qui n’ont point de sang ; les plantes prennent leur nourriture par la succion des racines & des feuilles, comme les animaux par la bouche ou par les suceoirs qui leur servent de bouche ; il se fait dans les plantes des digestions, des sécrétions, des évacuations, &c. elles ont des sexes très-distincts par les organes propres à former, à féconder & à nourrir les embryons qui sont les germes des plantes ; enfin le polype a autant d’analogie avec les plantes qu’avec les animaux.

Les animaux & les végétaux ont beaucoup plus de rapports les uns aux autres, qu’ils n’en ont aux minéraux. La structure de ceux-ci est plus simple, leur substance est moins composée, ainsi il est plus facile de les décrire & de les distinguer les uns des autres pour former le plan de leur Histoire naturelle. Le corps de cette Histoire consiste dans l’explication de la formation des minéraux, & il est inséparable de la théorie de la terre, puisque nous devons le nom de minéral à toutes les parties dont ce globe est composé. L’Histoire naturelle des minéraux comprend encore l’énumération de leurs usages & de leurs propriétés ; mais leur définition exacte ne peut se faire que par le moyen de la Chimie.

Cette science commence au point où l’Histoire naturelle se termine. Le naturaliste recherche toutes les productions de la nature dans son propre sein ; il leve avec précaution le voile qui les couvre ; il les observe d’un œil attentif sans oser y porter une main téméraire ; s’il est obligé de les toucher, il est toujours dans la crainte de les déformer ; s’il est forcé de pénétrer dans l’intérieur d’un corps, il ne le divise qu’à regret, il n’en rompt l’union que pour en mieux connoître les liens, & pour avoir une idée complette de la structure intérieure aussi-bien que de la forme extérieure. Le chimiste au contraire ne voit les opérations de la nature que dans les procédés de l’art ; il décompose toutes les productions naturelles ; il les dissout, il les brise ; il les soumet à l’action du feu pour déplacer jusqu’aux plus petites molécules dont elles sont composées, pour découvrir leurs élémens & leurs premiers principes.

Heureux le siecle où les sciences sont portées à un assez haut point de perfection pour que chacune des parties de l’Histoire naturelle soit devenue l’objet d’autres sciences qui concourrent toutes au bonheur des hommes ; il y a lieu de croire que l’Histoire naturelle a été le principe de toutes ces sciences, & qu’elle a été commencée avant elles ; mais son origine est cachée dans la nuit des tems.

Dans le siecle présent la science de l’Histoire naturelle est plus cultivée qu’elle ne l’a jamais été ; non seulement la plûpart des gens de lettres en font un objet d’étude ou de délassement, mais il y a de plus un goût pour cette science qui est répandu dans le public, & qui devient chaque jour plus vif & plus général. De tous ceux qui travaillent à l’Histoire naturelle, ou qui s’occupent de ces matériaux, les uns observent les productions de la nature & méditent sur leurs observations : leur objet est de perfectionner la science & de connoître la vérité ; les autres recueillent ces mêmes productions de la nature & les admirent : leur objet est d’étaler toutes ces merveilles, & de les faire admirer. Ceux-ci contribuent peut-être autant à l’avancement de l’Histoire naturelle que les premiers, puisqu’ils rendent les ob-

servations plus faciles en rassemblant les productions

de la nature dans ces cabinets qui se multiplient de jour en jour, non-seulement dans les villes capitales, mais aussi dans les provinces de tous les états de l’Europe.

Le grand nombre de ces cabinets d’Histoire naturelle prouve manifestement le goût du public pour cette science ; on ne peut les former que par des recherches pénibles & par une dépense considérable, car le prix des curiosités naturelles est actuellement porté à un très-haut point. Un tel emploi du tems & de l’argent suppose le desir de s’instruire en Histoire naturelle, ou au moins de montrer pour cette science un goût qui se soutient par l’exemple & par l’émulation. Dans le siecle dernier & au commencement de notre siecle, il y avoit beaucoup plus de cabinets de médailles qu’à présent ; aujourd’hui on forme des cabinets d’Histoire naturelle par préférence aux cabinets de machines de Physique expérimentale. Si ce goût se soutient, peut-être bien des gens aimeront-ils mieux avoir des cabinets d’Histoire naturelle que de grandes bibliotheques. Mais tout a ses vicissitudes, & l’empire de la mode s’étend jusques sur les sciences. Le goût pour les sciences abstraites a succédé au goût pour la science des antiquités ; ensuite la Physique expérimentale a été plus cultivée que les sciences abstraites ; à présent l’Histoire naturelle occupe plus le public que la Physique expérimentale & que toute autre science. Mais le regne de l’Histoire naturelle aura-t-il aussi son terme ?

Cette science durera nécessairement autant que les sciences physiques, puisqu’elle en est la base & qu’elle donne la connoissance de leurs matériaux. Son objet est aussi curieux qu’important ; l’étude de la nature est aussi attrayante que ses productions sont merveilleuses. L’Histoire naturelle est inépuisable ; elle est également propre à exercer les génies les plus élevés, & à servir de délassement & d’amusement aux gens qui sont occupés d’autres choses par devoir, & à ceux qui tâchent d’éviter l’ennui d’une vie oisive ; l’Histoire naturelle les occupe par des recherches amusantes, faciles, intéressantes & variées, & par des lectures aussi agréables qu’instructives. Elle donne de l’exercice au corps & à l’esprit ; nous sommes environnés des productions de la nature, & nous en sommes nous-mêmes la plus belle partie. On peut s’appliquer à l’étude de cette science en tout tems, en tout lieu & à tout âge. Avec tant d’avantages, l’Histoire naturelle une fois connue, doit être toujours en honneur & en vigueur, plus on s’y appliquera, plus son étude sera séduisante ; & cette science fera de grands progrès dans notre siecle, puisque le goût du public y est porté, & que l’exemple & l’émulation se joignent à l’agrément & à l’utilité de l’Histoire naturelle pour assurer son avancement.

Dans les sciences abstraites, par exemple en Métaphysique, un seul homme doué d’un génie supérieur peut avancer à grands pas sans aucun secours étranger, parce qu’il peut tirer de son propre fond les faits & les résultats, les principes & les conséquences qui établissent la science ; mais dans les sciences physiques, & sur-tout en Histoire naturelle, on n’acquiert les faits que par des observations longues & difficiles ; le nombre des faits nécessaires pour cette science surpasse le nombre immense des productions de la nature. Un homme seul est donc incapable d’un si grand travail ; plusieurs hommes durant un siecle, ou tous les contemporains d’une nation entiere n’y suffiroient pas. Ce n’est que par le concours de plusieurs nations dans une suite de siecles, qu’il est possible de rassembler les matériaux de l’Histoire de la nature. Pendant qu’une foule d’observateurs les entassent à l’aide des tems, il paroît