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cher ce cadre une lame bien acérée & bien aiguisée avec un manche à pleine main : attendez-vous à trouver de la résistance ; & pour éviter d’en trouver encore plus, essayez sur différentes especes de carton celui qui se coupera le plus net & le plus facilement ; sur-tout que le carton que vous choisirez soit bien sec, & tout-au-moins aussi épais que la planche de cuivre. Vous avez aux quatre coins de celle qui fait votre calibre, quatre trous qui ont servi à assembler les autres planches pour les limer ; vous pourrez en profiter pour river encore le calibre avec le carton, par ce moyen les rendre fixes l’un sur l’autre, & donner plus de facilité à enlever le cadre.

Il faudra, pour le garantir de l’humidité qui le feroit étendre, l’enduire dessus & dessous d’une grosse couleur à l’huile telle qu’on l’employe pour imprimer les toiles de tableau.

Le cadre de carton est ainsi préparé pour recevoir un voile qui sera cousu à points serrés sur ses bords intérieurs ; c’est ce voile qui sert à porter avec précision les contours. On le présentera donc sur l’original qu’on va graver ; & après avoir tracé au pinceau avec du blanc à l’huile sur le voile, on attendra que l’huile soit seche pour repasser les mêmes traits avec du blanc beaucoup plus liquide que celui qui a seché ; on enfermera la premiere planche dans le cadre de carton ; & le blanc encore frais marquera sur la grainure tous les contours dont le voile est charge.

On repassera du blanc liquide sur les traits du voile, pour calquer les autres planches : on sera certain par ce moyen du rapport exact qu’elles auront entre elles. Le blanc liquide qui doit calquer du voile au cuivre grainé, est un blanc à détrempe délayé dans l’eau-de-vie avec un peu de fiel de bœuf, pour qu’il morde mieux sur le trait à l’huile : mais pour conserver ce trait, il est à-propos de prendre une plume & de le repasser à l’encre de la Chine ; car l’encre ordinaire tient trop opiniâtrément dans les cavités de la grainure.

Gravure des planches. Les instrumens dont on se sert pour ratisser la grainure, sont les mêmes que ceux qu’on employe pour la maniere noire. Voyez Gravure en maniere noire.

De l’intention des trois planches. La premiere planche que l’on ébauche est celle qui doit tirer en bleu, la seconde en jaune, & la troisieme en rouge. Il faut avoir grande attention de ne pas trop approcher du trait qui arrête les contours, & de réserver toûjours de la place pour se redresser quand on s’appercevra par les épreuves que les planches ne s’accordent pas parfaitement.

On dirigera la gravure de façon que le blanc du papier, comme il a été dit, rende les luisans du tableau ; la planche bleue rendra les tournans & les fuyans ; la planche jaune donnera les couleurs tendres & les reflets ; enfin la planche rouge animera le tableau & fortifiera les bruns jusqu’au noir. Les trois planches concourent presque par-tout à faire les ombres, quelquefois deux planches suffisent, quelquefois une seule.

Quand il se trouve des ombres à rendre extrèmement fortes, on met en œuvre les hachures du burin. Voyez l’article Gravure au Burin. Il est aisé de juger que les effets viennent non-seulement de l’union des couleurs, mais encore du plus ou du moins de profondeur dans les cavités du cuivre : le burin sera donc d’un grand secours pour forcer les ombres ; & qu’on ne croye pas que ses hachures croisées dans les ombres fassent dur : nous avons des tableaux imprimés, où vûes d’une certaine distance, elles rappellent tout le moëlleux du pinceau. Les ombres extrèmement fortes obligent de caver le cuivre plus profondément que ne font les hachures ordi-

naires de la taille-douce : on se sert alors du ciseau

pour avoir plus de facilité à creuser.

Pour établir l’ensemble. Dès qu’on a gravé à-peu-près la planche bleue, on en tire quelques épreuves & l’on fait les corrections au pinceau : pour cela, mettez un peu de blanc à détrempe sur les parties de l’épreuve qui paroissent trop colorées, & un peu de bleu à détrempe sur les parties qui paroissent trop claires : puis en consultant cette épreuve corrigée, vous passerez encore le grattoir sur les parties du cuivre trop fortes, par conséquent trop grainées, & vous grainerez avec le petit berceau les parties qui paroîtront trop claires, par conséquent trop grattées ; mais avec un peu d’attention, on évite le cas d’être obligé de regrainer. Cette premiere planche bleue approchant de sa perfection, vous fournira des épreuves qui serviront à conduire la planche jaune : voici comment.

Examinez les draperies ou autres parties qui doivent rester en bleu pur ; couvrez ces parties sur votre épreuve bleue avec de la craie blanche, & ratissez la seconde planche de façon qu’elle ne rende en jaune que ce que la craie laisse voir en bleu.

Mais ce que rend la planche bleue n’apporte pas tout ce que demande la planche jaune ; c’est pourquoi vous ajoûterez à détrempe sur cette épreuve bleue tout le jaune de l’original, jaune pur, jaune paille, ou autre plus ou moins foncé. Si la planche bleue ne fournit rien sur le papier dans une partie où est placé, par exemple, le nœud jaune d’une mante ; vous peindrez ce nœud à détrempe jaune sur votre épreuve bleue, afin qu’en travaillant la seconde planche d’après l’épreuve de la premiere, vous lui fassiez porter en jaune tout ce que cette épreuve montrera de jaune & de bleu.

On travaille avec les mêmes précautions la troisieme en rouge d’après la seconde en jaune ; & pour juger des effets de chaque planche, on en tire des épreuves en particulier, qui font des camayeux, mais tous imparfaits, parce qu’il leur manque des parties qui ne peuvent se retrouver pour l’ensemble, qu’en unissant à l’impression les trois couleurs sur la même feuille de papier. On jugera, quand elles seront réunies, des teintes, demi-teintes, de toutes les parties enfin trop claires ou trop chargées de couleurs ; on passera, comme on l’a déjà fait, le berceau sur les unes & le grattoir sur les autres.

C’est ainsi que furent conduits les premiers ouvrages dans ce genre, qu’on vit paroître il y a vingt-cinq ou trente ans en Angleterre. On devroit s’en tenir à cette façon d’opérer : l’inventeur cependant en a enseigné une plus expéditive dont il s’est servi à Londres & à Paris ; mais il ne s’en servoit que malgré lui, parce qu’elle est moins triomphante pour le système des trois couleurs primitives.

Maniere plus prompte d’opérer. Quatre planches sont nécessaires pour opérer plus promptement : on charge d’abord la premiere de tout le noir du tableau ; & pour rompre l’uniformité qui tiendroit trop de la maniere noire, on ménage dans les autres planches, de la grainure qui puisse glacer sur ce noir. On aura attention de tenir les demi-teintes de cette premiere planche un peu foibles, pour que son épreuve reçoive la couleur des autres planches sans les salir.

Le papier étant donc chargé de noir, la seconde planche qui imprimera en bleu, puisqu’on ne la forçoit que pour aider à faire les ombres, doit être beaucoup moins forte de grainure qu’elle ne l’étoit en travaillant sur les premiers principes : de même la planche jaune & la planche rouge qui servoient aussi à forcer les ombres, ne seront presque plus chargées que des parties qui devoient imprimer en jaune & en rouge, & de quelques autres parties en-