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entendre ce qu’on auroit souvent de la peine à comprendre sans cela. Ces figures le plus souvent très imparfaites du côté de l’art, ne servent pas moins à la fin pour laquelle on les employe : l’art de la Gravure est donc devenu moins parfait, mais plus utile aux hommes.

Voici quelques-unes des regles que Bosse nous a transmises, & desquelles on peut supprimer, ou auxquelles on peut ajoûter, pourvû que ce soit d’après des travaux raisonnés, & qu’on ait toûjours en vûe l’imitation de la nature, & l’application des vrais principes de la Peinture & du Dessein. J’ai dit que la premiere taille ou le premier rang de hachures qu’on trace avec la pointe sur le vernis doit suivre le sens des hachures du dessein, ou de la brosse & du pinceau, si c’est d’après un tableau qu’on grave : mais ce premier rang de hachures n’est pas suffisant pour parvenir à l’effet d’une planche ; il est d’usage de passer sur ces premieres tailles un second, & quelquefois un troisieme, & même un quatrieme rang de traits qui se croisent en différens sens. Les secondes tailles doivent concourir avec les premieres à assûrer les formes, à fortifier les ombres, & à décider les figures ou les objets qu’on grave ; mais comme dès les premieres tailles, on a dû épargner les reflets & les demi-teintes, les secondes doivent ménager de même les parties qui doivent être moins colorées. Si l’ombre se trouve très-forte & le reflet aussi, les deux tailles de l’ombre doivent être faites avec une pointe molle & forte, & ces deux mêmes tailles seront continuées dans les reflets par des pointes plus fines dans le même genre de travail.

On doit observer de faire la premiere taille forte, nourrie, & serrée ; la seconde un peu plus déliée & plus écartée, & la troisieme encore plus fine. La raison de cela est, que la premiere étant celle qui indique le sens des muscles & de la peau, doit être celle qui domine ; les autres ne sont ajoûtées que pour colorer davantage les figures ou les corps sur lesquels on les employe. L’une dessine, les autres peignent ; la premiere est faite pour imiter les formes, les autres pour répandre sur ces formes l’effet juste du clair obscur. Si la premiere & la seconde taille forment en se croisant des quarrés, la troisieme doit former des losanges sur l’une des deux ; ou si les deux premieres sont en losange, la troisieme sera quarrée.

On doit se servir rarement de troisieme hachure à l’eau-forte, lorsqu’on se réserve de retoucher la planche au burin, par ce qu’on laisse cette troisieme pour ajoûter, par le moyen du burin, la couleur qui peut manquer, & la propreté qu’on veut donner à l’ouvrage.

Le genre de travail que l’on employe doit, comme on le sentira aisément, avoir rapport à la nature des objets qu’on grave. Cette espece de convention contribue beaucoup à l’effet que produit la Gravure ; ainsi on a remarqué que les traits doublés qui forment des quarrés, c’est-à-dire qui se croisent perpendiculairement, produiroient à la vûe un travail plus dur & moins agréable à l’œil, que les traits qui se coupent en formant des losanges ou des demi-losanges. On a donné la préférence à ce dernier travail, pour représenter des corps délicats, tels que ceux des femmes, des enfans, des jeunes hommes ; & l’on s’est éloigné plus ou moins de cette combinaison de tailles à-proportion de l’austérité qu’on desiroit dans les travaux qu’on vouloit employer. Quelques artistes ont trouvé que dans les figures qui ne demandoient pas une grande vigueur de couleur, on pouvoit hardiment se servir du grand losange ; mais qu’il devenoit embarrassant, lorsqu’il faut rendre les tons plus colorés. Au reste il est des artistes qui sans s’astreindre à ces regles, ont fait de très-belles

estampes, ce qui ne prouve pas qu’elles soient

inutiles, mais seulement qu’il ne faut s’en affranchir qu’autant qu’on est sûr de réussir sans leurs secours. Les plus beaux exemples de ces pratiques, dont je viens de rendre compte, sont les estampes de Corneille Vischer.

Les draperies exigent du graveur une infinité de combinaisons & d’attentions dans le travail qui varie, suivant la nature des étoffes, le mouvement des plis & le plan des figures. En général il faut, comme dans les chairs, que la premiere taille dessine la forme & le mouvement du pli : mais si la continuation de cette taille dans le pli qui suit, n’est pas propre, comme cela doit arriver souvent, à en exprimer le juste caractere, il faut la destiner à servir de seconde ou de troisieme même, en subordonnant cette taille à celle que vous lui substituez. Cette combinaison qui demande du soin & de l’habitude, donnera à votre travail une aisance & une justesse qui charmeront l’œil. Une seconde observation est, qu’il faut éviter que ces tailles dont vous vous servez, & qui vont se terminer au contour des membres nuds, ou des autres corps qui se touchent, tombent à angles droits sur ces contours ; mais il faut que ces hachures se perdent avec eux d’une maniere insensible & douce. En général, les hachures des draperies doivent former des traits ondoyans, & éviter d’être roides & gênées ; elles doivent s’unir par les moyens dont j’ai parlé, de maniere que dans l’ouvrage les objets se détachent principalement par l’effet des ombres & des jours.

Les clairs & les demi-teintes exigent dans la Gravure, ainsi que dans le Dessein, une propreté de travail extrème : on aura donc soin de varier les pointes, & de se servir dans cette occasion de celles qui sont plus fines. Les ombres qui demandent à être solides, & qui représentent l’effet de la privation de la lumiere, admettent un travail ferme, &, pour ainsi dire, plus rempli d’accidens & d’inégalités ; mais les demi-teintes & les reflets qui participent de la lumiere, doivent être exécutés avec une attention d’autant plus grande, que lorsque les objets sont clairs, on doit mieux en distinguer les formes & les détails. Sur les grandes lumieres les travaux ne peuvent être ou trop ménagés, ou faits avec trop de legereté, & avec cette propreté qui flatte l’œil. Les tailles doivent être écartées les unes des autres ; & si l’on a dessein de terminer l’ouvrage à la pointe, c’est alors que le travail de cet outil doit tendre à imiter la netteté du burin. Pour les planches qu’on destine à être retouchées au burin, il faut y reserver le travail dont je viens de parler ; parce qu’on est plus maître de donner avec le burin ce degré juste de netteté qui doit faire valoir l’ouvrage. Les linges & les étoffes fines doivent se préparer à une seule taille propre ; il faut laisser au burin à les terminer par des secondes tailles legeres & mises à-propos. Puisqu’il est question de cette propreté qu’on doit chercher, sans la pousser trop loin, je vais me permettre quelques réflexions qui viennent à-propos.

Il en doit être de l’art de la Gravure, comme de tous les autres Arts. Les principes généraux que les réflexions ont établis, embrassent un art en général : ces principes se restraignent ensuite, & se soûmettent à des exceptions & à des modifications qu’exigent les différens genres de productions de l’art qui les a adoptés : il seroit donc injuste de vouloir que dans la Gravure tous les ouvrages fussent soûmis indispensablement aux principes que je viens de donner. Parcourons legerement les classes principales des ouvrages de caracteres différens, auxquels la Gravure s’employe. Son usage le plus commun & le plus relatif à la Peinture, est de multiplier les idées de composition des tableaux des bons artistes, & les