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tions ; en quoi il ne réussit que trop bien dans le tems ou il voulut ainsi en imposer au monde savant, de sorte qu’il ne contribua même pas peu à faire adopter au grand Boerhaave le système des animalcules, avec toutes ses dépendances.

Les deux opinions sur la génération, qui viennent d’être rapportées ; c’est-à-dire celle des œufs, comme contenant les rudimens du fétus ; & celle des vers spermatiques, comme formant eux-mêmes ces rudimens, ont partagé presque tous les Physiciens depuis environ un siecle. La plûpart de ceux qui ont écrit nouvellement sur ce sujet, ont embrassé l’un ou l’autre de ces sentimens ; mais le système qui attribue aux œufs presque tous les principes de la génération, a été le plus reçu, & est resté le dominant dans les écoles. Il est donc important de rapporter ici les principales raisons qui ont été employées pour soûtenir, pour défendre ce système, & pour combattre celui des animalcules.

On a commencé par objecter contre la destination des animalcules, qu’il ne paroît pas vraissemblable que l’Auteur de la nature ait voulu les employer en si grande quantité (en tant qu’une seule goutte de semence versée dans la matrice, en contient un nombre infini), pour les sacrifier tous, selon la supposition de quelques partisans des vers, au plus fort d’entr’eux, qui parvient à en faire un massacre général avant que de s’emparer seul de la matrice ou de l’œuf ; ou, selon que l’ont imaginé d’autres, pour faire périr presque tous ces animalcules dans l’une de ces deux cavités, en tant qu’elles ne sont propres à fournir asyle qu’à un ou deux animalcules tout-au-plus ; tandis que tout le reste se trouvant pour ainsi dire dans un climat qui lui est contraire, ne peut pas s’y conserver, & qu’il n’y a que les plus robustes qui resistent. On oppose ensuite le défaut de proportion entre le volume des animalcules, observé dans la semence des différens animaux, & les animaux même qui sont supposés devoir en être produits. En effet Lewenhoeck avoue qu’il n’a point trouvé de différence entre les animalcules de la semence des plus petits insectes, & ceux de la semence des grands animaux ; d’où on peut, ce semble, assez raisonnablement inférer qu’ils ne sont point destinés à changer d’état, & qu’ils sont simplement habitans de la liqueur séminale, comme ils le sont dans bien d’autres humeurs animales, où il en a aussi été découvert, telles que la salive, à l’égard de laquelle Lewenhoeck dit qu’il avoit trouve que sa bouche contenoit plus de ces animalcules que la Hollande ne contient d’habitans. On prétend encore prouver que les animalcules ne sont point destinés à joüer le principal rôle dans la génération, de ce qu’il ne s’en trouve point dans la semence de plusieurs animaux, tels que les petits cochons d’Inde, & le coq sur-tout, cet animal si porté à travailler à la multiplication de son espece, tandis qu’il se trouve de ces animalcules dans la prétendue semence de la femme, selon que le rapporte Valisnieri, d’après l’observation certaine d’un docteur italien de ses amis, nommé Buono, qui s’étoit permis des recherches à ce sujet.

On remarque enfin, contre les animalcules considérés comme propres à former le fétus dans tous les animaux, que quoiqu’ils ayent été facilement observés dans la semence du mâle tirée de ses propres reservoirs, il n’est aucun observateur, selon le témoignage même de Valisnieri, qui ait jamais assûré les avoir retrouvés dans cette semence, lorsqu’elle a été injectée dans la matrice, où ii devroit y en avoir au moins quelqu’un qui parut plus sensiblement & avec plus de vigueur, à proportion qu’il seroit plus disposé à changer de forme. Il ne conste pas davantage que l’on en ait découvert dans les trompes & dans les ovaires, où l’imagination seule d’Andry les a fait

pénétrer, puisque les meilleurs microscopes ne les y ont pu faire appercevoir.

Pour achever de renverser l’opinion des animalcules prolifiques, on demande de quelle maniere ils se reproduisent eux-mêmes ; ce qui ramene la difficulté commune à tous les systèmes, pour trouver en quoi consiste le premier principe vivifiant dans l’ordre physique de la fécondation ; principe qu’on ne peut attribuer aux animalcules, qu’en remontant de ceux qui contiennent d’autres animalcules dans leur semence, à ceux qui y sont contenus, & ainsi de ceux-ci à d’autres, par un progrès de diminution à l’infini qui paroît absurde, d’autant plus qu’il ne décide rien.

Mais ne peut-on pas douter même si ces prétendus animalcules sont véritablement des êtres organisés, vivans ? M. Lieberkuhn, célebre observateur microscopique de Berlin, prétend être fondé à le nier ; ainsi il ne resteroit plus aucun fondement au système qui les fait regarder comme les propagateurs de la vie animale.

Enfin on a observé des animalcules, ou de petits êtres crus tels, dans l’infusion de plusieurs sortes de plantes : il ne s’ensuit pas cependant qu’ils soient des embryons de plantes, & qu’ils servent à la reproduction des végétaux.

C’est donc d’après ces différentes raisons, si propres à faire rejetter le système des animalcules dans l’œuvre de la génération, que la plûpart des medecins & autres physiciens se sont plus fortement attachés au système des œufs fournis par les testicules des femelles, fécondés par la liqueur séminale des mâles, sans qu’elle opere autre chose que de mettre en jeu les rudimens du fétus, déjà délinéés dans l’œuf. Ils ont crû devoir préférer ce système, qui est fondé sur un si grand nombre d’expériences, qu’il semble étonnant que l’on puisse se refuser aux apparences de certitude qu’il présente, s’il y a quelque chose de bien certain en fait d’observations physiques.

En effet, les partisans des œufs alleguent pour fondement de leur opinion, 1° que l’on ne peut pas douter que les petites bulles qui composent ce que les anciens appellent les testicules des femelles vivipares, ne soient de vrais œufs, comme dans les femelles ovipares ; que ces œufs ne renferment les rudimens du fétus, puisqu’il a été trouvé des œufs encore attachés à leur ovaire, qui n’ayant pû s’en détacher après y avoir été fécondés, y avoient pris leur accroissement, au point que l’embryon y étoit apperçû sensiblement, ayant toutes ses parties bien formées : tel est le cas rapporté par M. Littre, mém. de l’acad. 1707. Valisnieri rapporte un exemple pareil, d’après un journal de Médecine de 1663. Selon plusieurs auteurs cités par M. de Haller dans ses notes sur les commentaires des institutions de Boerhaave, on a vû des œufs adhérans à l’ovaire, qui contenoient des portions de fétus, telles que des os, des dents, des cartilages qui s’y étoient formés, c’est-à-dire qui y avoient pris accroissement par une suite de fécondation imparfaite.

2°. Que l’on a trouvé plusieurs fétus de différentes grandeurs, qui étoient attachés par leur placenta à quelque partie du bas-ventre, de la même maniere qu’ils doivent être naturellement attachés aux parois de la matrice, & qui n’avoient pû s’être égarés ainsi, qu’en tant que des œufs avoient été détachés de l’ovaire après la fécondation, sans avoir été reçûs par les trompes de Fallope, pour être portés dans la matrice. Il y a une infinité d’exemples de conceptions suivies de grossesses, dans lesquelles les fétus étoient placés hors de la matrice, dans les enveloppes qui leur sont propres. On peut consulter à ce