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effets du clair-obscur de ces compositions. Il y a des tableaux de différens genres ; par conséquent il doit y avoir différens genres de Gravure pour les imiter. L’histoire est l’objet principal de la Peinture ; on peut exiger, pour qu’elle soit traitée parfaitement par un peintre, que toutes les parties de son art y concourent ; que le beau fini soit uni à la grandeur du faire, à la perfection de l’effet, & à la justesse de l’expression : un tableau de cette espece, s’il y en a, pour être gravé parfaitement, doit être rendu dans l’estampe par toutes les parties de la Gravure. Le burin le plus fier, le plus propre, le plus varié, le plus savant, sera à peine suffisant pour imiter parfaitement le tableau dont je parle. Le travail de l’eau-forte donneroit trop au hasard, & je crois qu’elle nuiroit à la beauté de l’exécution. Si un tableau moins parfait offroit une composition pleine de feu, d’expression, & en même tems un faire moins terminé, & un accord moins exact, je crois que le graveur qui employeroit l’eau-forte pour rendre le feu de l’expression qui domine dans l’ouvrage, & qui retouchant au burin ajoûteroit à son ouvrage le degré d’harmonie que contient son original, rempliroit les vûes de la Gravure. Enfin un tableau dont le mérite consisteroit plus dans le beau faire & dans l’harmonie, que dans l’expression & la force, doit recevoir en Gravure la plus grande partie de la vérité de son imitation, d’un burin bien conduit, & dont le beau travail répondra au précieux méchanisme du pinceau & à la fonte des couleurs.

Le portrait est un second genre de Gravure, d’un usage aussi grand & peut-être plus multiplié encore que le premier. Ce genre de Gravure doit suivre à-peu-près les mêmes regles que je viens d’établir. Les tableaux d’après lesquels on grave les portraits, doivent inspirer au graveur habile le méchanisme dont il doit se servir, à-moins que par une application différente des moyens qu’il employe, il ne les proportionne en quelque sorte à l’état, au sexe, à l’âge & à la figure des personnages dont il transmet la ressemblance. La jeunesse & les graces du sexe demandent une propreté de travail & une douceur dans l’arrangement des tailles, qui sied moins à la vieillesse ou au caractere austere d’un guerrier. Cette réflexion m’a souvent frappé, lorsqu’admirant les précieux ouvrages des Drevets & des Edesinks, j’ai vû un magistrat âgé, ou un guerrier, dont la représentation m’offroit quelque chose d’efféminé, que j’ai cru être l’effet d’une trop grande uniformité de travail, & de ce qu’on appelle un trop beau burin. Au reste je ne prétends pas que cette réflexion soit prise à la rigueur, & je la soûmets à ceux des artistes qui auront assez exercé leur art & assez refléchi, pour la modifier comme elle doit l’être.

Le paysage, sous le nom duquel je comprendrai, pour ne pas être trop long, tous les autres genres particuliers, peut se livrer à plus de liberté, & par conséquent l’eau-forte y peut être employée avec succès, mais toûjours avec un rapport juste au caractere du tableau qu’on grave, ou à la nature des objets qu’on représente. Je n’ai en vûe dans tout ce que je dis ici, que les ouvrages de Gravure auxquels on cherche à donner un juste degré de perfection ; car pour les gravures qui sont l’ouvrage des Peintres, il seroit injuste de leur fixer aucune regle, ce sont des délassemens pour eux ; & la pointe en s’égarant même entre leurs mains, porte toûjours l’empreinte du génie des artistes qui la font obéir à leur caprice. Je passe aussi sous silence les gravures multipliées des amateurs ; ce sont des amusemens qui servent à les instruire : il en est peu qui puissent aspirer à un degré de perfection, pour lequel un travail assidu, constant & suivi pendant un grand nombre d’années, est à peine suffisant.

Je reviens aux préceptes de Bosse, dont je donne l’extrait raisonné. Indépendamment des hachures simples, de celles qui se croisent, soit en formant des quarrés, soit en formant des losanges, il y a encore une sorte de travail dont on se sert dans différentes occasions. Ce travail se fait en formant des points séparés les uns des autres, & ces points peuvent être ou totalement ronds, ou ronds par un côté, & un peu alongés par l’autre ; ils peuvent être longs, droits, ou tremblotés. L’usage est de se servir de points ronds à l’eau-forte, & on les employe pour donner aux chairs un caractere délicat qui fasse naitre une idée des pores & du tissu de la peau. Ce travail, ainsi que ceux dont j’ai déjà parlé, est subordonné au goût & aux réflexions du graveur. L’usage excessif des points, rend le travail mou & peu brillant ; celui des tailles seules pour représenter des chairs, est trop austere ; un mélange judicieux de ces deux especes de travaux, donnera à la gravure à l’eau-forte un degré d’agrément auquel elle peut tendre.

Il est nécessaire d’arranger avec beaucoup de soin les points qu’on place avec la pointe ; les petits hasards de l’eau-forte les dérangeront assez. L’usage est d’en faire des rangs dans le sens dont on auroit fait des tailles, dans l’endroit où on les employe. Ceux du second rang se placent de maniere qu’ils se trouvent au-dessous ou au-dessus de l’intervalle qui est entre chacun des premiers ; ils servent aussi de continuation aux hachures, en approchant des clairs dans lesquels ils se perdent, en les diminuant à mesure que l’on approche des grandes lumieres.

Je reviens encore, avec Bosse, aux tailles, comme au principal objet du travail de la Gravure. Un effet de la dégradation qu’éprouvent les objets dans l’éloignement, est que les détails de ces objets s’apperçoivent moins : c’est cette raison qui a dicté le précepte de serrer les tailles, en même tems qu’on les rend plus fines dans les plans éloignés. Par cette même raison on détaillera moins, à l’aide des hachures & des traits qui forment les contours, les différens objets dont on gravera la représentation lorsqu’ils seront censés éloignés de l’œil. On observera cette dégradation par plan, & ce soin donnera beaucoup d’effet aux planches : on changera donc de pointe à mesure que les objets approcheront de l’horison ; on serrera les tailles ; on détaillera moins les petites parties, & l’on gravera les grandes d’une façon un peu indécise, mais large, en ombrant par masses, comme on le peut voir dans les estampes de Gerard Audran, entre autres dans l’estampe de Pyrrhus sauvé, qu’il a gravée d’après le Poussin, & dans laquelle il a rendu d’une maniere excellente la touche large du pinceau dans les lointains & dans les fonds. L’art de l’imitation, dans la Peinture comme dans la Gravure, exige qu’on ne se livre à l’exactitude des détails que fort à-propos : c’est de-là que naît l’ensemble, l’unité, & l’effet des ouvrages. Un objet travaillé avec soin, dont toutes les parties sont rendues avec exactitude & recherche, est capable, avec le plus grand mérite d’exécution, de gâter & de détruire l’effet d’une composition. Savoir supprimer avec discernement en Peinture, & passer à-propos sous silence dans l’art d’écrire, sont les moyens d’arriver à la perfection à laquelle doivent tendre ces différens arts.

C’est dans le paysage, comme je l’ai déjà indiqué, que l’on peut se permettre une plus grande liberté dans les différens travaux des hachures. Le travail libre, varié, les hachures tremblantes, interrompues, redoublées & confondues, donnent à ce genre de gravure un effet piquant, qui plaît extrèmement aux connoisseurs, aux artistes, & souvent aux amateurs, sans qu’ils en approfondissent trop la raison. Il en résulte qu’on abuse très-souvent de cette façon