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les langes. On encrera de la couleur qu’on voudra, la premiere planche ou rentrée, c’est-à-dire la plus claire, avec des balles semblables à celles des faiseurs de papiers de tapisserie. L’on posera adroitement cette planche du côté de la gravure, sur la feuille de papier qu’on a étendue sur les langes, un peu dessous la piece en talud, & l’une des deux autres. On observera de l’approcher bien juste de l’angle ou équerre de ces pieces. Cela fait, on posera sur la planche quelques langes, maculatures, ou autres choses mollettes, afin que tournant le moulinet, & faisant passer le tout entre les rouleaux, la couleur qui est sur la gravure s’attache bien au papier. Cette teinte faite sur autant de feuilles qu’on voudra d’estampes, on passera avec les mêmes précautions à la seconde teinte ; & ainsi de suite. S’il y a plus de trois teintes, on commencera toûjours par la plus claire ; on passera aux brunes, qu’on tirera successivement en passant de la moins brune à celle qui l’est le plus, & l’on finira par le trait ou par la planche des contours ; ce qui achevera l’estampe en camayeu ou clair-obscur.

C’est ainsi (dit M. Papillon) qu’ont été imprimés les beaux camayeux que MM. de Caylus & Crozat ont fait exécuter : c’est ainsi qu’on est parvenu à ne point confondre les rentrées ; & c’est de ce dernier soin que dépend toute la beauté de ce genre d’ouvrage.

Quant aux couleurs qu’on employera, elles sont arbitraires ; on les prendra à l’huile ou la détrempe ; le bistre ou la suie de cheminée & l’indigo sont les plus usités ; l’encre de la Chine fera fort bien ; il en est de même de la terre d’ombre bien broyée, &c.

M. de Montdorge observe avec raison dans le mémoire qu’il nous à communiqué là-dessus, qu’il y a grande apparence que les effets de ce genre de gravure, combinés avec les effets de la gravure en maniere noire, ont fait naître les premieres idées d’imprimer en trois couleurs, à l’imitation de la peinture.

Cet article a été rédigé d’après l’ouvrage d’Abraham Bosse & celui de Felibien, & les lumieres de M. de Montdorge & de M. Papillon.

Quant aux trois articles qui suivent, ils sont tels que nous les avons reçus de M. de Montdorge.

Gravure en couleurs, à l’imitation de la Peinture. Cette maniere de graver est un art nouveau, dont la découverte est précieuse à d’autres arts ; Jacques Christophe le Plon, natif de Francfort, éleve de Carlo Marate, en est l’inventeur : on doit placer l’époque de cette invention entre 1720 & 1730 ; l’Angleterre en a vû naître les premiers essais ; à peine commençoient-ils à y réussir, que le Blon passa en France (c’étoit en 1737) ; un rouleau d’épreuves échappées de l’attelier de Londres, composoit alors tout son bien ; mais quelques amateurs étonnés de l’effet merveilleux de trois couleurs imprimées sur le papier, voulurent suivre des opérations si singulieres, & se réunirent pour mettre l’inventeur en état de donner des leçons de son art ; les commencemens furent difficiles. Quand le Blon travailloit à Londres, c’étoit au centre des graveurs en maniere noire ; & cette maniere qui fait la base du nouvel art étoit totalement abandonnée en France.

Les effets du nouveau genre de gravure sont les conséquences des principes que le Blon a établis dans un traité du coloris ; persuadé que les grands coloristes, que le Titien, Rubens, Vandeyk, avoient une maniere invariable de colorier, il entreprit de fonder en principes l’harmonie du coloris, & de la réduire en pratique méchanique par des regles sûres & faciles : tel est le titre d’un traité qu’il a publié à Londres en anglois & en françois : ce traité a été

réimprimé & fait partie d’un livre intitulé l’art d’imprimer les tableaux, à Paris 1757. Il est revêtu du certificat de M M. les commissaires qui furent nommés par le roi pour être dépositaires des secrets de le Blon.

C’est en cherchant les regles du coloris, que j’ai trouvé, dit l’inventeur, la façon d’imprimer les objets avec leurs couleurs naturelles ; & passant ensuite à des instructions préliminaires, il jette les fondemens de son art, en établissant que la Peinture peut représenter tous les objets visibles avec trois couleurs, savoir le jaune, le rouge, & le bleu, puisque toutes les autres couleurs sont composées de ces trois primitives ; par ex. le jaune & le rouge font l’orangé ; le rouge & le bleu font le pourpre, le violet ; le bleu & le jaune font le verd. Les différens mélanges des trois couleurs primitives produisent toutes les nuances imaginables, & leur réunion produit le noir : je ne parle ici que des couleurs matérielles, ajoûte-t-il, c’est-à-dire des couleurs dont se servent les Peintres ; car le mélange de toutes les couleurs primitives impalpables ne produit pas le noir, mais précisément le contraire ; il produit le blanc. Le blanc est une concentration ou excès de lumiere ; le noir est une privation ou défaut de lumiere.

Trois couleurs, nous le répétons, donnent par leur mélange autant de teintes qu’il en puisse naître de la palette du plus habile peintre : mais on ne sauroit, en les imprimant l’une après l’autre, les fondre comme le pinceau les fond sur la toile : il faut donc que ces couleurs soient employées de façon que la premiere perce à-travers la seconde, & la seconde à-travers la troisieme, afin que la transparence puisse suppléer à l’effet du pinceau. Chacune de ces couleurs sera distribuée par le secours d’une planche particuliere : ainsi trois planches sont nécessaires pour imprimer une estampe à l’imitation de la Peinture.

Préparation des planches. Elles seront grainées comme les planches destinées à la maniere noire. Voyez Gravure en maniere noire. Ces planches doivent être entre elles de même épaisseur, bien unies, & très-exactement d’équerre à chaque angle ; unies, pour qu’à l’impression toute la superficie soit également pressée ; & d’équerre, pour qu’elles se rapportent contour sur contour l’une après l’autre, quand elles imprimeront la même feuille de papier.

La meilleure façon de rendre les planches exactement égales entre elles, c’est de faire des trous aux quatre coins, de les joindre l’une sur l’autre par quatre rivures bien serrées ; de tracer le quarré sur les bords de la premiere ; de limer jusqu’au trait en conservant toûjours l’équerre sur l’épaisseur des quatre : limez enfin vos rivures, & les planches en sortiront comme un cahier de papier sort de la coupe du relieur.

On peut au lieu de rivure, serrer les planches avec de petits étaux qui changeront de place à mesure qu’on limera les bords. C’est à l’artiste à consulter son adresse & sa patience dans les différens moyens qu’il employera pour les opérations méchaniques.

Moyen sûr pour calquer sur la planche grainée. Il s’agit à-présent de distribuer le tableau sur les trois planches ; & pour que les contours sur chaque planche se retrouvent précisément dans les endroits où ils doivent se rencontrer, voici de quel moyen on se sert. Prenez une de vos planches, couchez-la sur un carton épais plus grand de deux pouces en hauteur & en largeur, que la planche ; faites avec le canif une ouverture bien perpendiculaire dans le carton, la planche elle-même servira de calibre ; & dès que le carton sera coupé sur les quatre faces, il vous donnera un cadre de deux pouces. Ayez pour déta-