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La paille que l’on donne à manger à ces animaux à Paris & aux environs, est la paille de froment ; la plus nourrissante & la plus appétissante est celle qui est blanche, menue & fourrageuse, c’est-à-dire mélangée de bonnes plantes : telles que sont la gesse, le fétu, la fumeterre, le grateron, le laitron, le lisseron, le melilot, l’orobanche, la percepierre, la percefeuille, la tribulle, le pié-de-lievre, la varianella, la scabieuse, la niele, les especes de psyllium, le rapistrum, la vesce, la bourse à pasteur, la velvote, le coquelicot, &c. Observons cependant que la bonté que ces genres de plantes communiquent à la paille, ne peut compenser le dommage que leurs graines causent au blé & à l’avoine.

La paille peut être gâtée & corrompue par quelqu’orage qui aura versé les blés dans les champs, ou par une pluie continue qui surviendra pendant la moisson, ou parce qu’on l’aura serrée encore humide dans la grange. Cette sorte de paille n’est ni bien-faisante, ni appétissante pour les chevaux.

On donne la paille de différentes manieres. Les Hollandois, les Flamands, les Allemands, & une partie de nos marchands de chevaux la donnent hachée fort menue ; on a pour cela un instrument fait exprès, & un homme exercé à cette manœuvre ; on mêle cette paille avec du son & de l’avoine ; on prétend que ce mélange engraisse les chevaux, & les remplit. L’expérience des étrangers & des marchands n’a pû nous faire adopter cette espece d’économie, si c’en est une. Non que nous n’ayons fait des tentatives pour la constater ; mais elles n’ont fait que nous persuader le danger qu’il y auroit à suivre dans ce pays-ci la méthode des Hollandois & des Allemands, vû la différence qu’il y a entre le travail que ces gens-là font faire à leurs chevaux, & celui que nous exigeons des nôtres. Ces nations menent leurs chevaux au pas, ou tout au plus au petit trot ; cet exercice modéré ne leur cause point de forte transpiration, il est très-propre à entretenir une parfaite intégrité dans les excrétions & les secrétions, à donner de l’appétit au cheval, & par conséquent à les maintenir gras ; mais d’une graisse sans consistence. Il est avéré que les marchands de chevaux ne font point travailler les leurs, soit crainte qu’il ne leur arrive quelqu’accident, soit pour les entretenir gras, pleins, & polis, & d’une plus belle apparence.

Il est aisé de voir que la paille hachée n’est pas propre à donner de la force aux chevaux : 1°. il faut six mois, & quelquefois un an pour engrainer les chevaux ainsi nourris, au sortir de chez les marchands, avant d’en pouvoir tirer un travail pénible & suivi. 2°. On dresse & l’on éduque les chevaux plus facilement au sortir de chez les marchands, que lorsqu’ils ont été nourris un certain tems avec de l’avoine pure au lieu de paille hachée, & la docilité est souvent chez les chevaux comme ailleurs, une preuve de foiblesse. 3°. Nous observons que la plûpart des chevaux qui sont harassés après un travail outré, soit pour avoir poussé des relais à la chasse, ou au carrosse, soit pour avoir fait quelque course longue & rapide, pour peu qu’ils soient délicats de leur naturel, peuvent à peine manger du foin le plus choisi, & de la meilleure avoine ; à plus forte raison comment pourroient-ils manger ce mélange volumineux de paille hachée avec un picotin d’avoine? Les plus affamés en mangent à la vérité une petite partie : mais dans ce qu’ils mangent, c’est l’avoine qu’ils choisissent autant qu’il leur est possible, & la paille hachée & le reste de l’avoine sont en pure perte dans la mangeoire, lorsqu’ils ont soufflé dessus. 4°. Il ne peut résulter de cette nourriture que fort peu de chyle, parce qu’il est impossible, comme il est d’expérience, que l’avoine enveloppée dans les parties rameuses du son & les parties irrégulieres de la paille hachée,

puisse se triturer assez dans la mastication, pour procurer à l’animal une réparation proportionnée à l’épuisement ; de-là vient que la plûpart des chevaux qui mangent de ce mélange frauduleux, rendent une portion de l’avoine sans être digérée, ni même mâchée. Cette nourriture n’est donc propre que pour les chevaux qui font peu d’ouvrage, & qui sont d’ailleurs grands mangeurs.

L’avoine est sans contredit la principale & la meilleure nourriture des chevaux ; nous en avons de deux especes : la blanche & la noire. Celle-ci est la meilleure, sur-tout si elle est bien nourrie, bien luisante, pesante à la main, sans mélange de mauvaises graines que certaines plantes y déposent ; & si elle n’a point souffert d’altération dans le champ ou dans le grenier.

Les graines étrangeres qui se rencontrent fort souvent mêlées avec l’avoine, & qui dégoûtent le cheval, sont celles de coquelicot, de cardamine, de senevé, de nielle, d’orobanche, de percepierre, de psyllium, de colsas, &c.

Quelque bonne qualité que l’avoine ait par elle-même, ces sortes de graines diminuent beaucoup de sa bonté, au point que les chevaux ne la mangent que difficilement. Le semaille de l’avoine, sa culture & sa moisson méritent beaucoup d’attention de la part du laboureur ; il doit sur-tout choisir pour ensemencer son champ, l’avoine pure & exempte des mauvaises graines que nous venons d’indiquer. Mais si malgré son attention quelques-unes de ces sortes de graines se sont glissées dans la semence, ou que le champ en soit infecté d’ailleurs, il doit avoir le soin de les extirper dès qu’elles sont parvenues à une certaine grandeur.

Quand l’avoine a acquis sa parfaite maturité, le laboureur après l’avoir fauchée ou sciée, doit la laisser étendue sur le champ, pour lui donner le tems de ce qu’on appelle javeller, au moyen de la pluie ou de la rosée. Cette préparation sert à gonfler & à affermir les grains dans leurs épis : mais s’il arrive que la pluie soit abondante & de longue durée, ensorte que l’on soit obligé de laisser l’avoine coupée étendue dans les champs, elle y germe, & souvent une partie y pourrit. Cette altération la rend pernicieuse à la nourriture des chevaux.

Ce n’est point dans les champs que l’avoine acquiert son dernier degré de perfection ; elle demande encore beaucoup de soin dans le grenier. On doit la remuer souvent, non seulement pour sa conservation, mais encore pour sa perfection. Si l’on néglige cette manœuvre, qui doit s’exécuter toutes les trois semaines, ou du-moins tous les mois, l’avoine fermente & s’échauffe ; ses principes se developpent, son sel volatil s’exhale en parties ; son huile devient rance, fétide, & acide ; enfin elle tombe dans une espece de putréfaction qui cause aux chevaux les mêmes maladies que le foin corrompu : telles que le farcin, la maladie du feu, la gale, & quelquefois la morve.

Quoique sous le nom de fourrage on n’entende communément que le foin, la paille, & l’avoine, on en cultive cependant deux autres especes, le sainfoin & la luzerne.

Le sainfoin ou bourgogne, est une pâture qui demande un terrein chaud, crayonneux, & sec. On doit le faucher si-tôt qu’il est en graine, sans quoi il depérit, ses feuilles tombent, il ne lui reste que la tige ; pour lors les bestiaux ne le mangent que difficilement, par la raison que cette tige devient seche & coriasse, & destituée de sucs nourriciers. Un champ semé de sainfoin dure trois ou quatre ans sans le semer de nouveau ; après ce tems il dégenere en pâturage qui n’est pas même des meilleurs. Le sainfoin ne produit qu’une récolte par an ; le regain