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réelle sur les terres, n’ont pas examiné les irrégularités qui naissent des différens genres de culture, & les variations qui en résultent. Il est vrai que dans les pays d’états on établit communément la taxe sur les terres, parce que ces pays étant bornés à des provinces particulieres où la culture peut être à-peu près uniforme, on peut regler l’imposition à-peu-près sur la valeur des terres, & à la différente quantité de semence, relativement au produit des terres de différente valeur ; mais on ne peut pas suivre cette regle généralement pour toutes les autres provinces du royaume. On ne peut donc dans l’état actuel établir une taille proportionnelle, qu’en se réglant sur la somme imposée préalablement sur chaque paroisse, selon l’état de l’agriculture de la province ; & cette taille imposée seroit repartie, comme il est dit à l’article Fermier, proportionnellement aux effets visibles d’agriculture, déclarés tous les ans exactement par chaque particulier. On pourroit même, quand les revenus se réduisent au produit des grains, éviter ces déclarations ; & lorsque la bonne culture y seroit entierement établie, on pourroit simplifier la forme par une imposition proportionnelle aux loyers des terres. Le laboureur, en améliorant sa culture & en augmentant ses dépenses, s’attendroit, il est vrai, à payer plus de taille, mais il seroit assûré qu’il gagneroit plus aussi, & qu’il ne seroit plus exposé à une imposition ruineuse, si la taille n’augmentoit que proportionnellement à l’accroissement de son gain.

Ainsi on pourroit dès-à-présent imposer la taille proportionnelle aux baux, dans les pays ou les terres sont cultivées par des fermiers. Il ne seroit peut-être pas impossible de trouver aussi une regle à-peu-près semblable, pour les pays où les propriétaires font cultiver par des métayers ; on sait à-peu-près le produit de chaque métairie ; les frais étant déduits, on connoîtroit le revenu du propriétaire ; on y proportionneroit la taille, ayant égard à ne pas enlever le revenu même du propriétaire, mais à établir l’imposition sur la portion du métayer, proportionnellement au revenu net du maître. S’il se trouvoit dans cette imposition proportionnelle quelques irrégularités préjudiciables aux métayers, elles pourroient se réparer par les arrangemens entre ces métayers & les propriétaires : ainsi ces inconvéniens inséparables des regles générales se réduiroient à peu de chose, étant supportés par le propriétaire & le métayer. Il me paroît donc possible d’établir dès aujourd’hui pour la grande & pour la petite culture, des regles fixes & générales pour l’imposition proportionnelle de la taille.

Nous avons vû par le calcul des produits de la grande culture actuelle, que la taille imposée à une somme convenable, se trouve être à-peu-près égale à un tiers du revenu des propriétaires. Dans cette

culture les terres étant presque toutes affermées, il est facile de déterminer l’imposition proportionnellement aux revenus fixés par les baux.

Mais il n’en est pas de même des terres traitées par la petite culture, qui sont rarement affermées ; car on ne peut connoître les revenus des propriétaires que par les produits. Nous avons vû par les calculs de ces produits, que dans la petite culture la taille se trouvoit aussi à-peu-près à l’égal du tiers des revenus des propriétaires ; mais ces revenus qui d’ailleurs sont tous indécis, peuvent être envisagés sous un autre aspect que celui sous lequel nous les avons considérés dans ces calculs : ainsi il faut les examiner sous cet autre aspect, afin d’éviter la confusion qui pourroit naître des différentes manieres de considérer les revenus des propriétaires qui sont cultiver par des métayers, & qui avancent des frais pécuniaires, & employent une grande portion des biens fonds de chaque métairie pour la nourriture des bœufs de labour. Nous avons exposé ci-devant pour donner un exemple particulier de cette culture, l’état d’une terre qui peut rendre au propriétaire, année commune, pour 3000 livres de blé, semence prélevée. On voit le détail des différens frais compris dans les 3000 livres ; savoir 1050 liv. pour les avances pécuniaires, qui reduisent les 3000 livres à 1950 livres.

Il y a 1375 livres de revenus de prairies & friches pour la nourriture des bœufs ; ainsi les terres qui portent les moissons ne contribuent à cette somme de 1950 livres que pour 575 livres, parce que le revenu des prairies & friches fait partie de ce même revenu de 1950 livres. Si la taille étoit à l’égal du tiers de ces 1950 livres, elle monteroit à 650 livres, qui payées par cinq métayers par portion égale, feroient pour chacun 13. livres.

Ces métayers ont ensemble la moitié du grain, c’est-à-dire pour 3000 livres : ainsi la part pour chacun est 600 liv. Si chaque fermier, à raison du tiers de 1950 liv. payoit 131 liv. de taille, il ne lui resteroit pour ses frais particuliers, pour sa subsistance & l’entretien de sa famille, que 479 liv. 16 sous.

D’ailleurs nous avons averti dans le détail de l’exemple que nous rappellons ici, que le fonds de la terre est d’un bon produit, relativement à la culture faite avec les bœufs, & qu’il est d’environ un quart plus fort que les produits ordinaires de cette culture : ainsi dans le dernier cas où les frais sont les mêmes, le revenu du propriétaire ne seroit que de 1450 livres, & la part de chaque métayer 453 liv. Si la taille étoit à l’égal du tiers du revenu du propriétaire, elle monteroit à 497 livres ; ce qui seroit pour la taxe de chaque métayer 102 livres : il ne lui resteroit de son produit que 348 livres, qui ne pourroient pas suffire à ses dépenses ; il faudroit que la moitié pour le moins de la taille des cinq métayers, retombât sur le propriétaire qui est chargé des grandes dépenses de la culture, & a un revenu incertain.

Ainsi selon cette maniere d’envisager les revenus casuels des propriétaires qui partagent avec des métayers, si on imposoit la taille à l’égal du tiers de ces revenus, les propriétaires payeroient pour la taille au-moins un tiers de plus sur leurs terres, que les propriétaires dont les terres sont affermées, & dont le revenu est déterminé par le fermage sans incertitude & sans soin ; car par rapport à ceux-ci, la taille qui seroit égale au tiers de leur revenu, est en-dehors de ce même revenu, qui est reglé & assûré par le bail ; au lieu que si la taille suivoit la même proportion dans l’autre cas, la moitié au-moins retomberoit sur le revenu indécis des propriétaires. Or la culture avec des métayers est fort ingrate & fort difficile à régir pour les propriétaires, surtout pour ceux qui ne résident pas dans leurs terres, & qui

    roient plus de revenu ; la dixme ne se trouveroit qu’environ égale à un tiers du fermage. La taille convertie en dixme, ne seroit plus dans une proportion convenable avec les revenus ; car elle pourroit alors être portée à l’égal de la moitié des revenus, & être beaucoup moins onéreuse que dans l’état présent ; ainsi les proportions de la taille & de la dixme avec le fermage sont fort différentes, selon les différens produits des terres. Dans la petite culture la taille seroit forte, si elle égaloit la moitié de la dixme ; elle seroit foible dans une bonne culture, si elle n’étoit égale qu’à la totalité de la dixme. Les proportions de la taille avec le produit sont moins discordantes dans les différens états de culture ; mais toûjours le sont-elles trop pour pouvoir se prêter à une regle générale : c’est tout ensemble le prix des grains, l’état de la culture, & la qualité des terres, qui doivent former la base de l’imposition de la taille à raison du produit net du revenu du propriétaire. C’est ce qu’il faut observer aussi dans l’imposition du dixieme sur les terres cultivées avec des bœufs aux frais des propriétaires, car si on prenoit le dixieme du produit, ce seroit dans des cas la moitié du revenu, & dans d’autres le revenu tout entier qu’on enleveroit.