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jamais place dans le tems de l’accès, à-moins qu’il n’y ait complication, parce que dans tous ses tems, au commencement, au milieu, à la fin, les purgatifs ne sont propres qu’à troubler le dépôt du levain goutteux, le suspendre, le faire remonter, ou affoiblir les forces nécessaires pour sa coction, sa résolution & sa destruction. On n’en fait guere plus d’usage à l’issue de l’attaque, parce que les forces sont déjà trop affoiblies ; que l’ennemi n’existe plus, ou qu’il est hors de la portée de leur action.

S’il est un tems pour attaquer la goutte & la combattre avec avantage, le véritable est dans l’intervalle des accès. Il est bien plus important d’empêcher la formation & l’accumulation du levain goutteux pendant la bonne santé, que de s’occuper de sa destruction dans le tems des tourmens qu’il cause. C’est en printems & en autonne qu’on peut dans les sujets pléthoriques employer les saignées préservatives ; & dans les cacochimiques, les legers émétiques ou la purgation, que Boerhaave conseille de composer avec les purgatifs hydragogues mêlés avec les mercuriaux. C’est le tems d’employer le lait & la diete blanche, les martiaux, tels que l’alkool martis de Musgrave, ou toute autre préparation ; les amers antipodagragogues des anciens, tels que la poudre arthritique amere du codex parisiensis ; les os humains brûlés, que Galien, lib. IX. de simpl. medic. facult. assûre avoir vû guérir des goutteux & des épileptiques, &c. Outre ces remedes, dont on prolonge l’usage pendant les six mois & les années entieres, les chaleurs de l’été invitent aux eaux minérales ferrugineuses, aux bains domestiques, ou dans l’eau de la mer & des rivieres, qui sont très utiles aux jeunes personnes sanguines & bilieuses. L’autonne fournit les bains de vendange bouillante, tant vantés par Antonius ab Alto-mari, & dont tant de personnes ont ressenti les bons effets. Quelques goutteux se trouvent bien de porter toute l’année ou des chaussons ou des semelles d’une toile cirée verte, qui entretient une transpiration continuelle des piés. D’autres usent toute l’année aussi d’une décoction legere d’ortie, qu’ils prennent en forme de thé.

Un remede qui paroît prendre faveur, & qui porte déjà le nom de spécifique, c’est le savon blanc ordinaire, ou le savon médicinal, dont on commence à faire usage une ou deux fois par jour pendant long-tems, en commençant par quinze ou vingt grains, & augmentant insensiblement jusqu’à demi-dragme ou deux scrupules par prise. Quoique l’expérience n’ait point encore consacré ce remede, sa vertu lithomptriptique doit lui servir de recommandation ; & quand il ne produiroit d’autre bien que d’empêcher la formation du calcul, si souvent uni à la goutte, il ne laisseroit pas d’être d’une grande utilité. Il semble que les alkalis volatils & fixes, que tant d’illustres auteurs recommandent, n’ont mérité leur confiance qu’à cause de la vertu commune qu’ils ont avec le savon.

Le meilleur remede qu’on ait encore trouvé, le plus certain, le plus utile, celui qui réunit le suffrage de tous les Medecins tant anciens que modernes, c’est un bon régime de vivre, c’est l’usage raisonnable des six choses non naturelles : non saturari cibis, & impigrum esse ad laborem. Manger peu, sur-tout le soir ; boire sobrement, éviter les alimens contraires, se coucher de bonne-heure, être assez bien couvert pour pouvoir transpirer le matin à la fin du sommeil ; faire un exercice proportionné, tant à pié qu’à cheval, ou en voiture, &c. voilà le seul spécifique connu. S’il ne remplit pas son nom, comme on n’en sauroit disconvenir, il diminue du-moins beaucoup la violence du mal ; il en empêche les fréquens retours ; il seconde efficacement tous les moyens dont on se sert pour le détruire ou pour l’adoucir, qui

deviendroient inutiles sans son secours. C’est lui que Sydenham, sectateur de Lucien, préfere à tous les moyens connus de son tems, & dont il a eu la triste satisfaction de faire l’expérience sur lui-même. Le lait, qui étoit alors à la mode, n’a, selon lui, d’autre propriété que d’adoucir & de retarder les accès de goutte tant qu’on en fait usage ; mais dès qu’on l’abandonne, les premiers accès qui reviennent sont les plus violens & les plus insupportables. L’usage des purgatifs produit aussi, selon lui, plus de mal que de bien, & ainsi des autres remedes.

La goutte noüée, soit de sa nature, soit par ancienneté, doit être conduite comme la goutte simple : ce qu’elle exige de plus, c’est quelque moyen local pour fondre les nodosités, les concrétions plâtreuses ou pierreuses qui rendent le membre difforme, incommode, perclus, & qui le font enfin éclater, pour donner issue aux matieres qui s’y sont déposées. Le meilleur topique qu’on ait encore trouvé pour ce cas, c’est le cataplasme de vieux fromage de vache, délayé dans un bouillon de pié de cochon salé, inventé par Galien, & rapporté liv. X. de medic. simpl. facult. cap. jx. de caseo, auquel les Arabes ont ajoûté l’euphorbe, & dont on se sert toûjours en pareil cas, ainsi que des emplâtres de savon. Les bains & la douche des eaux de Bareges ont guéri plusieurs gouttes noüées, selon M. Desault ; il cite dans son livre plusieurs exemples des succès opérés par ces eaux admirables, qui sont du-moins toûjours innocentes.

A l’égard de la goutte remontée, où les forces vitales trop affoiblies par l’âge, ou par toute autre cause, ne peuvent plus pousser au loin le levain goutteux dans son siege naturel ; où le levain déréglé & mal moriginé, au lieu de se porter dans les articulations, se jette sur les visceres ; où les applications mal entendues, & quelques fautes dans le régime & les remedes, le repercutent & le chassent en-dedans du corps : les cordiaux sont le seul remede pour le premier cas, tels que la thériaque vieille, la poudre de Gascogne, les bons vins vieux, les liqueurs même spiritueuses & les alimens nourrissans, parce qu’ils sont capables de relever les forces, & de faire faire un effort à la nature pour chasser l’ennemi.

Dans le second on doit suivre le même traitement pour les maladies causées par le levain goutteux, que si elles étoient dépendantes de causes ordinaires ; avec cette attention particuliere, que les forces doivent être ménagées, & par conséquent les saignées & les purgatifs économisés, les cordiaux presque toûjours employés ; & qu’on doit s’occuper particulierement de rappeller à son siége naturel le levain qui s’en est écarté, par le moyen des frictions seches, des emplâtres céphaliques, de la poix de Bourgogne, de l’urtication, du bain chaud, de la peau chaude de quelqu’animal nouvellement écorché, des synapismes & des vésicatoires même sur la partie dont il s’est dévoyé, & sur laquelle il doit revenir pour la délivrance parfaite de celles qui en sont opprimées.

Dans le troisieme cas il faut recourir à des applications contraires aux repercussives qui ont repoussé le levain en-dedans, aux bains chauds de la partie, &c. comme dans le second cas ; à la saignée même dérivative, si les forces sont suffisantes ; aux cordiaux, & même aux anodyns pris intérieurement, selon le besoin. Cet article est de M. Penchenier, Docteur en Medecine à Montelimart en Dauphiné.

Goutte-rose, gutta rosacca, gutta rosea, rubedo maculosa, (Medecine.) c’est l’espece de maladie de la peau que les Arabes désignent sous le nom d’albedsamen ou d’alguasen, ou selon d’autres, d’albuttizaga : les Grecs n’en font pas mention.