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des petites statues de bronze, il y en a plusieurs qu’on croit être des dieux lares ou pénates d’Herculanum.

C’en est assez sur les édifices publics de cette ville ; les édifices particuliers que l’on a découverts dans une espace d’environ 300 perches de longueur, & 150 de largeur, ont paru d’une architecture uniforme.

Toutes les rues d’Herculanum sont tirées au cordeau, & ont de chaque côté des parapets peur la commodité des gens de pié ; elles sont pavées de pierres semblables à celles dont la ville de Naples est aussi pavée ; ce qui donne lieu de croire qu’elles ont été tirées de la même carriere, c’est-à-dire d’un amas de laves du Vésuve.

L’intérieur de quelques maisons d’Herculane étoit peint à fresque de charmans tableaux, représentans des sujets tirés de la fable ou de l’histoire. Le roi des deux Siciles en a fait transporter tant qu’il a pu dans son palais. Ces peintures sont d’ordinaire accompagnées d’ornemens de fleurs, d’oiseaux posés sur des cordelettes, suspendus par le bec ou par les piés, de poissons ou d’autres animaux. En un mot, les peintures transportées chez le roi des deux Siciles forment près sept cens tableaux de toute grandeur. Il est vrai que la plûpart n’ont que dix ou douze pouces de hauteur sur une largeur proportionnée. Ils représentent de petits amours, des bêtes sauvages, des poissons, des oiseaux, &c.

Parmi les grands tableaux, il y en a deux qui méritent d’être ici décrits, & qui furent trouvés dans deux niches au fond d’un temple d’Hercule. Dans la premiere de ces niches étoit peint un Thésée, semblable à un athlete, tenant la massue levée & appuyée sur le bras gauche, & ayant sur l’épaule un manteau de couleur rouge, avec l’anneau au doigt. Le minotaure est étendu à ses pieds avec la tête d’un taureau & le corps d’un homme : la tête du monstre paroît toute entiere ; le corps est représenté en ligne presque droite & très-bien racourci. Trois jeunes Grecs sont autour du héros : l’un lui embrasse le genou ; le second lui baise la main droite ; le troisieme lui serre le bras gauche avec une attitude gracieuse : une fille, qu’on croit être Ariane, touche modestement sa massue. On voit dans l’air une septieme figure, qui peut dénoter une victoire, & on apperçoit enfin les détours du labyrinthe.

Le tableau de l’autre niche est aussi composé de plusieurs figures de grandeur naturelle. On y voit une femme assise, couronnée d’herbes & de fleurs, tenant dans sa main un bâton de couleur de fer ; à sa gauche est une corbeille pleine d’œufs & de fruits, sur-tout de grenades : derriere elle est un faune qui joue de la flûte à sept tuyaux : en face de cette femme assise, on voit debout un homme à barbe courte & noire, ayant l’arc, le carquois plein de fleches, & la massue. Derriere cet homme est une autre femme couronnée d’épics, qui semble parler à la premiere ; à ses piés, est une biche qui alaite un petit enfant. Au milieu du tableau & dans le vuide, on voit une aigle à aîles déployées ; & sur la même ligne, un lion dans une attitude tranquille. Il faut avouer que les tableaux de ces deux niches ne sont pas dessinés avec correction, & que l’expression manque dans la plûpart des têtes.

Au sortir du temple d’Hercule, l’on découvrit çà & là plusieurs autres tableaux, en particulier un Hercule de grandeur naturelle ; Virginie accompagnée de son pere & d’Icilius son époux, en présence d’Appius-Décemvir siégeant sur son tribunal ; l’éducation d’Achille par Chiron, qui montre au jeune héros à jouer de la lyre ; enfin divers autres morceaux d’histoire, outre des paysages, des repré-

sentations de sacrifices, de victimes, & de prêtres

en habits blancs & sacerdotaux.

Les connoisseurs assurent que plusieurs des tableaux, tirés des fouilles d’Herculane, quoique précieux d’ailleurs, péchent dans le coloris & les carnations, soit que ces défauts procedent des peintures mêmes, ou que le tems les ait altérées. Le coloris y est presque toujours trop rouge, & les gradations rarement conformes aux préceptes de l’art. Une seule couleur forme souvent le champ de ces tableaux ; quelques-uns cependant sont composés de deux, de trois & de quatre couleurs. Il y en a même un à fresque, représentant des fleurs où toutes les couleurs sont mises en usage.

Avant que de quitter ce qui regarde la peinture, il faut lever un doute, qui sera vraissemblablement resté dans l’esprit des lecteurs, au sujet des tableaux à fresque, transportés d’Herculanum à Portici. Ils demanderont comment on a pu procéder dans cette opération. Je leur répondrai, avec ceux qui en ont été témoins, qu’on a suivi la même méthode qui fut jadis heureusement employée pour les ouvrages de Damophile & Gorgase, sculpteur & peintre illustres, qui avoient décoré le temple de Cérès, situé près du grand cirque à Rome. Lors, dit Varron, que l’on voulut réparer & crépir de nouveau les murs de cet édifice, on coupa tous les tableaux qui étoient peints dessus, & on les déposa dans des caisses. La même chose s’est pratiquée pour les tableaux d’Herculanum. On a d’abord commencé à les fortifier par derriere avec de la pierre propre à cet effet, sur laquelle attachant par le moyen du plâtre l’enduit & ses peintures ; coupant ensuite le tout, & le serrant avec beaucoup de précaution dans des caisses de bois, on l’a tiré du fond de la ville souterraine avec autant de dextérité que de bonheur. Enfin, on a appliqué sur ces peintures un vernis transparent, pour les ranimer & les pouvoir conserver pendant des siecles.

Qu’on se représente à cette heure la surprise des gens de l’art, à la vue de tant de peintures renaissantes, pour ainsi dire, avec leur fraîcheur : ni celles du tombeau des Nasons, lavées & presque effacées par le tems, ni celles que Gregorio Capponi a si fort vantées, ne sauroient être comparées aux peintures d’Herculane. Le roi des deux Siciles peut seul se vanter d’avoir, & la plus vaste collection qu’on connoisse en ce genre, & même des espèces de chef d’œuvres parfaitement conservés.

A peine les tableaux des murs d’Herculanum avoient passé des ténebres au grand jour, qu’on porta la curiosité dans l’intérieur d’un maison qu’on venoit de découvrir à souhait. On y entra ; & dans une chambre de plain-pié, on y trouva quelques caraffes de crystal, un petit étui de bronze renfermant des poinçons pour écrire sur des tablettes de cire, & une lame d’airain, sur laquelle on lisoit des immunités accordées par Titus aux affranchis qui voudroient s’appliquer à la navigation.

En parcourant la maison dont nous parlons, on trouva dans une chambre du haut (qui étoit peut-être la cuisine) plusieurs vases de terre & de bronze, & entr’autres des œufs entiers, des noix, des noisettes, belles en dehors, mais pleines de cendres en dedans.

Près de cette maison étoit un temple de Neptune, avec la statue du Dieu. Dans un endroit de ce temple sont représentées des galeres avec leurs combattans, & ces galeres n’ont qu’un rang de rames.

Ailleurs on découvrit une cave, contenant de grands vases de terre cuite, posés dans le gravois, & ensevelis tout-à-fait sous terre, à l’exception des gouleaux enchâssés dans un banc de marbre, qui régnoit tout autour de la cave. La capacité de ces