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res femmes n’avoient produit que des filles, ayant pris d’autres femmes, ont engendré des garçons, selon, dit ce médecin philosophe, que la semence forte ou foible du mâle ou de la femelle est prédominante dans ces differens cas ; mais s’il arrive que le mélange des liqueurs prolifiques se fasse en quantité & en qualité égales, qui contribuent par conséquent autant l’une que l’autre à l’œuvre de la géneration, l’enfant participera-t-il également à la ressemblance & au sexe de son pere & de sa mere ? Et d’ailleurs, dans le cas même le plus ordinaire, à supposer où cette égalité dans les semences n’existe pas, & où la liqueur séminale d’un des deux individus générateurs prédomine & influe le plus sur la ressemblance, pourquoi cette ressemblance n’est-elle pas autant dans le sexe, que dans les traits du visage ? L’expérience démontre que ces deux choses se rencontrent très-rarement ensemble ; ainsi cela seul sembleroit suffisant pour faire rejetter cette opinion de l’existence des deux semences dans chaque sexe, & même d’une seule semence prolifique dans la femme en particulier ; ce qui dans la suite de cet article sera encore réfuté par d’autres raisons.

Voici comment se fait, selon Hippocrate, la formation du fétus : les liqueurs séminales s’étant mêlées dans la matrice, s’y épaississent par la chaleur du corps de la mere ; le mélange reçoit & tire l’esprit de la chaleur ; & lorsqu’il en est tout rempli, l’esprit trop chaud sort au-dehors : mais par la respiration de la mere, il arrive un esprit froid ; & alternativement il entre un esprit froid, & il sort un esprit chaud dans le mélange ; ce qui lui donne la vie, & fait naître une pellicule à la surface du mélange, qui prend une forme ronde ; parce que les esprits agissant du milieu comme centre, étendent également de tous côtés le volume de cette matiere. Il se forme peu-à-peu une autre pellicule, de la même façon que la premiere pellicule s’est formée ; le sang menstruel dont l’évacuation est supprimée, fournit abondamment à la nourriture : ce sang fourni par la mere au fétus, se coagule par degrés, & devient chair ; cette chair s’articule à mesure qu’elle croît, & c’est l’esprit qui donne cette forme à la chair : chaque chose prend sa place. Les parties solides se joignent aux parties solides ; celles qui sont humides aux parties humides : chaque chose cherche à s’unir à celle qui lui est semblable ; & le fétus est enfin entierement formé par ces causes & ces moyens.

Aristote, qui est celui de tous les anciens qui a le plus écrit sur la reproduction des êtres organisés, & qui a traité de ce sujet le plus généralement, établit pour principe à cet égard, que la matiere n’étant qu’une capacité de recevoir les formes, prend dans la génération une forme semblable à celle des individus qui la fournissent ; & par rapport aux animaux qui ont des sexes, son sentiment est que le mâle fournit seul le principe prolifique, & que la femelle ne donne rien qu’on puisse regarder comme tel. Voyez les œuvres de ce philosophe, de generatione, lib. I. cap. xx. & lib. II. cap. jv. Car quoiqu’il dise ailleurs, en parlant des animaux en général, que la femelle dans le coït répand une liqueur au-dedans d’elle-même, il paroît qu’il ne regarde pas cette liqueur comme un principe prolifique ; & cependant selon lui, la femelle fournit toute la matiere nécessaire à la génération. Cette matiere est le sang menstruel, qui sert à la formation, à la nourriture & au développement du fétus ; mais le principe efficient existe seulement dans la liqueur séminale, laquelle n’agit pas comme matiere, mais comme cause.

Averroès, Avicenne & plusieurs autres philosophes, qui ont suivi le sentiment d’Aristote, ont cherché des raisons pour prouver que les femelles n’ont

point de liqueur prolifique. Ils ont dit que comme les femelles ont la liqueur menstruelle, & que cette liqueur est nécessaire & suffisante à la génération, il ne paroît pas naturel de leur en accorder une autre, & qu’on peut penser que le sang menstruel est en effet la seule liqueur fournie par les femelles pour la génération, puisqu’elle ne commence à paroître que dans le tems de la puberté ; comme la liqueur prolifique du mâle ne paroît aussi que dans ce tems. D’ailleurs, disent-ils, si la femelle a réellement une liqueur séminale & prolifique, comme celle du mâle, pourquoi les femelles ne produisent-elles pas d’elles-mêmes, & sans l’approche du mâle, puisqu’elles contiennent le principe de fécondation, aussi-bien que la matiere nécessaire pour former l’embryon ? Cette raison métaphysique est une difficulté très-considérable contre tous les systèmes de la génération, dans lesquels on admet une semence prolifique, propre à chaque individu des deux sexes. M. de Buffon en traitant de ce sujet, dans son grand ouvrage de l’histoire naturelle, témoigne avoir senti toute la force de cette difficulté, à l’égard même de son système, qui est un de ceux de ce genre ; mais cette objection peut être encore étayée par bien d’autres que font les Aristotéliciens. Ils ajoûtent donc, que s’il existoit une liqueur prolifique dans les femelles, elle ne pourroit être répandue que par l’effet du plaisir vénérien, comme il arrive à l’égard de celle du mâle ; mais qu’il y a des femmes qui conçoivent sans aucun plaisir ; que ce n’est pas le plus grand nombre des femmes qui répandent de la liqueur dans l’acte de la copulation ; qu’en général celles qui sont brunes, & qui ont l’air hommasse, ne répandent rien, & cependant n’engendrent pas moins que celles qui sont blanches, & dont l’air est plus féminin, qui répandent beaucoup ; qu’ainsi on peut conclure aisément de toutes ces raisons, que la liqueur que les femmes répandent, ou qu’elles ont la faculté de répandre dans le coït, n’est point essentielle à la génération ; qu’elle n’est par conséquent point prolifique.

N’est-il pas en effet plus vraissemblable qu’elle n’est que comme une salive excrémenteuse, destinée à lubrifier les cavités du vagin & de la matrice ; que lorsqu’elle est répandue d’une maniere sensible, ce n’est que par l’effet d’une plus forte expression des glandes ou vaisseaux qui la contiennent, excitée par la tension ou la constriction convulsive qu’y opere le prurit vénérien ?

Mais pour revenir aux raisonnemens des Péripatéticiens, ils pensent absolument que les femelles ne fournissent rien que le sang menstruel, qui est la matiere de la génération, dont la liqueur séminale du mâle est la cause efficiente, en tant qu’elle contient le principe du mouvement ; qu’elle communique aux menstrues une espece d’ame, qui donne la vie ; que le cœur est le premier ouvrage de cette ame ; que cet organe contient en lui-même le principe de son accroissement ; qu’il a la puissance d’arranger, de réaliser successivement tous les visceres, tous les membres ; qu’ainsi les menstrues contiennent en puissance toutes les parties du fétus.

Voilà le précis du système sur la génération, proposé par Aristote, & étendu par ses sectateurs : Hippocrate & lui ont eu chacun les leurs. Presque tous les philosophes scholastiques, en adoptant la philosophie d’Aristote, ont aussi pensé comme lui à l’égard de la reproduction des animaux ; presque tous les médecins ont suivi le sentiment d’Hippocrate sur ce sujet ; & il s’est passé dix-sept ou dix-huit siecles sans qu’il ait plus rien paru de nouveau sur cette matiere, attendu la stupide vénération pour ces deux maîtres, que l’on a conservée pendant tout cet espace de tems, au point de regarder leurs productions comme les bornes de l’esprit humain : ensorte qu’il ne