Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 7.djvu/516

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

camens par quelques bouteilles d’eau bouillante, des linges & des briques chaudes, placées proche de la partie malade, ou des sachets remplis de sable échauffé. Les parties débarrassées de la lymphe reprenant du ressort, il se fait à la circonférence de l’escarre une suppuration purulente qui détache ce qui est gangrené. Le chirurgien seconde la nature, & conduit le malade à une parfaite guérison par les moyens que nous avons déjà indiqués.

Dans les contusions, le froissement des chairs affoiblit ou détruit l’action organique des vaisseaux. Si l’organisation des chairs est entierement ruinée, ces parties doivent être déjà regardées comme mortes, c’est-à-dire gangrenées ; leur substance écrasée se laisse pénétrer & remplir excessivement de sucs, dont la corruption attire bien-tôt celle de toute la partie. C’est le seul cas où l’engorgement succede à la gangrene. La contusion est souvent accompagnée de commotion ; c’est-à-dire d’un ébranlement interne & violent, qui s’étend quelquefois fort loin dans les nerfs, & qui ralentit le mouvement des esprits. La stupeur que produit cette commotion suspend l’action des vaisseaux, & interdit la circulation dans toute la partie frappée. Cet accident est d’une grande considération dans les plaies d’armes-à-feu. L’effet de la commotion ne se borne pas toûjours à la partie blessée ; elle se communique quelquefois par le moyen du genre nerveux jusqu’au cerveau, & en dérange les fonctions. Les sucs arrêtés dans les chairs mortes ou stupéfiées, ne sont plus défendus contre la pourriture par l’action des vaisseaux. Ces sucs pervertis irritent les parties nerveuses, & suscitent quelquefois des étranglemens, suivis d’un engorgement gangreneux. Nous avons parlé de cette cause de gangrene. Il suffit de remarquer ici que souvent c’est la dépravation des sucs, qui seule fait périr immédiatement les parties engorgées ; parce que les sucs corrompus irritent, enflamment & éteignent le principe vital. La contagion putride contribue ensuite aux progrès de la gangrene, en infectant les sucs des chairs voisines ; progrès que l’action vigoureuse des vaisseaux pourroit empêcher : mais cette action est affoiblie dans les parties qui ont souffert commotion ; aussi la gangrene fait-elle des progrès fort rapides dans cette complication de causes.

Dans toutes les gangrenes humides, il faut procurer l’évacuation des sucs corrompus, & emporter les chairs qui ne sont pas en état de pouvoir être revivifiées. Quelque précieuse que soit la partie, les chairs mortes ne prescrivent aucun ménagement ; elles n’appartiennent plus au corps vivant, elles ne peuvent plus par leur séjour que lui être nuisibles à cause de l’infection & de la malignité de la pourriture. Ce sera sur ces vûes générales que le chirurgien dirigera ses opérations. Si le voisinage de quelque partie qu’il seroit dangereux d’intéresser, l’empêche d’emporter bien exactement les parties corrompues, il doit défendre ce qui en reste par le moyen des anti-putrides les plus pénétrans & les plus puissans. Le sel ammoniac & le sel marin sont des dissolvans anti-putrides, qui prouvent efficacement le dégorgement des chairs. On peut aussi réduire les chairs en escarres, par le feu, l’huile bouillante, des esprits acides concentrés, seuls ou dulcifiés avec l’esprit-de-vin, suivant les parties sur lesquelles on doit les appliquer. L’huile de térébenthine suffit pour le cerveau, &c. L’inflammation des parties circonvoisines, & l’établissement d’une bonne suppuration, donnent des espérances qu’on pourra conserver le membre. Lorsque le desordre est fort considérable dans les os & dans les chairs, les accidens viennent quelquefois si brusquement & sont si funestes, qu’on le repent de n’avoir pas emporté le membre. Il est certain qu’on risque souvent la vie du malade, en voulant

éviter l’opération ; & il n’est pas douteux qu’on ampute beaucoup de membres qu’on auroit pû guérir. Dans les cas mêmes où l’opération est nécessaire, il y en a qui exigent que l’amputation ne soit pas faite sur le champ. L’académie royale de Chirurgie a cru cette question très-importante ; elle en a fait le sujet d’un prix. Les auteurs qui ont concouru, ont exposé une fort bonne doctrine sur ce point délicat, qu’il faudra lire dans le troisieme volume des mémoires des prix de cette académie.

La stupeur est un effet des corps contondans, qui frappent avec beaucoup de violence. Cet accident, auquel on sera dorénavant plus attentif dans la cure des plaies d’armes-à-feu, depuis les solides réflexions qu’on doit à M. Quesnay, prescrit de la modération dans les incisions. On croit souvent avoir bien débridé une plaie par de grandes incisions extérieures, qui ne l’est point-du-tout ; parce que l’on n’a point eu d’égard aux parties tendues & qui brident dans le trajet du coup. C’est en portant le doigt dans la plaie, qu’on juge s’il n’y a point d’étranglement ; & il y a des personnes qui n’en veulent juger que par la vûe. La stupeur exige des remedes pénétrans & fortifians ; des cataplasmes vulnéraires & aromatiques. S’il survient engorgement qui oblige à faire quelques scarifications, elles doivent se borner aux graisses, & être disposées de la façon la plus favorable à procurer le dégorgement.

La morsure des animaux venimeux produit la gangrene par la faculté déletere du virus, manifestée par le grand abattement, les syncopes, les sueurs froides, les vomissemens, les ardeurs d’entrailles qui accompagnent la morsure de la plûpart des serpens. Dans la partie blessée, il y a une douleur fort vive, avec douleur, tension & inflammation, qui dégénerent en une mollesse œdémateuse. Il se forme de grandes taches d’un rouge violet très-foncé, qui annoncent une mortification prochaine.

Les desordres qui troublent toute l’économie animale, dépendent de l’impression funeste que fait le venin sur le genre nerveux. Cette pernicieuse substance attaque directement le principe de la vie ; aussi n’a-t-on pas cru qu’il y ait d’autre indication à remplir dans la cure de ces plaies, que de combattre la malignité du venin par des remedes pris intérieurement, & appliqués extérieurement. Les anciens, dans la piquûre de la vipere, faisoient prendre une forte dose des sels volatils & de la poudre de vipere, & frottoient la blessure avec des eaux thériacales & spiritueuses. L’alkali volatil passe actuellement pour un spécifique contre cette morsure. M. Quesnay examine à fond, dans son traité de la gangrene, toutes les cures empyriques des morsures faites par des animaux venimeux. Peut-être réussiroit-on mieux par un procédé méthodique, en s’attachant aux indications prises de l’état manifeste de la tumeur, plûtôt que de la cause particuliere qui l’a produit. Les accidens paroissant un effet de l’étranglement des incisions, aussi profondes que les piquûres faites par les dents de l’animal, changeroient la nature de la plaie & pourroient empêcher l’action du virus. Ambroise Paré proposoit le cautere actuel, ou le potenciel. Tous les grands praticiens ont recommandé cette méthode. Il faut essentiellement observer si la morsure n’est point placée dans un endroit où quelque aponévrose ou tendon pourroit avoir été piqué ; car une telle piquûre seroit aussi dangereuse que le venin ; & alors, comme l’observe judicieusement M. Quesnay, la maniere ordinaire de traiter ces morsures ne réussiroit certainement pas seule. Toutes les réflexions rappellent à donner la préférence à la cure rationelle sur l’empyrique.

Le froid cause la gangrene, en congelant les sucs dans les vaisseaux. Il n’est pas même nécessaire que