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nir Augias roi d’Elis, de la perfidie dont il avoit usé contre lui, pendant qu’il travailloit à accomplir les ordres d’Eurysthée. Un grand nombre d’Arcadiens & de volontaires des principales villes de la Grece se mirent sous ses drapeaux. En vain Augias leva des troupes, & en donna le commandement aux Mélionides ses neveux, Hercule attaqua les Mélionides, lorsqu’ils alloient sacrifier aux fêtes Isthmiennes, les vainquit & les tua. Profitant de ce succès, il s’avança dans l’Elide, surprit Augias, & le fit mourir avec ses enfans, à la réserve de Phileus le plus jeune de tous, auquel il laissa le royaume.

Dans cette conjoncture, des soins importans l’appellerent à Olympie, pour y assister aux jeux funebres, établis depuis quelques années en l’honneur de Pélops son bisayeul maternel. Il en régla les cérémonies, y prononça l’apologie de sa conduite au sujet de ses guerres, & disputa tous les prix avec tant de gloire, que les poëtes ont feint que Jupiter lui-même voulut lutter contre son fils, sous la figure d’un athlete ; & qu’après un long combat égal, le maître des dieux se fit connoître, en félicitant Hercule sur sa force & sur sa valeur.

N’ayant plus rien à faire à Olympie après la célébration des jeux, il continua sa marche vers Pylos, capitale des états de Nélée en Messénie, prit cette ville d’assaut, & tua dans la bataille les fils de Nélée, qui étoient au nombre de neuf. Nestor le plus jeune de tous, échappa seul à ce carnage. De Pylos, Hercule vint à Lacédémone, d’où il chassa Hippocoon, & rétablit sur le trône Tyndare pere d’Hélene, de Castor & de Pollux.

L’année suivante, notre héros songea sérieusement à se fixer à Phénée dans l’Arcadie, avec ses troupes qui l’avoient accompagné dans ses expéditions. En effet, il demeura quatre ans dans cette contrée ; mais la cinquieme année qui étoit la quarante-quatrieme de sa vie, Eurysthée redoutant le voisinage d’un guerrier aussi entreprenant, l’obligea d’abandonner le Péloponnèse. Il passa dans l’Ætolie avec ses troupes, s’engagea au service du roi de Calidor, & épousa Déjanire fille de ce roi, de laquelle il eut Hyllus.

Pendant son séjour en Ætolie, il enleva Astyochée, fille d’Aidonée, roi des Thesprotes, chez lequel il porta la guerre. Il s’empara d’Ephyre, capitale de la Thesprotie, bâtie sur les bords du Cocyte, & du lac Achérusia, formé par les eaux de l’Achéron. Comme il y avoit dans le pays un fameux oracle des morts, cette guerre contre Aidonée, a fourni à Homere & aux autres poëtes l’occasion de dire, qu’Hercule avoit blessé Pluton dans un combat. Ses victoires lui procurerent encore l’honneur de délivrer Thésée des prisons d’Ephyre, où Aidonée le tenoit captif ; c’est des enfers, disent les mêmes Poëtes, qu’Hercule retira Thesée.

Mais un meurtre involontaire l’obligea lui-même de se bannir de l’Ætolie, & de se retirer avec Déjanire chez Ceyx, roi de Trachine. Ses troupes étant venu le joindre, il embrassa la cause d’Ægimius, roi des Doriens, contre les Lapithes & les Driopes, qu’il soumit.

Cependant lassé de traîner avec lui dans son exil, une femme qu’il n’avoit épousée que dans l’espérance d’obtenir une retraite, que ce mariage n’avoit pu lui procurer, il forma le dessein de répudier Déjanire ; mais ayant été refusé dans sa demande d’Astydamie, fille d’Orménius, roi des Pélasges Thessaliens, il entra dans sa capitale, & emmena sa fille captive.

Se trouvant alors à la tête d’une armée nombreuse, qu’il ne pouvoit faire subsister que par le pillage, parce qu’il n’avoit point d’états, il porta la guerre dans l’Oëchalie, contre les enfans d’Eurytus, sous prétexte du refus qu’ils lui avoient fait autrefois de

leur sœur Iolé. Il joignit à ses troupes Arcadiennes, celles des Doriens, des Locriens & des Trachéniens, de sorte qu’avec tant de forces réunies, il termina promptement la guerre. La ville capitale d’Oëchalle fut prise, les fils d’Eurytus furent tués, & Iolé tomba entre ses mains.

La vue de cette princesse ralluma promptement une passion que le tems n’avoit pas détruite ; & Déjanire ne doutant plus de son malheur, crut que c’étoit le moment favorable d’employer le philtre du centaure Nessus, pour lui conserver le cœur de son mari. Persuadée des effets de ce philtre, qui étoit un poison très-subtil, elle en imbiba, dit-on, la robe d’Hercule. A peine eut-il revêtu cette robe fatale, qu’il se sentit atteint des plus vives douleurs ; les efforts qu’il fit, furent suivis de convulsions violentes, qui terminerent sa carriere dans la 49e année de sa vie, 53 ans avant la prise de Troie par les Grecs, & 1335 ans avant J. C. Après sa mort, on le porta sur le bucher, où l’on mit le feu, & ce fut là son apothéose.

On sait de combien de fictions toutes ces choses ont été embellies ; dès que le bucher fut allumé, la foudre, disent les Poëtes, tomba dessus, & réduisit le tout en cendre, pour purifier ce qu’il y avoit de mortel dans le héros. Jupiter l’enleva dans le ciel, & le mit au nombre des demi-dieux ; mais ce qui nous intéresse parmi tant de fables, c’est que la mort d’Hercule nous a procuré les Trachéniennes, & ses fureurs nous ont valu l’autre belle tragédie d’Eurypide, qui a pour titre Hercule furieux.

Thrasybule fixe l’apothéose d’Hercule, c’est-à-dire l’établissement de ses autels dans les principales villes de la Grece, 29 ans avant la destruction de Troïe. Son culte passa bientôt chez les Romains, ensuite dans les Gaules, en Espagne, & s’étendit jusques dans la Taprobane, à ce que Pline s’est persuadé. Il est certain du moins que Fulvius Nobilior, consul, étant de retour de son expédition de l’Ætolie, dédia à Hercule l’an 569 de Rome, dans le cirque de Flaminius, un temple magnifique pour ce tems-là. Ce temple étant tombé en ruine, Lucius Murcius Philippus, beau-pere d’Auguste, le fit rebâtir à ses frais, avec tant de splendeur, que Suetone en parle comme s’il avoit été fondateur de cet édifice.

Hercule est ordinairement représenté sous la figure d’un homme très-robuste, avec la massue à la main, & couvert de la peau du lion de Némée. Il a aussi quelquefois l’arc & la trousse. On le trouve assez souvent couronné de feuilles d’olivier ou de peuplier, parce qu’il en apporta des plans dans sa patrie.

Enfin, ce qui peut paroître fort étrange, c’est qu’il a été réveré chez les Grecs sous le nom de Musagete, conducteur des muses, & dans Rome sous celui d’Hercules musarum. Maffei, Stefanoni, Boissard, Spon, le P. Montfaucon, & autres antiquaires, nous ont donné dans leurs ouvrages, des portraits d’Hercule Musagete, tirés d’après les marbres, les bronzes, & les pierres gravées antiques ; il est même arrivé que Pomponius Musa a fait graver sur ses médailles, Hercule la lyre à la main, avec l’inscription d’Hercules musarum ; & sur le revers, la figure des neuf muses, caractérisées chacune par leurs symboles.

Je ne décide point si ces gravures étoient de pures fantaisies, ou plutôt si c’étoit des copies d’Hercule Musagete & des neuf Muses, que Fulvius Nobilior avoit transportées de Grece en Italie. Quoi qu’il en soit, l’idée que j’ai d’Hercule présente à mon imagination un athlete des plus vigoureux & des plus redoutables, un destructeur de monstres, un exterminateur de brigans, de rois & de fils de rois ; un pere furieux & terrible dans sa colere, un barbare coupable de cent meurtres, & nullement un homme