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tre fois pendant l’hyver dans l’intervalle de huit années consécutives. Le 30 Janvier 1741 fut à cet égard singulierement remarquable : la grêle qui tomba ce jour-là s’amassa en moins d’une demi-heure dans les rues & sur les toîts des maisons à la hauteur de plusieurs pouces ; celle qui étoit sur les toîts fut plus de vingt-quatre heures à se fondre, on ne se souvenoit pas d’en avoir jamais tant vû en aucune saison de l’année : pendant qu’elle tomboit, le tonnerre gronda sans interruption comme dans les plus grands orages de l’été. On doit remarquer qu’elle tomba vers les neuf heures du soir ; ce qui fortifie ce qu’on a déjà dit contre ceux qui prétendent qu’il ne grêle que pendant le jour.

Les funestes effets de la grêle ne sont malheureusement que trop connus : celle dont les grains égalent en grosseur des œufs de poule & pesent jusqu’à une livre, fait des ravages affreux ; elle détruit sans ressource les moissons, les vendanges, & les fruits ; elle coupe les branches d’arbre, tue les oiseaux dans l’air & les troupeaux dans les pâturages ; les hommes même en sont quelquefois blessés mortellement.

Quelque terribles que soient ces effets, la grêle en produiroit de plus funestes encore, si la vîtesse qu’elle acquiert dans sa chûte n’étoit diminuée par la résistance de l’air.

Tous les pays ne sont pas également sujets à la grêle, les nuages qui la donnent se forment & s’arrêtent par préférence, si l’on peut s’exprimer ainsi, sur certaines contrées : rarement ces nuages parviennent jusqu’au sommet de certaines montagnes fort élevées, mais les montagnes les rompent, comme on dit, & les attirent sur les vallons voisins. L’exposition à de certains vents, les bois, les étangs, les rivieres qui se trouvent dans un pays, doivent être considérés. Indépendamment des variétés qui naissent de la situation des lieux, il en est d’autres d’un autre genre, dont nous sommes tous les jours les témoins ; de deux champs voisins exposés au même orage, l’un sera ravagé par la grêle, l’autre sera épargné : c’est que toutes les nues dont la réunion forme l’orage sur une certaine étendue de pays, ne donnent pas de la grêle ; il grêlera fortement ici, & à quatre pas on n’aura que de la pluie. Tout ceci est assez connu.

La grêle, comme tous les autres météores, présente dans le méchanisme de sa formation des difficultés considérables, des mysteres profonds, que toute la sagacité des physiciens n’a pû encore pénétrer.

Descartes suppose que les nues, où elle se forme, sont composées de très-petites parcelles de neige ou de glace, qui se fondent à-demi, & qui se réunissent ; un vent froid qui survient acheve de les geler ; d’autres fois la neige se fond totalement, & alors le vent doit être extrèmement froid pour convertir ces gouttes d’eau en grêle. Tract. de meteor. cap. vj.

Tout le monde sait aujourd’hui que les nuages ne sont pas des amas de glaçons, mais des brouillards semblables à ceux que nous voyons si souvent s’élever & se répandre sur la superficie de la terre. Voyez Nuage. L’hypothèse de Descartes est donc insoûtenable dans sa totalité : il n’y a que le vent froid que plusieurs physiciens continuent d’admettre sans trop rechercher les différentes causes, qui peuvent la produire.

D’autres philosophes, sans avoir recours au vent froid, imaginent simplement qu’à la hauteur où se forme la grêle, le froid de l’atmosphere est toûjours assez considérable, au milieu même de l’été, pour convertir l’eau en glace : cette opinion est sujette à de grandes difficultés. On a vû souvent la grêle se former au-dessus d’un vallon à une hauteur fort inférieure à celle des montagnes voisines, qui joüissoient pendant ce tems-là d’une douce température. C’est d’ailleurs sans beaucoup de fondement qu’on

se représente les nuages comme si fort élevés au-dessus de nos têtes ; ils sont au contraire très-voisins de nous dans les grands orages. Nous avons remarqué que le tonnerre accompagne ordinairement la grêle ; on peut donc imaginer que ces deux météores se forment à peu-près à la même distance de la terre. Or quand le tonnerre est perpendiculaire sur quelque lieu & qu’il éclate fortement, l’intervalle d’une ou deux secondes qu’on observe entre l’éclair & le bruit, fait juger que la matiere de la foudre n’est guere qu’à 180 ou tout au plus à 360 toises de distance. Croira-t-on qu’à cet éloignement de la terre il regne naturellement pendant l’été un froid assez grand pour geler l’eau ? Ce dernier raisonnement est pris d’une dissertation sur le sujet que nous traitons, couronnée par l’académie de Bordeaux en 1752.

M. Musschenbroeck attribue la formation de la grêle aux particules congelantes, qui répandues dans l’air en certaines circonstances glacent les gouttes de pluie. Essai de Physique, tome II. chap. xxxjx. Selon M. Hamberger, quand la partie supérieure d’un gros nuage est directement exposée aux rayons du soleil & que l’inférieure est à l’ombre, celle-ci se refroidit au point, que toutes les gouttes d’eau qui la composent & celles qui leur succedent, se convertissent en glace. Elém. physic. n°. 520. Si c’étoit-là la véritable origine de la grêle, on n’en verroit jamais tomber que pendant le jour. Dissert. sur la glace, pp. 259 & 260.

M. de Mairan ayant observé que de l’eau exposée à un courant d’air se refroidit de deux degrés au-delà de la température actuelle de cet air environnant, croit que le même effet doit avoir lieu à l’égard des vapeurs aqueuses suspendues dans un air agité, & qu’il doit être plus considérable à raison de la ténuité de ces molécules. Voilà d’où naissent selon lui certaines grêles d’été[1].

Un sentiment fort différent de tous ceux que nous venons d’exposer, est celui de l’auteur de la dissertation déjà citée, qui a remporté le prix au jugement de l’académie de Bordeaux. La grêle est selon lui un mélange d’eau glacée, de sel volatil, de sel concret, & de soufre : c’est le résultat d’une congelation artificielle pareille à celle que nous faisons tous les jours par le moyen des sels : les idées de l’auteur sur les sels répandus dans l’air, ne sont pas toûjours conformes aux principes de la bonne Chimie. On peut se passer d’admettre avec lui des parties frigorifiques proprement dites : il y a d’ailleurs des vûes très-ingénieuses dans sa dissertation.

Toutes ces explications roulent visiblement sur quelques idées principales qui ne paroissent pas devoir refuser de s’unir. Peut-être suffira-t-il de les combiner d’une certaine maniere, pour approcher beaucoup du système de la nature.

A la hauteur où se forme la grêle dans notre atmosphere, la température de l’air est souvent exprimée par 10 ou 8 degrés du thermometre de M. de Réaumur au-dessus de la congelation. Ce premier point sera facilement accordé.

Un vent médiocrement froid, tel qu’il s’en éleve au commencement de presque tous les orages, diminuera cette température de trois ou quatre degrés.

Les gouttes d’eau refroidies au cinquieme ou sixieme degré par la communication du froid de l’atmosphere, recevront encore deux degrés de froideur, par cela seul qu’elles seront exposées à un courant d’air, à un air incessamment renouvellé.

  1. N’est-ce pas en facilitant l’évaporation de l’eau, que l’air agité la refroidit ? Les expériences communiquées depuis peu à l’académie des Sciences par M. Beaumer, maître apothicaire de Paris, ne permettent guere d’en douter.