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III. Souvent il paroît modifier tout autre adjectif dont le corrélatif est exprimé ou supposé : plenus vini, lassus viarum, supp. de copiâ vini, de labore viarum. C’est la même chose après le comparatif & le superlatif ; fortior manuum, primus ou doctissimus omnium, supp. è numero manuum, è numero omnium.

IV. Plus souvent encore le génitif est à la suite d’un verbe, & les méthodistes énoncent expressément qu’il en est le régime ; c’est une erreur, il ne peut l’être en latin que d’un nom appellatif, & l’ellipse le ramene à cette construction. Il est aisé de le vérifier sur des exemples qui réuniront à-peu-près tous les cas. Est regis, c’est-à-dire est officium regis. Refert Cæsaris, c’est-à-dire refert ad rem Cæsaris, comme Plaute a dit (in Pers.). Quid id ad me aut ad meam rem refert ? Interest reipublicæ ; est inter negotia, est inter commoda reipublicæ. Manet Romæ, c’est à-dire manet in urbe Romæ.

On trouve communément le génitif après les verbes pœnitere, pudere, pigere, toedere, miserere ; & les rudimentaires disent que ces verbes sont impersonnels, que leur nominatif se met à l’accusatif, & leur régime au génitif. Il est aisé d’appercevoir les absurdités que renferme cette décision : nous ferons voir au mot Impersonnel, que ces verbes sont réellement personnels, & que leur sujet doit être au nominatif quand on l’exprime. Nous allons montrer ici que leur prétendu régime au génitif est le régime déterminatif du nom qui leur sert de sujet ; & que ce qu’on envisage ordinairement comme leur sujet sous la dénomination ridicule de nominatif, est véritablement leur régime objectif.

On lit dans Plaute (Stich. in arg.) & me quidem hæc conditio nunc non pœnitet : il est évident que hæc conditio est le sujet de pœnitet, & que me en est le régime objectif ; & l’on pourroit rendre littéralement ces mots me hæc conditio non pœnitet, par ceux-ci : cette condition ne me peine point, ne me fait aucune peine ; c’est le sens littéral de ce verbe dans toutes les circonstances. Cet exemple nous indique le moyen de ramener tous les autres à l’analogie commune, en suppléant le sujet sousentendu de chaque verbe : pœnitet me facti veut dire conscientia facti pœnitet me, le sentiment intérieur de mon action me peine.

Pareillement dans cette phrase de Cicéron (pro domo), ut me non solum pigeat stultitiæ meæ, sed etiam pudeat ; c’est tout simplement, ut conscientia stultitie meæ non solum pigeat, sed etiam pudeat me.

Dans celle-ci, sunt homines quos infamiæ suæ neque pudeat neque tædeat (2. verr.) ; suppléez turpitudo, & vous aurez la construction pleine : sunt homines quos turpitudo infamiæ suæ neque pudeat neque tædeat.

De même dans cette autre qui est encore de Cicéron, miseret me infelicis familiæ ; suppléez sors, & vous aurez cette phrase complete, sors infelicis familiæ miseret me.

On voit donc que les mots facti, stultitiæ, infamiæ, familiæ, ne sont au génitif dans ces phrases, que parce qu’ils sont les déterminatifs des noms conscientia, turpitudo, sors, qui sont les sujets des verbes.

Le génitif se construit encore avec d’autres verbes ; quanti emisti ? c’est-à-dire, pro re quanti pretii emisti ? Cicéron (Attic. viij.) parlant de Pompée, dit facio pluris omnium hominum neminem ; c’est comme s’il avoit dit, facio neminem ex numero omnium hominum virum pluris momenti : c’est la même chose du passage de Térence (in Phorm.) meritò te semper maximi feci, c’est-à-dire virum maximi momenti. Mais si le régime objectif est le nom d’une chose inanimée, le nom appellatif qu’il faut suppléer, c’est res ; illos scelestos qui tuum fecerunt fanum parvi (Plaut. in Rudent.), c’est-à-dire, qui tuum fecerunt fanum rem parvi pretii. Accusare furti, c’est accusare de crimine furti ; condemnare capitis, c’est condemnare ad pœna capitis. Oblivisci,

cordari, meminisse alicujus rei ; suppléez memoriam alicujus rei ; c’est ce même nom qu’il faut sous-entendre dans cette phrase de Cicéron & dans les pareilles, tibi tuarum virtutum veniat in mentem (de orat. ij. 61.) suppléez memoria.

V. Quand on trouve un génitif avec un adverbe, il n’y a qu’à se rappeller que l’adverbe a la valeur d’une préposition avec son complément, voyez Adverbe ; & que ce complément est un nom appellatif : en décomposant l’adverbe, on retrouvera l’analogie. Ubi terrarum, décomposez ; in quo loco terrarum : nusquam gentium, c’est-à-dire in nullo loco gentium.

Il faut remarquer ici qu’on ne doit pas chercher par cette voie l’analogie du génitif, après certains mots que l’on prend mal-à-propos pour des adverbes de quantité, tels que parum, multum, plus, minus, plurimum, minimum, satis, &c. ce sont de vrais adjectifs employés sans un nom exprimé, & souvent comme complément d’une préposition également sousentendue : dans ce second cas, ils font l’office de l’adverbe : mais par-tout, le génitif qui les accompagne est le déterminatif du nom leur corrélatif ; satis nivis, c’est copia satis nivis, ou copia conveniens nivis. De l’adjectif satis vient satior.

VI. Enfin on rencontre quelquefois le génitif à la suite d’une préposition ; il se rapporte alors au complément de la préposition même qui est sous-entendue. Ad Castoris, suppléez ædem ; ex Apollodori (Cic.) suppléez chronicis ; labiorum tenus, suppléez extremitate.

Nous nous sommes un peu étendus sur ces phrases elliptiques ; premierement, parce que le génitif qui est ici notre objet principal, y paroissant employé d’une autre maniere que sa destination originelle ne semble le comporter, il étoit de notre devoir de montrer que ce ne sont que des écarts apparens, & que les assertions contraires des méthodistes sont fausses & fort éloignées du vrai génie de la langue latine : en second lieu, parce que nous regardons la connoissance des moyens de suppléer l’ellipse, comme une des principales clés de cette langue.

On doit être suffisamment convaincu par tout ce qui précede, que le génitif fait l’office de déterminatif à l’égard du nom auquel il est subordonné : mais il faut bien se garder de conclure que ce soit le seul moyen qu’on puisse employer pour cette détermination. Il faut bien qu’il y en ait d’autres dans les langues dont les noms ne reçoivent pas les inflexions appellées cas.

En françois on remplace assez communément la fonction du génitif latin par le service de la préposition de, qui par le vague de sa signification semble exprimer un rapport quelconque ; ce rapport est spécifié dans les différentes occurrences (qu’on nous permette les termes propres) par la nature de son antécédent & de son conséquent. Le créateur de l’univers, rapport de la cause à l’effet : les écrits de Cicéron, rapport de l’effet à la cause : un vase d’or, rapport de la forme à la matiere : l’or de ce vase, rapport de la matiere à la forme, &c. En hébreu, on employe des préfixes, sortes de prépositions inséparables, dont quelqu’une est spécialement déterminative d’un terme antécédent. Chaque langue a son génie & ses ressources.

La langue latine elle-même n’est pas tellement restrainte à son génitif déterminatif, qu’elle ne puisse remplir les mêmes vûes par d’autres moyens : Evandrius ensis, c’est la même chose qu’ensis Evandri ; liber meus, c’est liber mei, liber pertinens ad me ; domus regia, c’est domus regis. On voit que le rapport de la chose possédée au possesseur, s’exprime par un adjectif véritablement dérivé du nom du possesseur, mais qui s’accorde avec le nom de la chose possédée ; parce que le rapport d’appartenance est réellement en elle & s’identifie avec elle.