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droits où il faudra les adoucir & abaisser, en les retouchant avec la pointe à graver.

Si on veut éviter de se salir les doigts, on laissera sécher la planche un jour ou deux. La vûe se reposera pendant ce tems ; car fatiguée d’une application assidue d’un mois ou deux sur une même planche, elle n’en peut presque pas juger la premiere épreuve.

Pour retoucher on aura devant soi son épreuve ; on n’oubliera pas que les tailles de la planche sont à contre-sens de l’estampe ; on verra si une taille est trop épaisse seulement en quelques endroits ou sur toute sa longueur ; on la diminuera de son épaisseur par le côté convenable, égalisant autant qu’il est possible la distance de cette taille à la suivante, avec les autres entre-deux ou distances de tailles ; on veillera à ne point trop ôter de bois, sans quoi la taille sera perdue : on aura soin de brosser à mesure qu’on avancera, afin que les petits copeaux ne restent pas dans la gravure.

On sent combien le dessein est nécessaire dans la retouche, soit pour ne pas estropier un contours, déplacer un muscle, pécher contre le clair-obscur ; soit en diminuant le trait par le côté opposé à celui qu’il falloit choisir, enflant ou amaigrissant mal-à-propos ; soit en revenant sur des tailles qui étoient bien, rendant clair ce qu’il falloit laisser obscur, courbant ce qu’il falloit redresser, redressant ce qu’il falloit courber, &c.

Quand on sera obligé de retoucher ou diminuer, par exemple, l’épaisseur du trait A par le côté où il tiendra aux tailles B, on le fera taille par taille, c’est-à-dire qu’on appuyera un peu la pointe au côté de la coupe d’une taille, à son extrémité, sur le trait duquel on fera entrer le taillant de la pointe, suivant à-peu-près l’épaisseur du bois qu’on voudra ôter au trait. On fera la même chose vis-à-vis sur le côté de la recoupe de la taille, qui est au-dessus de celle dont on vient de parler. Cela fait, on retouchera le trait enlevant le bois depuis une taille jusqu’à l’autre, comme on voit par les points de la figure suivante ; ce qui fera trois coups de pointe à donner entre ces deux tailles. Trait A, tailles B, C partie retranchée du trait.

C’est ainsi qu’il faut s’y prendre pour retoucher le trait du côté où il tient à des tailles ; car si l’on faisoit d’abord une coupe en passant la pointe dans l’épaisseur du trait & dans toute sa longueur, pour couper & recouper ensuite le bois en-travers taille par taille ; cela seroit coupe sur coupe, & toutes les tailles seroient infailliblement endommagées, interrompues par le bout, & ne tiendroient plus au trait ; elles en seroient séparées par l’ancienne coupe faite en cet endroit pour le former & pour dégager les tailles ; le bois se sépareroit de lui même en cet endroit, & l’on ne pourroit y remédier.

C’est de la même maniere qu’on retouchera les gravures aux endroits qu’on aura creusés, & s’il est nécessaire, où l’on aura gratté des tailles, observant de tenir toûjours la pointe plus à-plomb sur le glacis des endroits creusés & des tailles grattées. Après avoir retouché, on tirera une seconde épreuve, qu’on retouchera si le trait & les tailles ne paroissent pas encore assez adoucis ; puis une troisieme & ainsi de suite, jusqu’à ce qu’on soit satis fait de son ouvrage.

On gardera dans un porte-feuille les premieres épreuves de chaque planche, selon l’ordre où elles auront été tirées avant & après les retouches, & l’on connoîtra par comparaison les progrès qu’on fera d’année en année.

Les Holbeins, Bernard Salomon & C. S. Vichem ont retouché quelques-uns de leurs morceaux en bois, à la pointe à graver ; mais seulement à certains endroits, à l’extrémité des tailles éclairées : ja-

mais dans les grandes parties ; & sur les estampes

que M. Papillon a d’eux, il prétend qu’ils ne l’ont fait qu’une fois à chacune de leurs planches, excepté celle de la bible d’Holbein, où Abisaig est à genoux devant David, & où la retouche est très-sensible aux traits de la montagne que l’on voit par la croisée de la chambre ; quelques figures emblématiques de Bernard Salomon, & autres morceaux de C. S. Vichem. Il est sûr que ces graveurs habiles entre les anciens n’ont point retouché de lointains ni de ciel ; & que parmi les modernes, MM. Vincent le Sueur, son frere Pierre, Nicolas fils de ce dernier, sont les seuls qui ayent retouché leurs gravures à de grandes parties. Le pere de M. Papillon n’avoit pas cet usage, & M. son fils dit que c’est une des raisons pour lesquelles ses gravures manquent d’effet.

Maniere de bien imprimer les endroits creusés de la gravure. On fera atteindre le papier aux en droits creusés, soit avec le doigt, le pouce, ou la paume de la main, selon leur étendue, lorsqu’on imprimera au rouleau : ce secours ne sera pas nécessaire à l’impression en lettres, où l’on a celui des hausses & de la foule du tympan, qu’il faut toutefois savoir préparer. On collera un morceau de papier ou deux à l’endroit du tympan, qui répondra au creux de la planche. Il faut que ces papiers occupent toute l’étendue du creux. Sur ces premiers papiers on en collera d’autres, qui iront toûjours en diminuant jusqu’au centre. Il ne faut pas couper ces morceaux avec des ciseaux, mais en déchirer les bords avec les ongles. Sans cette attention, l’épaisseur du papier formera une gaufrure & un trait blanc à l’épreuve.

Si un lointain ou un autre endroit creusé vient trop dur à l’impression, il faudra mettre une ou plusieurs hausses au tympan de toute l’étendue de la planche ; mais découper ces hausses & en ôter le papier à l’endroit qui répondra au lointain, ou même, sans employer de hausses, découper la feuille du tympan à l’endroit convenable. On pourroit même dans un besoin y découper le parchemin du tympan, & le premier lange ou blanchet. Il faudra que les blanchets ayent déjà servi ; neufs, ils feroient venir la gravure trop dure.

Voilà tout ce que nous avons cru devoir employer des mémoires très-savans & très-étendus que M. Papillon nous a communiqués sur son art : la réputation & les ouvrages de cet artiste doivent répondre de la bonté de cet article, si nous avons bien sû tirer parti de ses lumieres. Au reste ces principes sont les premiers qui ayent jamais été publiés sur cet art, & ils sont tous de M. Papillon ; nous n’avons eu que le petit mérite de les rédiger.

* Gravure en creux sur le bois & de dépouille. L’on a par le moyen de cette gravure, des empreintes de relief en pâte, terre ou sable préparés, beurre, cire, carton, &c. des sceaux, des cachers, des armoiries de cloche à cire perdue ; des figures pour la pâtisserie, les desserts, les sucreries, &c.

Il est vraissemblable qu’on a commencé à graver sur le bois, avant que de graver sur aucune matiere plus dure ; & il ne l’est pas moins que la gravure en creux, appellée anciennement engravure, a précédé la gravure.

Il faut distinguer deux sortes de gravure en creux, relativement aux outils dont on s’est servi ; l’une en gouttiere exécutée avec des outils tranchans, tels que le couteau, le fermoir, le canif & la gouge ; l’autre plus parfaite, travaillée à la gouge plus ou moins courbe ; le fermoir & la pointe à graver n’y sont que rarement employés : de-là & ses vives arêtes & ses bords adoucis, & son caractere de dépouille que n’a point la premiere dont les angles & les vives arêtes aiguës sont sujets à retenir des parties des substances molles sur lesquelles on veut avoir les reliefs des gravures.