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opérations que nous venons de décrire, on tirera des épreuves qui seront de bonnes copies d’un tableau quel qu’il soit ; & l’on ne doit pas regarder comme un foible avantage, de trouver dans les livres d’Anatomie, de Botanique, d’Histoire naturelle, des estampes sans nombre, qui, en apportant les contours, donnent aussi les couleurs. On peut juger de l’utilité de cette nouvelle découverte, en examinant les planches anatomiques imprimées depuis quelques années à Paris par le sieur Gautier de l’académie de Dijon, qui à la mort de le Blon a succédé à son privilége après avoir été son éleve. Quelques autres éleves ont aussi gravé différens morceaux ; & ces morceaux, avec ceux du sieur Gautier, font espérer que le nouvel art sera bien-tôt à sa perfection.

Gravure en maniere noire : ce genre de gravure s’est appellé pendant un tems en France, l’art noir ; les étrangers le connoissent assez communément sous le nom de meza-tinta. On prétend que le premier qui ait travaillé en maniere noire est un prince Rupert. Quelques auteurs parlent avec éloge d’une tête qu’il grava avant qu’on eût jamais connu cette façon de graver ; les opérations en sont plus promptes & les effets plus moëlleux que ceux de la gravure à l’eau-forte & au burin : il est vrai que la préparation des cuivres est un peu longue, mais on peut employer toutes sortes d’ouvriers à les préparer.

Préparation des planches. Elles seront d’abord choisies parmi les meilleures planches de cuivre plané ; quelques artistes préferent le cuivre jaune pour la grainure ; ils prétendent que son grain s’use moins vîte que le grain de cuivre rouge : le grès, la pierre-ponce, la pierre douce à aiguiser, le charbon de bois de saule, & enfin le brunissoir à deux mains, seront employés pour le poliment des cuivres ; on ne peut être sûr de sa perfection qu’après l’essai suivant. Faites encrer & essuyer la planche par l’imprimeur ; qu’il la passe à la presse sur une feuille de papier mouillé, comme on y passe une planche gravée ; si le papier sort de la presse aussi blanc qu’avant d’y passer, la planche est parfaite ; si elle a quelques défauts, le papier taché indiquera les endroits qu’il faut encore brunir.

De la grainure. Les planches ainsi préparées seront grainées comme on les graine pour imprimer en maniere noire : cette grainure-ci doit être encore plus fine, s’il est possible ; & pour parvenir au dernier degré de finesse, il faut travailler d’après les instructions suivantes.

Le berceau est un instrument qui a la forme d’un ciseau de menuisier ; mais le ciseau coupe & le berceau pique comme une molette dont les pointes sont extrèmement aiguës ; il tire son nom du mouvement sans doute qui le fait agir, & qui ressemble au balancement qu’on donne au berceau d’un enfant. Voy. A & B, Planche 000, un des côtés du berceau porte un biseau couvert de filets de la grosseur d’un cheveu, & chaque filet est terminé par une pointe. L’outil sera repassé sur le revers de son biseau ; & l’on aura grand soin en l’aiguisant, de conserver toûjours le même périmetre : ce périmetre doit être tiré du centre d’un diametre de six pouces : trop de rondeur caveroit le cuivre, & moins de rondeur ne mordroit pas assez.

Les plus petits berceaux conserveront le même périmetre de six pouces ; leurs manches demandent moins de force, & peuvent être moins composés, voyez E & F. Le grand berceau est destiné pour grainer en plein cuivre, & les petits pour faire les corrections.

Divisez vos planches par des traits de crayon de neuf lignes environ ; je dis environ, parce que le cuivre de grandeur arbitraire ne fournira pas toûjours

la division juste de neuf lignes. Voyez Planche 000, au coin 4, le mauvais effet qui peut résulter de la division trop exacte de neuf lignes.

Posez le berceau perpendiculairement dans le milieu de chaque division ; balancez en appuyant fortement le poignet, & remontant toûjours la planche ; parcourez l’autre espace qui se trouve entre deux lignes tracées : cet espace parcouru, parcourez-en un autre, & successivement d’espace en espace ; le cuivre sera tout couvert de petits points.

Tracez alors des lignes au crayon sur un sens différent ; balancez le berceau entre vos nouvelles lignes, & quand vous l’aurez passé sur toute la superficie du cuivre, vous changerez encore la direction de ces lignes : enfin quand vous aurez fait travailler le berceau sur les quatre directions marquées dans la planche, il y a une précaution à prendre.

On parcourt vingt fois chaque direction, ce qui fait quatre-vingt passages sur le total de la superficie ; mais on observera, en repassant chaque direction, de ne pas placer le berceau précisément où l’on a commencé ; & pour éviter de suivre le même chemin, il faut tirer chaque coup de crayon à trois lignes de distance du premier trait qui a déjà guidé. Ainsi donc vous avez tracé la premiere fois depuis 1 jusqu’à 1, la seconde fois vous tracerez depuis 2 jusqu’à 2, la troisieme fois depuis 3 jusqu’à 3, & cela parce que le berceau pressé sous le poids de la main, formeroit en faisant toûjours les mêmes passages, une cannelure insensible qui nuiroit à l’exacte égalité qu’on demande à la superficie.

Il faut éprouver la planche pour la grainure, comme on l’a éprouvé pour le poli, & qu’elle rende à l’impression un noir également noir & par-tout velouté.

On peut, pour certains ouvrages, conserver le fond blanc à une estampe, comme il l’est presque toûjours sous les fleurs, sous les oiseaux peints en miniature : pour cela, on grainera seulement l’espace que doit occuper la fleur, le fruit, ou quelque autre morceau d’Histoire naturelle qu’on veut graver, & le reste du cuivre sera poli au brunissoir.

De la façon de graver sur la grainure. Les planches bien préparées, vous dessinerez ou vous calquerez le sujet, ainsi que nous l’avons expliqué. Voy. Gravure en couleurs. Vous placerez votre cuivre sur le coussinet, & si vous copiez, vous graverez en regardant toûjours l’original dans un miroir, pour voir la droite à gauche & la gauche à droite. L’instrument dont on se sert pour graver, ou plûtôt pour ratisser la grainure, se nomme racloir (Voyez G, Pl. 000) ; il doit être aiguisé sur les deux côtés plats : on se sert encore du grattoir, qui ne differe de celui-ci que parce qu’il a trois faces égales. Ce grattoir porte ordinairement un brunissoir sur la même tige, voyez H. Le brunissoir sert à lisser les parties que le racloir ou le grattoir ont ratissées pour fournir des lumieres : ainsi l’instrument dans la maniere noire, agit par un motif tout différent de l’instrument qui sert à la gravure en taille-douce : car si le graveur en taille-douce doit en conséquence de l’effet, regarder son burin comme un crayon noir ; le graveur en maniere noire doit, en conséquence de l’effet contraire, regarder le grattoir comme un crayon blanc. Il s’agit en travaillant de conserver la grainure dans son vif sur les parties du cuivre destinées à imprimer les ombres, d’émousser les pointes de la grainure sur les parties du cuivre destinées à imprimer les demi-teintes, & de ratisser les parties du cuivre qui doivent épargner le papier pour qu’il puisse fournir les luisans. On commence par les masses de lumiere ; & par les parties qui se détachent généralement en clair de dessus un fond brun. On va petit-à-petit dans les reflets ; enfin on prépare legere-